L’estomac dans l’étalon,

Le tabou de la viande de cheval

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19JUIL. 2021

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L’estomac dans l’étalon

Le tabou de la viande de cheval

19 JUILLET . 2021

Écrit par Morgan Malka

Considérée comme la trahison la plus vile, l'hippophagie fait débat en France depuis le VIIIe siècle. Entre interdictions, pratiques discrètes et encouragements des hygiénistes, retour sur un sujet qui fait débat.

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Le naturaliste Buffon considérait que le cheval était la plus noble conquête que l’homme ait faite, comparant même sa consommation à l’inceste. Un blocage psychologique bien réel et répandu en France, probablement parce que si certains aliments tels que l’oie ou l’agneau de lait sont associés aux jours fastes, le cheval est, lui, ramené aux jours les plus sinistres.

S’il ne fallait retenir que deux dates, ce sont celles-ci : En 732 le pape Grégoire III demande à Boniface de faire interdire la consommation de viande de cheval, jugée impure et scandaleuse. En 1866, les boucheries chevalines sont officiellement ouvertes en France. Entre les deux, on n’en parle pas, mais on en mange. Le débat hippophagique n’existe pas encore, mais les sanctions légales sont appliquées. La pratique est officieuse et des amendes sont délivrées pour non-respect de la loi. La contrefaçon visant à faire passer de la viande de cheval pour de la viande de bœuf est alors monnaie courante.

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Aux origines, la viande de cheval pour les chiens et les pauvres

Au moment de la Révolution, les Parisiens consomment environ 280 grammes de viande par jour. Cette consommation ne cessera de baisser, atteignant le record minimum historique de 140 g en 1836. Par conséquent, la taille décroît. Pourtant, une réserve de viande fraîche existe, celle de cheval, alors destinée aux chiens et aux rats.

Du côté des Buttes-Chaumont, le clos d’équarrissage de Montfaucon est un vaste tas d’immondices fait de charognes, d’ordures et de sang. Les chevaux de la guerre et des transports y sont conduits et intégralement transformés. Suif, os et clous des sabots sont recyclés et la viande sert à nourrir les 200 000 chiens de Paris.

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Honoré Daumier, « La viande de cheval est hautement digeste et bonne pour la santé », représentant la Nightmare, jument démoniaque réputée provoquer les cauchemars en étouffant les dormeurs. DR

C’est qu’au siècle des Lumières, Paris compte 200 000 toutous pour 600 000 habitants : un record. L’immense majorité de ces chiens est constituée de Mâtins de Naples que trafiquent les chiffonniers. Ces créatures nourries au sang et à la viande de cheval sont destinés aux combats de rue clandestins. La police intervient régulièrement mais depuis qu’on ne pratique plus la tue-chien, les molosses prolifèrent. Les propriétaires, issus de la canaille, se rendent à Montfaucon qui devient une boucherie de plein air. Certains chiens sont même dressés à se rendre seuls chez leur pourvoyeur. On redoute alors l’épizootie, on craint que les maladies ne se transmettent à l’homme et que les chiens s’en prennent aux enfants.

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En 1825, la combine se propage et la viande n’est plus réservée qu’aux chiens. Une part conséquente de celle-ci est destinée aux classes ouvrières les plus pauvres. La bonne société encourage la pratique, dans un immonde mépris de classe.

 

Une viande qui manque de gras

Avant l’autorisation de 1866, le débat hippophagique fait rage et deux clans s’affrontent, les contre évidemment et les pour, généralement des hygiénistes animés de rationalisme et de positivisme. Ils sont issus du monde vétérinaire et s’appuient sur des calculs économiques et sur de bonnes intentions sociales. Ils voient la non-consommation de viande de cheval comme un immense gaspillage et se fichent des enjeux moraux. Dans le camp adverse, on pense que la civilisation toute entière risque de régresser. On s’insurge : « le cheval, le chien, et après ? »

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Une boucherie chevaline rue de Tolbiac à Paris, photographiée par Robert Doisneau en 1967.

Ces derniers auront gain de cause en 1866, les animaux sont en santé mais pas nécessairement bons à manger. Leur viande est considérée comme étant de seconde catégorie. Les bouchers ne veulent pas se mouiller et font boucherie séparée. Il faut dire que le cheval est généralement maltraité, malmené, manque de gras : il n’y a pas de race destinée spécifiquement à la viande. Cette nouvelle viande rougeâtre et sèche ne séduit pas.

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Pot-au-feu, saucisson et bavette de cheval 

Quelques curieux vont pourtant s’y essayer. Long mijotage, cuisson express, les recettes hippiques restent discrètes. En 1871 lors du Siège de Paris, l’Almanach propose un pot-au-feu et un miroton de cheval. La période n’a rien de festive et la viande de cheval est associée aux temps de disette. A la Belle Époque, la charcuterie coûte cher et certains artisans ingénieux inventent le saucisson de cheval. Son goût est bon, le succès est mitigé mais séduit les villes industrielles.

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Les nouvelles générations se rappelleront qu’on survivait grâce à la viande de cheval dans les temps les plus troublés. Par analogie, ils en feront une viande fortifiante et bonne pour la croissance, et les enfants du milieu du XXe siècle auront leur bavette de canasson pour devenir plus grands. Depuis, l’habitude s’est perdue et en 2014 on ne comptait plus que 750 boucheries chevalines.

Viande désuète, elle mérite néanmoins notre attention. A l’heure du goût pour les viandes maigres et des techniques de cuisson avancées qui préservent la tendreté, la viande de cheval retrouve de son sens. On en revient toujours à la question : que faire d’un cheval mort ? Pourquoi pas un ragoût ou un steak à cheval ? A méditer.

M.M

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