Cuisine
Les farcis à la hardie
La recette haute-couture des petits farcis
28 JUIN . 2021
Il n'est pas une boucherie dont la vitrine ne se pare de tomates farcies, été comme hiver. Un mets relativement récent mais rapidement massacré. En moins de deux siècles, le légume farci est passé du pire au meilleur avant de basculer dans l'horreur absolue des versions contemporaines. Retour sur l’histoire des petits farcis : un plat simple, magistralement gâché – mais rassurez-vous, on vous livre notre recette.
Plusieurs recettes pour un farci
Certes, anoblir un légume parfois ennuyeux par une farce savoureuse est une vieille idée, néanmoins ce concept ménager ne rencontrera la gastronomie qu’en France à la fin du XVIIIe siècle. L’entrée de la tomate farcie dans la Société se fera par l’illustre Grimod de la Reynière et son célèbre Almanach des gourmands. Cette première recette sera recyclée plus tard par Alexandre Dumas dans son Dictionnaire. Une transmission qui, selon nous, fera grand mal aux estomacs comme à la destinée des tomates !
Dans la recette de Grimod de la Reynière, après avoir épépiné les tomates, on confectionne une farce à base de chair à saucisse, beurre, pain rassis, ail (considéré comme un excipient nécessaire à la pomme d’amour), persil, ciboule, estragon et un linceul de chapelure. La cuisson est menée en tourtière, pareille à un cercueil, et achevée des larmes d’un citron. Lucien Tendret, plus grand gastronome de France (auteur d’A la table de Brillat Savarin son ouvrage est une référence pour des chefs comme Alain Chapel, Jean François Piège, Alain Ducasse) sera sans pitié, jugeant la recette grossière. Malheureusement, rares sont ceux qui eurent la chance de lire les lignes de cet avocat du Bugey. Pourtant celui qui inspira Marcel Rouff pour son célèbre Dodin Bouffant, livre une recette Ô combien supérieure.
Les tomates farcies de Lucien Tendret : la version haute-couture des farcis
Il faut choisir des tomates à larges côtes, très mûres et bien juteuses : inutile de préciser qu’en dehors des mois d’été, cette recette est hors de portée. Les tomates sont divisées en deux parties égales d’un coup de lame franc et assuré. On vide alors les cellules et retire les pépins. Les tomates sont mises à dégorger, cicatrice à plat sur un feu modéré, puis, mises au repos sur un tamis afin que toute l’eau s’en échappe. Préparées ainsi, elles sont le parfait réceptacle pour une farce de haut goût.
Faites rôtir un gigot de mouton (ou d’agneau) et un poulet dont vous prendrez grand soin de conserver le jus. Désossez-les entièrement et hachez soigneusement les chairs. Elles seront intimement mêlées à une composition d’ail, d’échalotes, de champignons (mousserons, girolles ou cèpes en suivant les saisons qui traversent le temps des tomates).
La farce est anoblie de jambon blanc et de truffes d’été (tuber aestivum). On termine par du sel et du poivre. Garnies à fleur, les tomates sont serrées dans une tourtière léchée de beurre frais. On verse en hauteur un fin filet d’huile d’olive de Provence. La chapelure est soumise au bon vouloir du maître queue. Enfin le jus de cuisson des rôtis est ajouté dans le fond.
La cuisson est menée dans un four à pain ou bien au feu comme il est d’usage de le faire avant ou après avoir cuit le pain dans le four communal. Quand le jus s’est concentré après plus d’une heure de vive cuisson, les farcis sont prêts, le goût doit être aigrelet et aiguilloner l’appétit -selon la formule employée par Tendret, c’est là tout le mérite du plat nous dit-il.
La réappropriation nissarde : petits, petits farcis niçois
Depuis, aubergines naines, oignons nouveaux, courgettes de la taille d’un pouce et fleurs de courgettes sont venues enrichir la recette du Bugey et cette farandole de légumes est toujours soumise aux feux des fours niçois comme l’est la socca. Car ce n’est qu’à Nice qu’on prépare encore de bons farcis, choisis avec soin dans les potagers précoces de Tende et de la Vallée aux Merveilles.
Le riz, la chair à saucisse ou encore le sordide quinoa sont autant d’affronts faits à un mets spectaculaire dont l’héritage fut bâti sur le plus mauvais cheval. La recette du Bugey est pleine de reliefs où gras, maigre et acide se confrontent aux parfums du sous-bois. A la fois confits et croustillants, les légumes ainsi préparés nous rappellent combien est grande la cuisine française quand elle est justement menée.
MM.
Pour vous attaquer à la recette des petits farcis, façon Lucien Tendret, c’est par ici.