Shitbox Run

D’après le très sérieux Urban Dictionary, une shitbox est un véhicule motorisé de qualité médiocre. Il doit coûter à l’achat moins de $ 1000 et se conduit lors du rallye Shitbox annuel australien, qui passe à travers les zones reculées de l’Outback. Outre-Atlantique, la shitbox désigne aussi un véhicule d’usage à bas prix souvent en fin de vie.

Shitbox : les origines

Un peu d’introspection. Tout est parti de mes trente ans. Je n’en savais rien (enfin si, un peu quand même) mais j’ai de supers copains. Et une chouette copine. Ils ont eu la brillante idée de m’offrir une voiture : une charmante Fiat Seicento Sporting de 1999.

C’est une sympathique auto mais avec quelques problèmes. Citons un contrôle technique brillant par son absence (un détail), quatre pneus HS (accessoire), l’absence de freins efficaces (qu’importe) ou des traces de chocs mal réparés (superficiel). J’oubliais une tendance prononcée à la surchauffe moteur, plus embêtant. Mais qu’importe, le soir du 24 février 2020 j’étais le plus heureux des hommes avec ma petite Fiat rouge.

Le règlement de la FFSA

 Les copains avaient adoré conduire vite cette auto très lente. Je-ne-sais-plus-trop-comment nous vient cette brillante idée : organiser un run de quelques jours, chacun au volant de sa shitbox. Nous avons établi un règlement selon la très sérieuse FFSA, la Fédération Françaises des Shitbox Authentiques. Ladite shitbox devait respecter ces quelques règles : produite avant l’an 2000, moins de 3,80 m, moins de 100 ch, moins de 1 300 cm3 de cylindrée, moins de 1 500 € entre l’achat et la préparation du véhicule.

On s’est alors tous mis en chasse, avec beaucoup d’enthousiasme, de bluff et une certaine excitation du jour J. Car oui, nous ne connaissions pas à l’avance les modèles des autres participants. Ce premier run organisé entre Auvergne, Lozère et Cévennes fut un succès. Au point qu’on a immédiatement voulu remettre le couvert.

Shitbox run 2

Dans l’idée, pour la seconde édition, notre FFSA adaptait à peine les points 4 et 5. La cylindrée maximale grimpa ainsi à 1 400 cm3 et le budget a 2 500 €, nous ouvrant ainsi la porte à des préparations dignes de l’âge d’or de la compétition automobile.

Quant à l’itinéraire envisagé, en éternels optimistes, nous voyions les choses en grand. Certains membres émérites du groupe envisageaient de rallier Paris à Monaco avec nos shitbox. L’idée était de rouler à tombeau ouvert de nuit – soit à 130 km/h – et de se rejoindre à l’hôtel de Paris (à Monaco donc) à l’aube pour un petit-déj’ coûteux mais savoureux. Puis d’enchaîner en remontant à Paris sur deux jours, en passant exclusivement par le réseau secondaire, entre arrière-pays Niçois, Mercantour, Ardèche et Drôme, hauts lieux des spéciales du rallye Monte-Carlo. Il fallait donc être relativement rapide et fiable.

Le temps passant, la désorganisation la plus totale nous envahissant et la fiabilité incertaine de nos autos se révélant une évidence, ce plan merveilleux bien qu’ambitieux tomba à l’eau. On a donc mis le cap sur le Parc Naturel du Morvan. Ouais moins sexy d’un coup. Quoique …

Les autos des concurrents  

Je vous passe les descriptions ennuyeuses de sensations de conduite ou de la météo. Pour le côté logistique, nous avions opté pour une maison perdue dans le Morvan – superbe région bien connue des motards – non loin du lac des Settons. Notre camp de base pour le week-end. Ainsi plus qu’à tourner sous forme de plusieurs boucles journalières dans la région. Laissez-moi vous conter les autos de chacun, la préparation et les avantages de chacune.

