Culture
Beau livre : Melvin Sokolsky
L’éternel éphémère à Paris pour Louis Vuitton Fashion Eye
09 NOVEMBRE . 2021
Cocorico ! On a trouvé le cadeau de Noël le plus poétique : le dernier-né des beaux livres de la collection Fashion Eye de Louis Vuitton sonne comme une ode à la poésie parisienne. Et c’est à travers l’œil du photographe new-yorkais Melvin Sokolsky que la grâce aérienne, confrontée au vieux Paris, éclôt le mieux. Plongée en pleine décennie 60’s : attention, pas de trucage !
Melvin Sokolsky, les débuts au culot
Les débuts de Melvin Sokolsky sonnent comme une évidence : né en 1938, il grandit dans les tenements d’immigrants du Lower East Side et commence à photographier, son chien puis le monde, à l’âge de dix ans avec l’appareil rudimentaire de son père.
Biberonné à The Art and Technique of Color Photography, traité écrit par Alexander Liberman alors directeur artistique du magazine Vogue, puis par les principes du photographe Edgar de Evia, Sokolsky est un autodidacte aguerri, commençant à structurer son propre langage plastique, lorsqu’à 21 ans, en 1959, il est appelé par le Harpers Bazaar. Henry Wolf, fraîchement nommé directeur artistique du magazine, veut y imposer sa signature et donner un grand coup de jeune à la ligne éditoriale : il s’intéresse pour ce faire aux photographes émergents, dont Sokolsky, qui figure désormais aux côtés de Richard Avedon, Francesco Scavullo ou encore Hiro.
L’impertinence, l’irrévérence, la fantaisie de celui qu’on surnomme, à la rédaction, The Kid peuvent désormais (plus ou moins) s’exprimer et s’épanouir. Mais les idées de Sokolsky ne font pas toujours-loin de là- l’unanimité, dans un milieu de la mode qui s’effraie à l’époque de tout ce qui pourrait paraître vulgaire. Pour que sa vision soit acceptée, le Kid se joue du timing et impose en dernière minute ses idées lorsqu’une série lui a déjà été commandée, préférant subir les foudres de sa direction après-coup que de ne rien tenter. Des colères vite étouffées puisque contredites par les nombreux courriers de lecteurs enthousiastes et avides de nouveauté.
« Fort de la visibilité de ses séries de mode signées, Melvin Sokolsky joue avec les échelles, innove dans le langage postural, saute dans le cadre, propose d’audacieux contrastes entre décor et mannequin, conçoit d’improbables artifices, révèle et impose de nouveaux visages. Et bien sûr, il fait voler la mode ! »
Faire voler la mode : Bubble (1963) à Paris
Il faut ici tenter d’observer les photographies de Melvin Sokolsky avec l’œil du public des années 60. Point de Photoshop ni de retouche ou si peu : les deux séries réalisées à Paris sont de véritables prouesse de créativité et d’ingéniosité technique. Et pour répondre tout de suite à votre question : oui, les mannequins, Simone d’Aillencourt et Dorothy McGowan, volent dans les rues de Paris.
Mannequin fétiche du photographe, Simone d’Aillencourt se fait la complice de Sokolsky, qui prend un malin plaisir à confronter sa beauté aristocratique et hautaine devant les murs en ruine et le Paris populaire des années 60. Mais quid de la bulle ? Il s’agit en réalité de deux hémisphères complémentaires, thermoformés à partir d’une feuille de méthacrylate, une technologie développée pour l’industrie aéronautique. Vient se poser sur la bulle un double cerclage en métal avec une charnière (un principe imitant celui des œufs Fabergé, affirmera le photographe !) unissant les deux moitiés. Enfin, on y ajoute un anneau qui supportera la suspension d’un câble en acier de trois millimètres de diamètre. Si fin, qu’il n’est souvent pas utile de le retoucher sur la photographie finale : il disparaît.
« Au sein de la bulle suspendue, Simone, parfaitement à son aise dans cet univers flottant, fait voler les jupons d’une robe ample et vaporeuse -de l’organza plissé ?- que la lumière du soir embrase telle une flammèche. » – Alain-Paul Mallard
Des photographies en couleurs d’époque
Dans le Fashion Eye publié par les éditions Louis Vuitton, on découvre, surtout, les photographies inédites, en couleurs d’époque, issues de films Ektachrome perdus et retrouvés par le photographe. De quoi redécouvrir le grand coloriste qu’était également Sokolsky. C’est Paul-Alain Mallard, qui livre un texte passionnant sur la genèse des deux projets parisiens dans le livre, qui nous apprend à les regarder : « en quoi ces clichés parisiens nous font-ils voir Bubble d’un œil neuf ? Cela change tout et rien à la fois. Les tenues, que l’on ne faisait que deviner auparavant, sont davantage mises en valeur. On remonte le temps pour découvrir un Paris dans lequel la palette chromatique était bien plus discrète et bien moins éclatante qu’actuellement. Un ciel bas, blanc, hivernal maintient la couleur à distance. »
Fantaisie aérienne, Fly (1965) à Paris
Pour Fly, deux ans plus tard, Sokolsky, qui avec son équipe a souffert de l’organisation nécessaire à la Bulle, s’appuie sur ses compétences en ingénierie (lui qui, au fil du temps, deviendra détenteur d’une demi-douzaine de brevets) et fait fabriquer dans un atelier d’appareils orthopédiques un corset en toile avec une armature en aluminium. « Il le fait équiper de trois anneaux métalliques positionnés de telle sorte que, si son intuition sur la physique des corps suspendus se révèle exacte, différents angles de vol seront possibles. » nous raconte Alain-Paul Mallard. Pour le reste, un trépied soulève Dortohy McGowan, et le tour est joué.
Originaire de Brooklyn, danseuse, Dorothy McGowan s’approprie l’espace aérien comme aucune autre avant elle pendant les tests lancés par le photographe et son équipe. Avec une maîtrise étonnante de son propre équilibre, elle flotte, toute en grâce et en figures… Esprit libre et révolté, la future Polly Maggoo de William Klein enchante bientôt la salle à manger de l’hôtel San Régis à Paris. Mais on laisse le mot de la fin à Paul-Alain Mallard. « Les convives ? Tous étrangers à la magie et au mystère de la légèreté et de la grâce ! Il s’agit d’une trouvaille subtile et cependant décisive dans la mise en scène. On n’assiste pas là à un vulgaire numéro de trapèze : Melvin Sokolsky semble nous dire que rares sont ceux qui savent reconnaître la poésie… » De quoi méditer sur l’éternel éphémère, comme nous le rappelle l’auteur à la fin de son essai, citant au passage Georges Pérec.
E.C
Louis Vuitton Fashion Eye : Paris, 96 p. 50 €
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Prolonger le voyage et découvrir tous les albums Fashion Eye des éditions Louis Vuitton
C’est d’actualité ! Ce week-end, jusqu’au 14 novembre, retrouvez la librairie éphémère des éditions Louis Vuitton (stand H21), animée de plusieurs signatures.
Samedi 13 novembre
14-15h : TENDANCE FLOUE, Villes du monde
15-16h : ALEXANDRE FURCOLIN, Fashion Eye Sao Paulo
16-17h : FRANÇOIS HALARD, Fashion Eye Greece
17-18h : SYNCHRODOGS, Fashion Eye Ukraine
Dimanche 14 novembre
15-16h : ROBI RODRIGUEZ, Fashion Eye London
16-17h : MELVIN SOKOLSKY, Fashion Eye Paris
Plus d’informations et billetterie pour la foire Paris Photo, par ici.