Cuisine
La vraie cuisine provençale
Ou comment bien cuisiner les herbes de Provence
05 JUILLET . 2021
La cuisine provençale évoque irrémédiablement des parfums d'ail et de thym qui nous montent au nez. Une cuisine régionale, presque exotique, découverte bien avant d'autres mondes plus lointains et où le goût semble tiré de ce qu'offre la terre. Une profusion d'herbes aromatiques victimes d'un stress hydrique intense qui développe des parfums de garrigue à l'infini. Pourtant, la cuisine provençale est victime d'indéracinables clichés qu'il nous faut aujourd'hui déconstruire afin de nous plonger, vraiment, dans l'âtre des maisons d'Aix-en-Provence, de Moustiers ou de Manosque. On vous emmène la rencontre de la vraie cuisine provençale (avec de vraies herbes de Provence).
La vraie cuisine provençale
Dans les manuels d’autrefois, l’appellation à la provençale désignait l’utilisation d’huile d’olive pour faire la cuisine. C’est que dans un monde dominé par la voix du nord, beurre et saindoux sont si communs qu’on ne prend même plus la peine de les mentionner dans les recettes. L’huile d’olive est une curiosité venue des terres arides et des contrées malfamées que l’on nomme vulgairement : le sud. Ce sud aux contours et aux frontières indéterminées où la cuisine est différente et dite, de haut goût, comprenez un goût (trop ?) fort.
Avec le temps et la démocratisation de l’utilisation de l’huile d’olive en cuisine – une affaire de goût mais aussi de diététique – l’appellation à la provençale devient galvaudée : à l’emploi autrefois codifié de l’huile d’olive s’est substitué le sempiternel trio gagnant : tomate, ail et herbes de Provence.
Les vraies herbes de Provence
Désormais, l’herbe de Provence semble être un mélange alchimique, fait de poudre de perlimpinpin aux noms fleuris dont on use et abuse pour donner un goût de sud à n’importe quoi. Sous cette appellation se trouvent pas moins de 13 herbes aromatiques que sont : basilic, cerfeuil, estragon, fenouil, laurier, livèche, marjolaine, origan, romarin, sarriette, sauge, serpolet et thym. Or, ces herbes sont une palette de cuisinier et non un salmigondis de ce qui pousse en Provence.
Ce terme générique d’herbes de Provence, inventé à partir des années 1960 par les industriels, est si hors de propos qu’il fait encore rire n’importe quel gastronome provençal. Qui plus est, la quasi-totalité de ces herbes vendues aujourd’hui sont produites en Europe centrale, au Maghreb et en Chine. Rarement déshydratées au soleil ou mieux, en pied. Elles sont généralement séchées au four ce qui leur fait perdre beaucoup de parfums. Les plus chères conservent des feuilles entières tandis qu’au rabais se trouvent la poudre obtenue après mélange. On fourre n’importe quel gros poisson trouvé à Trouville ou Quiberon de cette vulgaire poudre, on pose une rondelle de citron sur l’œil de la bête et on se régale d’un plat dit à la provençale.
Ce n’est pourtant pas ainsi que l’on procède en Provence ! Déjà dans les années 1980 quand d’illustres chefs cuisiniers emplissaient le ventre d’un loup (qu’ils appellent bar) avec un rameau de fenouil séché, cela occupait en franche rigolade tout le Cours d’Estienne d’Orves. Les herbes de Provence s’utilisent parcimonieusement et avec une sélection qui reste à la discrétion du maître queue.
Car en effet on ne parle pas de plat à la provençale en Provence mais plutôt d’un agneau au romarin, d’un lapin au serpolet, d’un saint-pierre au thym, d’une côte de cochon laineux de Provence à la marjolaine, d’une pintade à l’estragon ou encore d’un rouget au basilic.
Les herbes de Provence sont là pour sublimer les produits du terroir et non pour en masquer le goût dans une débauche de parfums de garrigue. Chacun porte avec lui une identité et une histoire qui lui sont propres.
Pour en finir avec le combo ail-tomate de la cuisine provençale
Ail et tomate, comme en Italie (on vous en parlait justement par ici) sont eux aussi employés avec habileté et ne s’unissent pas dans une messe funèbre et orgiaque où l’on sacrifie le bon goût. Le cuisinier provençal se situe à mi-chemin entre l’Espagne et l’Italie : sa cuisine est faite du ventre méditerranéen mais aussi des vaste vallées où poussent l’épeautre et le blé, où l’on trouve une abondance de truffes, de sanguins, d’artichauts, de grives et de lièvres. Tant de miracles de la nature qu’il faut savoir anoblir d’une pincée de ci ou d’un point trop de ça.
A son retour de chez son amie la comtesse de Provence, Marie-Joséphine de Savoie, la reine de France Marie-Antoinette fut éblouie de tant de raffinements subtils dans la cuisine provençale. On connaît la délicatesse du palais de l’autrichienne, une débauche d’ail et de thym séché n’aurait jamais pu enthousiasmer la bouche royale !
