Culture
Exposition : Ettore Sottsass
Voyage initiatique dans le design italien au Centre Pompidou
05 NOVEMBRE . 2021
Au Centre Pompidou à Paris, les objets magiques d’Ettore Sottsass s’exposent jusqu’au 3 janvier 2022, en près de quatre cents œuvres, dans un parcours chronologique qui insiste sur la dimension spirituelle du designer. On vous emmène.
Son nom ne vous est pas inconnu. Ettore Sottsass, dont on vous avait déjà un peu parlé, à l’occasion de notre rencontre avec Yorgo Tloupas ou encore lors de notre visite au CIRVA de Marseille, est l’une des figures de proue du design italien. Le Centre Pompidou lui offre une belle rétrospective qu’on est allés visiter pour vous en dire deux mots. Oui, il était grand temps qu’Ettore Sottsass ait un article à son nom dans nos colonnes.
Sottsass, la couleur comme source d’énergie
Dans l’Italie d’après-guerre, le design est l’un des plus grands phénomènes, au même titre que le cinéma. Après des années de fascisme, la pratique n’est plus envisagée comme une solution rationnelle aux problèmes socioculturels et s’émancipe : on parle de contre-design.
La première partie de l’exposition du Centre Pompidou se déploie ainsi dans une série d’œuvres picturales abstraites réalisées dans les années 40 par Sottsass -qui, lui-même fils d’architecte, ouvre en 1947 son studio d’architecture. Le parcours, chronologique, est surtout pensé comme une plongée crescendo dans l’œuvre de l’artiste prolifique, doublé d’un fil intime, celui du quotidien, matérialisé par les agendas personnels du designer.
Les bases du travail de Sottsass, rappelant à cette période, par certains aspects, l’œuvre métaphysique de Giorgio de Chiric, sont déjà là : les surfaces colorées des œuvres de jeunesse qui préfigurent son approche architecturale, l’importance de la couleur comme source d’énergie et l’idée d’environnement.
C’est aussi la période des sculptures de Sottsass, dont quelques rares pièces sont parvenus jusqu’à nous. La seule pièce exposée de cette série, Plastico Spaziale, est une œuvre aux accents particulièrement constructivistes qui font référence aux recherches d’Anton Pevsner.
Sottsass ou l’Anti-design
Certes, Ettore Sottsass figure parmi les designers italiens les plus connus de nos jours. Mais ses contemporains n’en restent pas moins illustres : l’œuvre de Sottsass s’inscrit dans une émulation culturelle intense. En 1966-1967, à Florence, sont créés les groupes Archizoom et Superstudio réunissant plusieurs architectes comme Andrea Branzi dans une démarche remettant en cause les doctrines du modernisme.
Tous ces architectes, conscients des bouleversements de la structure de la société, réfléchissent à des solutions nouvelles en offrant leur vision de l’objet aux fonctions multiples. L’exposition The New Domestic Landscape, qui se tient au MoMA en 1972 est l’un des jalons les plus importants de cette réflexion. Aux objets déjà créés s’ajoute la production « d’environnements », véritables réflexions sur les modes de vie contemporains. Ettore Sottsass propose pour cet évènement un ensemble de caissons moulés dans du plastique ABS. Chaque caisson est dédié à un usage, chaque partie est modulable.
Sottsass imagine une nouvelle vie domestique nomade, peu éloignée, en somme, de nos préoccupations actuelles.
Cet environnement est exposé au Centre Pompidou non loin de deux séries photographiques, la première réalisée par Sottsass au Montenegro et projetée sur grand écran, la seconde, Design Metaphors, réalisée tout au long des années 70. Ettore Sottsass documente à travers ses photographies ses propres constructions qui sont à envisager comme des interventions dans la Nature et une méditation sur l’architecture. L’usage de la photographie chez l’artiste se situe donc à mi-chemin entre volonté documentaliste s’intéressant aux modes de vie contemporains, et réflexion sur la construction même.
L’aventure Memphis, l’apogée d’une réflexion
L’apogée de ces réflexions post-modernes aboutissent à la création du groupe Memphis en 1981, organisé autour d’Ettore Sottsass âgé alors de 63 ans et de sa compagne Barbara Radice. Il réunit un noyau de jeunes créateurs italiens : Aldo Cibic, Marco Zanini, Michel de Lucchi, Matteo Thun, mais aussi des créatrices françaises comme Martine Bedin, Nathalie du Pasquier, un designer britannique George Sowden ou encore l’Autrichien Hans Hollein.
Sur un air de Bob Dylan, les artistes conçoivent un corpus d’œuvres aux formes simples et aux couleurs vives, dénuées de toute référence culturelle. Cette liberté de création est aussi rendue possible grâce au soutien de collaborateurs extérieurs qui œuvrent à la production, la commercialisation et la diffusion des pièces.
