Gastronomie
Portrait : Les folles expériences du Chef Florent Pietravalle
A La Mirande, Avignon
12 JANVIER . 2022
Veni, vidi, mais pas vici. On a testé le restaurant gastronomique 1 étoile (bientôt 2, on vous l'affirme) du Chef Florent Pietravalle à l'hôtel La Mirande, au pied du Palais des Papes à Avignon. On l’a suivi dans les sous-sols de l’établissement mythique et on a observé ses expériences. On en est ressorti transcendé. Récit.
« ça, c’est un vieux vinaigre de sureau que j’ai fabriqué… 2019, tu vois ? Rien n’arrive autrement que brut ici ! » Florent Pietravalle nous désigne la bouteille au fond de la pièce sombre, elle-même perdue dans le dédale de galeries composant les sous-sols des lieux. Caves imposantes d’un château médiéval ? Plutôt terrain de jeu du Chef officiant au célèbre restaurant gastronomique de La Mirande, le non moins mythique hôtel avignonnais accroché au pied du Palais des Papes.
Le voici galopant à nouveau dans les entrailles de l’hôtel, nous entraînant à sa suite et désignant ici la cochonnaille mise à sécher, là une chambre de fermentation, plus loin sa champignonnière… C’est que, comme un savant féru d’expérimentations, Florent Pietravalle ne se lasse pas de tester, modifier, extraire, en un mot : créer en cuisine. « On en apprend tous les jours » souffle-t-il, le nez sur une botte de shiitake en formation. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le Chef de La Mirande n’a pas le temps de s’ennuyer.
Originaire de Montpellier, arrivé en 2016 à La Mirande, Florent Pietravalle a fait ses classes dans la cour des grands, l’Atelier Joël Robuchon à Paris, Jean-Luc Rabanel à Arles et à nouveau dans la capitale, chez Pierre Gagnaire, pendant près de quatre ans. Nos amis de Yonder nous avaient prévenus : du grand art. Une maîtrise, une technique, dignes d’une seconde étoile qui, on y croit fermement, ne devrait pas tarder à honorer le Chef. On a découvert, en plus, un je-ne-sais-quoi d’obsessionnel qui nous a plu.
L’obsession du produit
L’obsession du produit -qui devrait être celle de tout bon chef, me direz-vous- se traduit en un « travail de longue haleine » pour sourcer : à La Mirande, tout est local. Réellement local. « Sauf le caviar, le seul aliment extérieur que je m’autorise, puisque nous sommes une maison bourgeoise, » précise le Chef, dans un clin d’œil. A part ça ? « Pratiquement chaque produit cuisiné par nos soins correspond à un producteur différent. C’est ce qui fait la différence : le sur-mesure, l’échange entre la cuisine et le terrain, qui permet d’obtenir des choses beaucoup plus intéressantes. On est toujours dans la recherche, perpétuelle, dans une région qui plus est très riche ! S’adapter à l’endroit où l’on se trouve, voilà le vrai défi.»
Et tandis que les pêcheurs de chez Côté Fish (Gruau-du-Roi) capturent des espèces présentes en abondance dans la Méditerranée toute proche, mais souvent considérées comme moins nobles que d’autres plus connues, Florent Pietravalle élabore des menus sans faute, mêlant « le brut, le rustique » et le subtil. Ainsi use-t-il du Chinchard, « ce poisson très gras, qui fixe les goûts » qu’il fume légèrement et sur lequel « à température, on dépose une tranche de bœuf juste poché, comme une caresse. Pas d’anguille, une espèce en voie de disparition que j’ai arrêtée à la carte au profit de poissons de mer locaux. C’est la force de notre cuisine : montrer qu’on peut manger autrement. »
Quid de la viande, justement ? « Je suis un consommateur de viande intelligent, je tiens au respect de l’animal et je veux aussi qu’on le consomme entièrement, sans gâchis : il faut faire comprendre aux gens qu’il ne peut pas y avoir que des carrés de cochon et des côtes de bœuf, que l’épaule ou la tête se mangent aussi ! » Parlons-en, justement, de cette tête de cochon en ragoût qui nous a fait fondre, au milieu de laquelle se logeait discrètement une anémone de mer prête à exploser comme un feu d’artifice contre votre pauvre palais qui n’avait rien goûté de tel depuis un moment. « C’est sûr, tu étonnes plus les gens avec ces morceaux qu’avec un simple filet… tu t’amuses plus, aussi » sourit le Chef.