Bien au contraire, comme en témoigne un peu plus d’un siècle plus tard l’œuvre de Jean-Baptiste Reboul, La Cuisinière provençale. La cuisine des femmes qui vivent entre mistral et garrigue est hautement subtile : la barigoule fut un temps affaire de champignons, la pleurote du panicaut avant de devenir un plat d’artichauts est un plat tout en contrastes délicats.
Les caillettes de Richerenches sont dans les mois les plus froids enrichies de quelques truffes précieuses et sont un miracle du goût. Le gratin de cardon (légume ancien de la famille des artichauts, ndlr) arrosé du jus perlé d’un dindon rôti à la broche est la plus haute des œuvres de la cuisine provençale. Les tians, dont la composition ne se limite pas aux seuls légumes de l’été, mais qui au contraire permettent de marier goûts et couleurs en fines tranches juxtaposées donnant au plat de terre (qui porte lui aussi et avant tout le nom de tian) une infinité d’unions colorées et gourmandes. Tian que des studios d’animation américains travestirent en Ratatouille du nom d’un rat sympathique ! Oui, ce plat qui fut à l’origine de bien des fantasmes organoleptiques dans le monde entier n’est autre qu’un tian provençal et non une ratatouille nissarde.
Ces agréments aujourd’hui indissociables de la cuisine dite provençale se sont uniformisés au point d’en détruire l’identité-même, de cette cuisine faite de produits en avance sur le calendrier et où les saisons se croisent plus rapidement qu’ailleurs, s’offrant le temps d’un rendez-vous des mariages heureux.
Aux origines des vraies herbes de Provence, rien ne se perd tout se transforme
Autrefois, après que les enfants eurent gambadé dans les garrigues comme le font les jeunes lapins de garenne, les mères unies en conclave gastronomique s’aventuraient au contact des hautes tiges de fenouil pour en chasser les limaçoun, s’abaissaient pour faucher le thym et remplissaient ainsi de larges besaces qui contenaient encore les vestiges des cueillettes précédentes. Ces herbes sauvages séchées sur place par le soleil et le temps étaient soigneusement conservées dans des jarres de terre cuite qu’on avait méticuleusement étiquetées dans le langage local : ainsi la sarriette devenait par exemple le pèbre d’aï.
Les oranges qui se payaient fort cher n’étaient jamais gaspillées, leurs écorces étaient séchées au-dessus de l’âtre et rejoindrait un jour une jambinette de poulpe. Chacune de ces herbes portait en elle le souvenir d’une cueillette et n’était jamais considérée à la légère, tout au contraire. Le lièvre tiré sous un massif de thym serait cuisiné avec son repas, rien d’autre. On sait faire l’économie des saveurs, non pas parce que ces herbes fabuleuses peuvent venir à manquer, elles sont abondantes, mais parce qu’on sait combien de parfums secrets elles révèlent en cuisant.
Quand on se donne tant de mal à extirper un rouget des profondeurs ou à viser juste dans un vol de grives on ne souhaite jamais ruiner ses exploits en transformant son plat en tisane.
Le secret de la vraie cuisine provençale : un retour aux associations simples
La lassitude en cuisine est un mal qui se soigne simplement : nous avons aujourd’hui la chance d’avoir à notre disposition une multitude de produits rares et autrefois inconnus. Des milliers de gastronomes partagent avec une générosité sans limites ce que leurs grand-mères gardaient jalousement à l’ombre de leurs cocottes.
Néanmoins, méfions-nous de tant de savoir et d’une pareille abondance car avec trop on finit par perdre la valeur des choses simples. Ramasser du fenouil sauvage après avoir trouvé quelques escargots était autrefois les prémices de fantastiques agapes. Ce goût unique, fruit d’un terroir où s’unissent tant de bonnes choses, ploie désormais sous le poids d’une abondance de possibilités.
Rappelons-nous parfois de ces gestes simples et de ces mariages heureux entre une herbe et une tranche d’agneau. Entre un quignon de pain et une rasade d’huile d’olive des Baux-de-Provence. Entre un morceau de stockfish et quelques gousses d’ail nouveau. Cessons de superposer tant de goûts, tant d’arômes ou au contraire vautrons nous dans l’abondance de mélanges curieux comme le font certains Indiens et autres Chinois mais dont les associations ne sont jamais le fruit du hasard, plutôt d’une science exacte des goûts.
Car quand la cuisine est bien faite, chaque graine, chaque herbe, chaque épice vient titiller un coin précis de la langue et du palais dans une communion parfaite. Ces mariages heureux sont l’héritage des cuisines du temps, l’innovation est une belle chose comme le sont les traditions. N’oublions pas les secondes pour le charme des premières car ces usages portent en eux un trésor millénaire, celui du goût des hommes et des femmes d’un lieu, d’un terroir. La Provence est l’un d’eux.
M.M
Pour mettre en pratique ces bons conseils provençaux, retrouvez la recette de la selle d’agneau des Renards Gourmets par ici.