Amaury et Olivier –Peugeot 106 XT 1.4 (1993)

On ne sait trop pourquoi mais contrairement aux autres pilotes solitaires ces deux-là ont acheté une auto ensemble. Peut-être parce qu’Amaury prend des photos, pas trop mal d’ailleurs, alors il faut bien que quelqu’un conduise pendant qu’il s’exécute. Mais Amaury conduit aussi parfois. Après maintes péripéties, ils ont acheté une Peugeot 106 en bas de chez eux, la veille du départ. Enfin presque, ils racontent qu’ils ont dû prendre le RER. Le A ou peut être le B voire même les deux. Personne ne les a vraiment cru.

Les plus : Leur 106, ce n’est pas n’importe quelle 106. Elle présente un saillant kit carrosserie à l’origine inconnue, un silencieux d’échappement surdimensionné signé Sebring, un toit ouvrant électrique fonctionnel, un intérieur en (faux) bois et même une alarme d’époque qui leur causa quelques désagréments. Bref une 106 de bonne famille. On ignore pourquoi mais malgré les 75 chevaux de la fiche technique, elle marchait sacrément fort.

Raphaël – Fiat Punto Sporting 16v (1999)

Raphaël c’est la force tranquille. Après avoir perdu deux jours par semaines durant trois mois à traquer la shitbox ultime de la Seat Arosa 16 soupapes à la bien laide Opel Corsa Sport, son choix s’est arrêté sur une Fiat Punto. Oui une Punto. Jaune. Il faut se souvenir qu’en 1995, deux ans après son lancement, la Punto première du nom était la voiture la plus vendue en Europe. Aussi elle a été dessinée par Giugiaro, sans doute l’un des plus grands designers automobiles du XXe siècle. Bref, ça ne pouvait pas être une mauvaise auto. Par flemme notre homme fit remonter sa Punto par transporteur depuis Nice. La grande classe.

Les plus : La carrosserie n’affichait pas moins de six nuances de jaunes différents. On appréciera aussi la sellerie à l’imprimé amusant ou l’étagement excessivement court de la boîte de vitesses. Raphaël aimera un peu moins les vibrations incessantes dans le volant une fois passé les 110 km/h.

Malo – Fiat Seicento Sporting Michael Schumacher (2001)

Malo, c’est l’escroc du groupe. Mais comme il a une bonne tête, ça passe toujours crème. Pour l’anecdote, il avait mis toutes ses économies dans une Porsche 911 3.2 achetée quelques mois auparavant. Le gars était donc à sec. Ruiné, fini, walou, nada, plus rien. Comme en sport auto, il a su habilement jongler avec le règlement. Il a d’abord voulu tricher mais il a fait mieux : Malo a tout simplement « emprunté » une voiture à un copain. Il suffisait d’y penser.

Les plus : Déjà c’est une Seicento, la shitbox par excellence. Qui plus est dans une rare série limitée signée du plus grand pilote des années 1990 et 2000. Oui, le groupe Fiat avait choisi son auto la plus cheap pour célébrer les multiples victoires de Michael Schumacher en championnat du monde de F 1 sur Ferrari. Sa seule préparation fut le changement de l’embrayage chopé chez Norauto, deux nouveaux pneus d’origine douteuse (et deux Pirelli de 20 ans d’âge).

Clément – Citroën AX GT (1993)

Clément revendique un amour profond pour la conduite. Même s’il s’en vante peu il a fait dans son jeune âge pas mal de circuits, en auto comme en moto. Du coup, il a un bon coup de volant et n’achèterait pas une auto dont il ne tombe pas amoureux volant en main. Oui, c’est un peu romancé mais vous avez saisi l’idée. Du coup il a triché. Au lieu de respecter le règlement, il a acheté une auto qui lui plaisait. Une auto beaucoup trop puissante pour le règlement. Allez savoir pourquoi on ne lui en a pas trop voulu. Peut-être parce qu’on savait tous qu’on allait pouvoir lui piquer cette shitbox surpuissante.

Les plus : On ne va pas tout détailler mais son AX sortait 130 ch (contre 85 d’origine), feuille de passage au banc à l’appui. Autant vous dire qu’avec autant de puissance pour à peine 700 kg, ça envoyait sévère ! Signalons aussi qu’elle tournait exclusivement à l’éthanol ce qui l’amena à de pénibles détours pour faire le plein en rase campagne. Bien fait.

