Manger du gras, oui mais,

Quand la baleine remplaçait le cochon en France

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30SEPT. 2021

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Manger du gras, oui mais

Quand la baleine remplaçait le cochon en France

30 SEPTEMBRE . 2021

Écrit par Morgan Malka

Dans notre société hygiéniste, manger du gras évoque invariablement quelque chose de malsain. A l'inverse, le maigre qui était autrefois la sentence réservée aux pauvres et aux privations du carême est en passe de devenir un but en soi. Le lard, grand chambellan du gras, est désormais honni. Cet apanage des puissants d'alors est châtié et lentement, nous nous détournons de l'irrépressible gourmandise qu'il convoquait. Mais de quel lard parle-t-on ? Celui qu'on tire du cochon ? Pas toujours, car tout dépendait du calendrier.

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Baleine prise dans la Méditerranée, Michael Frommer, XVIIe siècle.

Les grasses fèves au lard, un grand classique des tables françaises

Les fèves au lard ont disparu des tables françaises, pourtant cette nourriture accompagnait nos ancêtres tout au long de l’année. Sous cette appellation d’apparence simple et évidente, se cachent bien des choses. La fève en effet peut être dolique, mongette, lentilles ou encore pois, quant au lard, s’il est tiré du cochon la plupart du temps, en période maigre il sera remplacé par le craspois (ou craspoix).

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On vous appâte avec du bacon, vous, mangeur de gras… Mais que savez-vous du gras ?

Craspoix, kézako ? C’est le lard qui remplace l’autre lard. Il s’agit tout bonnement de graisse et de langue de baleine salées. Au XVe siècle la baleine évoque davantage la figure mythologique que l’animal, ainsi sous une même appellation se confondent les porcs, veaux, bœufs de mer (à ne pas confondre avec le poisson appelé bœuf en Méditerranée, vous suivez ?) ou encore les marsouins, dauphins et pourpois. Pour le mesnagier de Paris… ils sont tous des baleines. Jusqu’au XVIIIe siècle, même le célèbre Jussieu considère le cachalot comme le mâle de la baleine.

 

Un petit salé au cachalot au Pays Basque

Ambroise Paré envoyé au Pays Basque en 1564 observe le salage de la langue à Biarritz, coupée en tranches puis salée. Une langue de baleine pesant jusqu’à trois tonnes, il y a de quoi faire ! Pour l’illustre médecin, le résultat est tendre et délicieux. Les Basques s’en régalent, tout comme à Dax, Agen ou Bordeaux. Le peuple l’associe rapidement avec les pois.

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Détail de Frans Snyders (1579-1657), L’étal du poissonnier, courtoisie Artcurial.

Cette salaison aquatique voyagera partout en France pour pallier aux spécificités des régimes imposés par la période du carême. Au XVIe siècle à Lyon on consomme également le dauphin frais, enfin plus ou moins car si la chair de dauphin s’abîme plus lentement, on juge frais un poisson ou un mammifère déjà mortifié dont la chair s’est ramollie.

Rondelet écrit en 1558 que la chair de baleine n’est pas estimée et que seule la langue est trouvée fort bonne si elle est salée. Les habitants de Bayonne fondent la graisse qu’ils utilisent aussi pour les lampes et emploient les os des côtes pour faire des clôtures de jardin. Le reste est destiné aux salaisons. La pêche à la baleine est alors une spécialité à Saint-Jean-de-Luz car les monstres marins ont tendance à venir s’y échouer en hiver. Vous avez dit manger du gras ?

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Détail de Frans Snyders (1579-1657), L’étal du poissonnier, courtoisie Artcurial.

 

Manger du gras, l’apanage des rois

Malgré les encouragements des notables, le peuple du royaume n’est pas convaincu par le goût et c’est davantage sur les tables aristocratiques que dans les plus basses extractions que l’on retrouve veaux, vaches et cochons de mer.

Ce goût pour l’exotisme ne date pas d’hier, le droit d’épave qui permet au Roi de disposer des poissons qui s’échouent sur les côtes n’y est probablement pas pour rien et au XVe et XVIe siècles on se régale de dauphins et de baleines sous toutes leurs formes.

Avant ça, François Ier goûtait déjà au boudin de sang et aux boyaux de phoque. Il faut dire que ces mammifères marins sont associés au gibier, privilège de la noblesse, on les apprête d’ailleurs souvent de la même manière en chassant leur nature sauvage par le talent de l’homme !

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Détail de Frans Snyders (1579-1657), L’étal du poissonnier, courtoisie Artcurial.

On use aussi de vinaigre : l’acidité enlève une partie de l’odeur de renard écorché que peuvent avoir nos bons marsouins une fois trimbalés sur les routes de France. Naissent alors de fines recettes telles que le dauphin à la bigarade, à l’aillade ou à l’oseille. En période de carême toujours, la carpe est lardée de gras de baleine et destinée aux pâtés froids. D’après Pierre Belon, une fois bien marinés on trouve à leur goût des similitudes avec celui du rouget ou des lamproies.

Avec le XVIIe siècle, les tables distinguées se détournent de la chair de baleine et tous sont classés tout en bas de l’échelle du bon goût. La consommation des mammifères géants va doucement disparaître au profit du lard universel : le lard de cochon.

Les Japonais, derniers mohicans du goût d’Ancien Régime, se détournent eux aussi progressivement de la chair de baleine. Cette graisse destinée aux jours maigres d’autrefois aura rendu bien des services en égayant un peu la ration quotidienne des longues nuits du carême. La prochaine fois que vous ferez grise mine devant un plat que vous jugerez trop gras, souvenez-vous en, il y eut pire, alors mangez du gras !

M.M

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