Cuisine
Parigot, tête de veau
Le mythe du plat préféré de Jacques Chirac
14 JUIN . 2021
Pas de saison pour une bonne tête de veau ! Jacques Chirac, cher au cœur de certains français, même ceux qui ne le connurent pas, incarne une certaine idée de la France. Sa supposée proximité avec les gens simples repose en grande partie sur l'alimentation publique de l'ogre élyséen. Jacques Chirac mangeait gras et valorisait le travail des paysans de nos contrées. C’est ainsi qu’un coup de communication magistral au pays du bien manger était au centre de sa stratégie politique : la tête de veau. On vous raconte l'histoire (et on vous livre quelques bonnes adresses).
En France, la tête de veau à deux histoires, une qui s’étiole, l’autre qui se renforce. Tant et si bien qu’un jour, peut-être, celle-ci sera rebaptisée Tête Chirac comme nous avions naguère des recettes estampillées Maréchal de ceci, Colonel de cela. La tête d’alors fut celle de Louis XVI, décapité un 21 janvier Place de la Révolution. Depuis, les aficionados de la rancune célèbrent encore l’événement en dégustant une tête de veau chaque année. Louis, surnommé Roi Cochon, traître gourmand et affublé de tous les maux s’est progressivement changé en un veau pas si gras. D’après Gustave Flaubert, la tradition viendrait d’outre-manche où l’on cuisinait autrefois la tête de cochon en souvenir du raccourcissement de Charles Ier.
La République, habituée aux contradictions, s’est vue parée d’une nouvelle histoire liée à la tête de veau, celle sculptée de toute pièce par Jacques et sa fille Chirac, deux maîtres de la communication.
Jacques Chirac se présente alors comme un mec sympa, un paysan, un rural qui caresse le cul des vaches, un type de la Corrèze au sourire bien sympathique. En vérité, il est né dans le Ve arrondissement de Paris et a grandi dans le XVIIe. Des régions et du monde agricole il ne connaît pas grand chose jusqu’à son poste au ministère de l’agriculture – ses meilleures années d’après lui. Chaque saison, tel un sumotori, il affronte les étals du Salon, connaissant mieux les spécialités régionales que les villes elles-mêmes. C’est que Jacques Chirac voyage d’abord par le ventre. Le champion aux dents longues et amateur de bière séduit Bordelais et Bourguignons grâce à une image de franchouillard comme on aime. Mais une image plutôt factice.
Sans chichis, Jacques baffre
Il faut dire que Jacques Chirac est un compétiteur du coup de fourchette. Un jour à Bort-les-Orgues, il avale un kilo de fromage ! Après avoir épuisé Jean-Louis Debré autour d’une escalope de 1,8 kg par personne, il rempile avec un demi reblochon. Marc Szafran raconte qu’il ne mange pas, il baffre. Chirac s’accorde une heure à table, douche comprise, c’est une machine qui peut manger une assiette de charcuterie avant de reprendre deux fois de la moussaka et des kebabs lors d’une visite en Macédoine.
Quand Jacques Chirac entre par la grande porte de l’Elysée, potées auvergnates, joues de bœuf braisées, osso buco, jarret de veau, hachis parmentier, civet de lièvre et escargots se succèdent. La tête de veau n’est pas au centre des attentions, le chef de cuisine d’autrefois, Bernard Vaussion ne lui en prépare qu’une paire de fois au fil de ses mandats.
Roulé comme une tête de veau
L’histoire de la tête de veau et de Jacques Chirac est liée à une accumulation de situations. Il fait ses armes en Corrèze où il existe justement à Ussel, la confrérie de la tête de veau, Confrérie des entêtés. Chirac, en bon séducteur sait comment charmer les électeurs de la région.
Quand en 1996, en pleine crise de la vache folle, un journaliste britannique lui demande s’il ne faudrait pas remplacer la tête de veau par un roast beef royal, il déclare : « Permettez-moi de vous dire que si l’on veut avoir un boeuf royal, il faut d’abord avoir un veau. Et comme tous les veaux, naturellement, ne peuvent pas devenir des boeufs, alors il faut bien aussi les manger. D’où l’importance qu’il y a […] à sauvegarder la tête de veau. »
A partir de là, chaque paysan qui verra passer Jacques Chirac lors de ses campagnes se sentira obligé de faire cuisiner par sa femme une tête de veau à offrir au grand monarque. Une tête de veau qui finira par lui sortir par les trous de nez, dindon de la farce, le Français croit bien faire, la tête de veau qui devait servir de lien populaire sera la punition de chaque étape, rendant la route toujours plus difficile. Il se trouve pris au piège, ingurgitant des régiments de veau, sourire aux lèvres.
Bien que contraint, Jacques Chirac était de l’école de la tête entière, non roulée, parée, dégorgée, blanchie, citronnée, cuite à blanc et aromatisée. Langue et cervelle se font à part comme souvent en cuisine et en politique. L’ensemble relevé d’une sauce Gaillarde de Brive avec de la moutarde violette au moût de raisin. La tête de veau se déguste aussi en tortue, un régal sachant rallier les nostalgiques d’Ancien Régime et les Républicains d’aujourd’hui puisque celle-ci navigua -elle aussi- entre tous les partis.
M.M
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Les Arlots, qu’on vous présentait là.
Bouillon Pigalle, avec notre chronique ici.
Benoît, on y était en 2015, déjà…