Hadrien – Nissan Micra 1.3 16v (1996)

Hadrien a toujours été rusé. Aussi, on savait qu’il aimait plus que nous tous réunis les autos japonaises. Pour leurs fabrications sérieuses, leur relative rareté dans l’Hexagone et cette pincée d’exotisme. Par peur de la panne aussi. Comme Malo il a su jouer avec le règlement. J’ai oublié de le préciser mais il nous était formellement interdit de reprendre l’auto du Shitbox Run première édition. Sauf qu’Hadrien avait alors racheté la shitbox de Clément. Soi-disant pour la campagne et pour sa compagne, mais il avait tout manigancé.

Les plus : Hadrien a carrément fait repeindre la voiture en bleu. Puis il a fait reproduire minutieusement la livrée Calsonic de la Skyline R32 GTR qui courrait en Groupe A au début des années 1990. C’est plutôt bien fait et ça a dû lui coûter un bras, mais il n’a jamais avoué. Il avait aussi mis un baquet, un petit volant sport et de fausses plaques japonaises. Avec de bons amortisseurs et des pneus efficaces, la Micra se montrait fort homogène.

Antoine – Fiat Seicento Sporting (1999)

Personnellement j’ai remis en service la Fiat offerte pour mon 30^e anniversaire. D’ailleurs je n’avais pu la prendre pour le premier run pour cause de joint de culasse. Tant qu’à faire, j’ai finalement décidé de changer le moteur pour un plus gros. Un swap comme on dit. J’ai acheté une Fiat Palio Week-end (allez voir sur Google, vous allez être ravi) et mis le moteur dedans. Enfin pas moi tout seul, mon mécano, devenu par la force des choses un ami. Je vous passe les foultitudes de détails logistiques, de non correspondances des pièces ou d’adaptations hasardeuses. Bilan des courses ma Fiat passe ainsi de 54 à 75 ch. Colossal. Monstrueux même. Et vous n’avez pas le bruit ! Ligne complète de rallye non homologuée oblige…

Les plus : vu qu’on m’avait offert l’auto mon budget préparation était plus large que les copains. Me prenant pour un Qatari, j’ai opté pour le montage de roues de Maserati Biturbo en magnésium. Pour épater les copains. Et parce que j’adore Maserati. Mais surtout pour épater les copains.

Benjamin – Pace Car Suzuki Swift Sport (2021)

Benjamin a pris le rôle de figure patriarcale qui se doit de calmer les enfants lorsqu’ils s’emballent. Hors compétition, son rôle est de fermer le convoi. Ou de l’ouvrir. Avec une vraie voiture, utile en cas de galère mécanique par exemple. C’était notre directeur de course. Alors il a appelé Suzuki France, il leur a expliqué notre projet et comme ils sont sympas chez Suzuki, ils lui ont prêté une Swift Sport hybride flambant neuve. Avec un gyrophare et une déco posée par ses soins, ça faisait sérieux. Au point que, lorsqu’il ouvrait, certains locaux se mettaient sur le bas-côté pour le laisser passer. Véridique.

Les plus

Monter à bord de la Swift c’est changer d’univers. L’absence de bruits inquiétants et d’odeur d’huile usagée, la clim réglée sur 19 degrés ou les haut-parleurs claironnant du Pavarotti dans une insonorisation sans pareille avaient de quoi impressionner les concurrents. C’était sans compter sur les qualités intrinsèques du châssis et le dynamisme dont la Swift a fait preuve.

Après plus de mille kilomètres de petites routes en plein cagnard, on pensait tous casser quelque chose (surtout moi à vrai dire). Et en fait, rien de tout ça n’arriva. Pas même un petit accident ou un accrochage de rien du tout. Parce que même à bloc, on peinait à dépasser de trop les limitations en vigueur. N’est-ce-pas là le vrai plaisir, conduire à fond une voiture lente ?

Merci à Yann Bouffault et Suzuki France pour leur confiance. Plus de photos sur Instagram @asphaltheritage et @soupapes_spotting

A.M