Il est difficile de parler de « style Memphis », mais l’usage du mélamine aux décors graphiques et colorés est néanmoins un élément signature souvent utilisé sur ces objets poétiques où l’on distingue mal le précieux du pauvre, l’authentique du faux. La pièce-totem de Memphis ? Sans doute la bibliothèque Carlton d’Ettore Sottsass créée en 1981 qui rappelle une structure d’un château de cartes.
« I am half an architect and half something else that defies definition »
Sottsass n’est pas seulement architecte. A la fois artiste, designer, photographe, penseur, et même un peu gourou, disons-le, ses moyens d’expression ne se limitent pas à l’architecture.
Bien sûr, son héritage culturel et sa formation font de la ligne un principe. Mais Ettore Sottsass érige la couleur comme le matériau le plus expressif. La couleur souligne la réalité d’une structure et offre la liberté de remplir l’espace. Son premier exemple de meuble réalisé, le Cabinet Grassotti (du nom de son commanditaire) en est le parfait exemple.
Ettore Sottsass ne s’est jamais limité à un champ d’action. L’exposition met d’ailleurs en lumière la diversité de sa création : art du tissage, création de mobilier, de luminaires, de bijoux, céramique, de verrerie… et prouve ainsi le talent de Sottsass à traiter toutes les échelles.
En 1966, il produit une série de maquettes, les Superbox, conçues comme de « petites architectures ». Ces armoires aux formes simples sont l’occasion d’expérimenter pour la première fois le stratifié qui deviendra le matériau-signature de Memphis. Ces maquettes à échelle réduite donc, sont photographiées puis publiées dans la mythique revue Domus. Trois ans plus tard, elles sont produites à l’échelle 1 pour l’exposition Miljö för en ny planet (Landscape for a fresh new planet) à Stockholm, puis seront produites par l’éditeur Poltronova avec qui collabore Sottsass durant une grande partie de sa carrière.
Le Centre Pompidou offre une reconstitution historique de cette exposition où dialoguent les Superbox aux formes rigoureuses, d’importantes pièces en céramique comme Grand Altare -sorte de mausolée réalisé à partir de disques de céramique aux lignes douces- et un grand mandala lumineux réalisé à partir de néons diffusant une lumière chaude, créant le lien entre toutes ces pièces.
Focus : la céramique comme moyen d’expression
L’ensemble important de céramiques présenté à l’exposition du Centre Pompidou reflète à merveille le répertoire des formes et des couleurs mis en place par Ettore Sottsass.
Les premières créations en céramique du designer datent de 1956, lorsque l’entrepreneur américain Irving Richards lui commande une série destinée à l’export aux USA. Sa vie durant, Sottsass continue à produire des œuvres en céramique intrinsèquement liées à son expérience personnelle. Ainsi les 70 pièces de la série Ceramiche delle Tenebre exposées en 1963 à la Galleria Il Sestante de Milan, sont le fruit d’un travail réalisé deux ans auparavant lorsqu’il tombe gravement malade lors de son premier séjour en Inde. Ces pièces ont alors une valeur symbolique et rituelle et portent une réflexion sur la vie et la mort.
L’œuvre de Sottsass est largement inspirée de la philosophie orientale. Le rite, la cérémonie et le symbole sont ancrés dans sa création. Ce qui compte le plus pour l’artiste ? L’expérience émotionnelle.
Quelques années plus tard, en 1964, la série Ceramics for Shiva rappelle l’attachement de Sottsass à la culture hindoue. Là encore, les céramiques sont prétexte à jouer avec les effets d’échelle en traitant l’infiniment petit et le détournement d’objets usuels, mais aussi le monumental, comme avec les totems issus de la série Mirabili, complétée plus tard par les totems de l’exposition Menhir, Ziggurat, Stupas, Hydrants & Gas Pumps.
Et si les formes et couleurs sont toujours au cœur de la réflexion, les recherches sur la matière-même sont particulièrement intéressantes. La série Ceramiche di Lava en est l’illustration parfaite. La terre chamotte est travaillée de façon à conserver un aspect brut et noir profond rappelant la lave, tandis que des parties colorées sont émaillées, rendues brillantes et lisses.
L’amour du designer pour la céramique exprime à merveille son attrait pour les techniques séculaires et les arts populaires. Ces œuvres pensées, dessinées, façonnées, cuites, émaillées, recuites, vernissées résultent d’un savoir-faire ancestral qui, bien que maitrisé, est sujet aux aléas du feu. Oui, il y a bien une forme de magie dans l’œuvre achevée. On laisse le mot de la fin à Sottsass : « ceramic is a fascinating material : it seems off soft and grey… but once finished and radiant and purified by fire, suddenly becomes eternal ».
P.DC-S
Ettore Sottsass, l’objet magique,
Jusqu’au 3 janvier au Centre Pompidou,
Place Georges Pompidou,
Paris IV
11h-21h tous les jours sauf le mardi
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