Eros
Khalil-Bey : une collection érotique hors du commun
Paris, Second Empire
26 NOVEMBRE . 2021
Vous la connaissez sans, peut-être, le savoir. C’est l’une des collections d’art érotique les plus célèbres de l’histoire. Menée par l’un des dandys les plus connus de la seconde partie du XIXe siècle… On redécouvre ensemble la collection érotique de Khalil-Bey, ambassadeur turc en pleine effervescence Second Empire, collectionneur singulier, homme de mystère, amateur de nus féminin n’ayant pas froid aux yeux.
Khalil-Bey, un militaire collectionneur et mondain à Paris
Du Caire, où il naît en 1831, aux ors des salons parisiens, il n’y a qu’un pas. Fils d’un officier de l’armée égyptienne, Khalil-Bey étudie à l’école militaire égyptienne de Paris… Avant de se retrouves commissaire de l’Exposition Universelle de Paris. Par la suite, il entre dans les services diplomatiques et devient ambassadeur en Grèce puis en Russie. Contre toute attente, il se retire de la vie politique en 1865 et s’installe à titre privé à Paris dans un superbe appartement haussmannien à côté de l’Opéra Garnier, Boulevard des Italiens. C’est là, dans ce lieu déjà célèbre pour avoir autrefois appartenu au prince Nicolas Demidoff ainsi qu’à Lord Hertford, grand collectionneur britannique d’art français, que Khalil-Bey décide de prendre part à la vie artistique parisienne.
Dans cet appartement somptueux, il organise régulièrement parties de jeux, fêtes et réceptions. Reconnu pour être un bon vivant, il sait recevoir et à chaque réception et le champagne coule à flot tandis que les petits plats sont mis dans les grands… Mais si le tout Paris se presse à la table de l’ambassadeur, c’est avant tout pour admirer ses murs.
La collection d’art érotique de Khalil-Bey
Conseillé par le grand marchand d’art Durant-Ruel et en tant que véritable acheteur boulimique, Khalil-Bey couvre les murs de son appartement parisien en moins de deux ans. Grand collectionneur de paysages, d’art oriental, passionné par le travail des maîtres nordiques et artistes français, Khalil-Bey rassemble rapidement une centaine d’œuvres d’art. Outre par sa qualité, la renommée de cette collection tient surtout dans sa singularité : son érotisme.
Eh oui ! Ci et là, sur les cimaises de son appartement, Khalil-Bey accroche les plus scandaleuses et sulfureuses toiles de son époque. Dont la plupart sont visibles, de nos jours, dans différents musées. Approchez-vous, vous les connaissez… Une scène d’homosexualité féminine de grand format réalisée en 1866 par Gustave Courbet, plus connue sous le nom du Sommeil (désormais conservée au Petit Palais, à Paris, et dont on vous parlait déjà ici) prend place aux côtés du Bain Turc le plus érotique de l’histoire peint par Jean-Auguste-Dominique Ingres en 1863 (Musée du Louvre, Paris) et de la copie d’un des plus beaux nus de l’art occidental, la Vénus d’Urbino du Titien. De quoi délier les langues des spectateurs face à tant d’impudeur.
Chef-d’œuvre de la collection, L’Origine du monde de Gustave Courbet
« Dans le cabinet de toilette du personnage étranger auquel j’ai fait allusion, on voyait un petit tableau caché sous un voile vert. Lorsque l’on écartait le voile, on demeurait stupéfait d’apercevoir une femme de grandeur naturelle, vue de face, extraordinairement émue et convulsée, remarquablement peinte, reproduite con amore, ainsi que disent les Italiens, et donnant le dernier mordu réalisme. »
Le véritable chef d’œuvre de cette collection, vous le connaissez (on vous en parlait par ici) et il n’était pas disposé sur un mur à la vue de tous. Créée à la demande de Khalil-Bey lui-même, L’Origine du monde de Gustave Courbet, représentant le sexe et le torse d’une femme allongée nue sur un lit, les cuisses semi-écartées, et cadrée de sorte que l’on ne puisse pas apercevoir le reste de son corps, était dissimulée sous un rideau vert dans le cabinet de toilette du maitre des lieux. « C’était chez Khalil-Bey, là où se trouvait ce fameux tableau, le chef d’œuvre, paraît-il de Courbet : L’Origine du monde. Une femme nue, sans pieds et sans tête. Après le dîner, on était là, regardant… admirant… On s’épuisait en phrases enthousiastes : C’est merveilleux… »
Enfermée et isolée du reste de la collection, L’Origine du monde était destinée au regard d’un amateur érotique et à la délectation de quelques spectateurs avertis. Le geste du collectionneur, qui d’un mouvement de la main, soulevait le voile pour découvrir le sexe féminin de la toile, permettait de transformer immédiatement le spectateur en un voyeur privilégié… Et de participer au mythe de cette collection hors-norme.
Exceptionnelle mais …éphémère puisque, criblé de dettes de jeu, Khalil-Bey est contraint en 1868 de vendre l’ensemble de ses toiles aux enchères. Une petite mort pour une grande collection.
L.M
Voir les oeuvres de la collection d’art érotique Khalil-Bey : au Musée du Louvre et au Petit Palais.
Et puisque vous êtes au musée, profitez-en pour observer d’autres oeuvres érotiques et scandaleuses dont on vous parlait déjà dans Les Hardis !
Relisez notre article consacré l’Olympia de Manet, un autre scandale de l’histoire de l’art érotique. (Musée d’Orsay)
Relisez notre article consacré à La femme piquée par un serpent de Clésinger, qui elle aussi fit couler de l’encre ! (Petit Palais et Musée d’Orsay)
Relisez notre article consacré à Rolla, d’Henri Gervex, où la prostitution est à l’honneur. (Musée d’Orsay).