Architecture
Avis aux amateurs : voir Venise vide (et mourir) c’est maintenant
27 JUILLET . 2021
Qu’il s’agisse de la biennale d’architecture, qui se tient – une prouesse-, du 1600è anniversaire de la fondation de la ville ou de la désertion des hordes de touristes asiatiques et américains, ou encore de l’exposition de la fondation Valmont, il y a toujours de bonnes nouvelles raisons de s’y rendre. De toute urgence.
« Il a toujours été considéré que Venise était l’endroit idéal pour un voyage de noces. C’est une grave erreur. Vivre ou rendre visite à Venise veut dire que vous allez tomber amoureux de la ville elle-même. Il n’y a plus de place disponible dans votre cœur pour personne d’autre. » – Peggy Guggenheim
Surtout en ce moment. Il n’a jamais été aussi catégorique de se rendre dans la cité des doges toutes affaires cessantes. Loin des tracas du monde, vidée des masses touristiques, Venise s’offre comme jamais. Les charters et les groupes venus du soleil levant se sont évanouis, les paquebots n’encombrent plus les zattere. C’est comme si la ville s’était mise à tourner au ralenti, avait marqué une pause. Ou qu’elle était revenue aux années 70, assoupie, gentiment endormie, comme avant la mondialisation.
Les campiello et les musées sont déserts, comme si les groupes de touristes s’étaient dissipés à la manière des brumes matinales sur la lagune. Mais les verres de spritz apparaissent eux toujours sur les tables au coucher du soleil. Jamais on n’avait connu la cité lagunaire aussi tranquille, aussi appréciable.
Un saut à la Biennale d’architecture
Il suffit pour s’en convaincre de prendre un vaporetto place Saint-Marc, aussi désertée par les amateurs de selfies que par ses légendaires pigeons, et de se faire déposer à la Biennale. Il est onze heures du matin, le soleil déjà haut dans le ciel réchauffe l’atmosphère et une poignée de visiteurs se pressent aux portes du parc.
Difficile de trouver plus capillotracté qu’une biennale d’architecture. On dirait presque une foire d’art abstrait ou un festival de philosophie. Le pavillon anglais, très créatif, pose des questions à la Lewis Carol, « peut-on repenser ce que serait la privatisation de l’espace public ? », auquel il apporte des réponses Martin-Parresques, dans un décor de pub, de jardin public, où l’on rit sous cape à l’anglaise.
Le pavillon français, à son habitude, sent la crise de la culture et la tentative mondialisée de se servir de la francophonie comme socle. Mais qu’allait donc faire Détroit dans cette galère ? C’est un peu le souci de la biennale, qui, parfois, sans sous-titres, peine à se faire entendre.
Chez les Finlandais, on croit que les suédois d’Ikea se sont trompés de pavillon national, mais, quand on a enlevé ses chaussures, pour faire comme chez eux, on se sent bien dans cet intérieur qui sent le pin et pose la question de la structuration des espaces intérieurs – pas totalement vain comme sujet après un an et demi de confinements successifs.
Il y a également de l’idée dans le pavillon Norvégien, autour du développement durable, de la terre comme espace, et dans le pavillon japonais, qui expose une ancienne maison japonaise ordinaire, démontée et reconstruite par morceaux. La documentation riche apporte un regard sur l’évolution des matériaux depuis un siècle, et de l’environnement de l’habitat. L’exposition pose également la question de la réutilisation ou de l’upcycling des bâtiments ou de leurs matériaux.
Les Australiens et les Canadiens, eux, sont absents, cause covid, avec des applis en VR ou des QR codes affichés à l’entrée. Tout comme les Roumains, qui quoiqu’ouverts ont un bâtiment entièrement vide… hormis quelques QR codes peints sur les murs et qui redirigent vers d’improbables vidéos. Mais l’ensemble offre quand même une agréable promenade parmi les problématiques contemporaines de l’urbanisme et de l’architecture à l’heure des défis de surpopulation, des problématiques liées à la santé ou aux migrants et aux questions de frontières.
Parmi les plus surprenants, le pavillon autrichien, manière de loggia ouverte sur une cour peuplée de meubles en bois brut recyclés, mêle design, signalétique et architecture. Toujours intéressant de commencer la journée par se creuser les méninges avant de déambuler dans les Giardini centenaires, troués de canaux et de fontaines. Un délice.
Retour en ville, le bonheur d’être seul
De retour en ville, on s’invite à la Fondation Valmont, avec son exposition Alice in doomland (dont on vous parlait par ici) inspirée du conte de Lewis Caroll, dont les questions absurdes semblent particulièrement à la mode. Qui suis-je, ou vais-je et dans quel état j’ère ? L’un des tours de force de cette petite fondation très discrète, à l’exposition hélas trop courte, est de livrer, tous les deux ans par un groupe d’artistes, une interprétation d’un conte pour enfants. Après Hansel et Gretel, le prochain sera Peter Pan.
Émerveillé, on passe ensuite toute la journée à travers les mystères de la ville, ses canaux, ses piazzetta, ses campaniles, qui forment autant de paysages semblant ne pas avoir bougé depuis des siècles. Ici on attrape une glace artisanale, là un café brûlant d’un gorgeon, encore plus loin un tramezzino.
Pas le temps de s’attabler, on garde ça pour le coucher du soleil, sur le grand canal, depuis le jardin de l’Aman, près du Rialto, ou celui du San Regis, d’où Monet, en 1908, a peint pour l’éternité ses 26 peintures qu’il terminera plus tard à Giverny. Des vues de San Giorgio, de la lagune, de la Salute pour l’histoire. La clé de l’énigme est là, sous vos yeux. Pour un peu on prendrait la plume, façon Michel Déon. Et on commencerait par « Je vous écris d’Italie… ».
A.M
Biennale Archittetura 2021,
Giardini e Arsenale, Venise
Jusqu’au 21 novembre 2021. Plus d’informations sur le site web biennale.org.
Du mardi au dimanche, de 11h à 19h jusqu’au 31 juillet
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h du 1er août au 21 novembre
Fermé le lundi sauf le 30 août, 6 septembre, 1er novembre et 15 novembre
Fondation Valmont,
Palazzo Bonvicini, Calle agnello, 2161/A
Venise
Tous les jours de 10h à 18h
Hôtel San Regis,
S. Marco, 2159,
Venise
Un petit craquage pour une chambre sur le grand canal. Aux murs, des œuvres d’Olivier Masmonteil. Vous ne le regretterez pas.
A partir de 850 € la nuit