Un menu en séquences à La Mirande
Florent Pietravalle a décidé, en septembre dernier, de rebattre les cartes des menus du restaurant de La Mirande. En résultent des propositions de « séquences », entre deux et quatre, pour que le client se laisse guider et surprendre le plus possible. Chaque séquence correspond à un thème : en l’occurrence à notre passage, le bœuf, la mer, le gibier et l’agrume. Le chef envoie plusieurs assiettes, parfois en même temps, pour une séquence. Ne cherchez pas, vous aurez du mal à vous y retrouver sans explication dans ce ballet (auquel fort heureusement les équipes du service sont bien rodées). Un conseil : laissez-vous guider.
C’est ainsi que nous avons découvert la kumquatine (comprendre le résultat du mélange entre kumquat et clémentine, que le chef assortit à une crevette grillée au barbecue japonais, un sabayon de carottes et carotte confite) ou encore le citron caviar sanguin, deux inventions que nous devons à l’agrumiculteur Damien Blasco, qui veille amoureusement sur ses presque 350 variétés d’agrumes près de Perpignan… Et dont certaines, hybrides, sont de sa création.
Fermentation, champignonnière, poire noire : les expériences de Florent Pietravalle
Et l’obsession des expériences ? Celle-là appartient aussi à Florent Pietravalle, capable de disserter un quart d’heure sur la poire noire. Kézako ? Le même principe de cuisson que l’ail noir : le sucre que contient le fruit qui caramélise tout doucement pendant qu’on le laisse dans une chambre de fermentation à soixante degrés, avec un taux d’humidité à 70% (ce qui empêche l’aliment de sécher, vous suivez ?), pendant six mois. Résultat ? Une poire aux saveurs nouvelles, puissantes, exaltées. Mais souvenez-vous : ici, 0 gâchis. Certaines poires noires caramélisées sont mises à macérer dans de l’eau de vie, pendant un an. Et puis ? On filtre pour avoir l’eau de vie, vous explique patiemment le Chef. Et tant qu’on y est, on récupère le dépôt « qui ressemble plutôt à une confiture, d’ailleurs » et on en fait un sorbet… de macération. Oui, cette petite cuillère de sorbet, dite quenelle d’ailleurs, qui accompagne une poire confite et sa compotée et une guimauve brûlée au charbon, est le fruit de longues heures, de longs mois de patience et d’expérience. Inédit.
A côté de la poire noire, le garum paraîtrait presque easy : Florent Pietravalle réalise bien sûr ses propres fermentations de viandes et de poissons selon cette technique romaine (de l’Antiquité, donc). Pour le garum de bœuf que nous avons goûté, il s’explique : « nous avions besoin d’une sauce forte, type sauce soja, concentrée et puissante. On a pris les parties du bœuf qu’on n’utilisait pas, qu’on a mis à macérer avec du koji, dans la chambre de fermentation pendant trois mois. Après qu’on on filtre et on obtient cette sauce à base de bœuf, très forte, avec un umami incroyable. La fermentation, c’est une façon pour nous de conserver les produits et de les réutiliser surtout, toute l’année, sans tricher… » Comme cette mûre « ramassée sauvage, magnifique, qui est comme stérilisée : elle ne bougera plus ». Oui, on s’en souvient de cette mure et de sa saveur, posée sur une biche cuite à l’étouffée au thym, au romarin et au pin, recouverte d’une sauce royale (vin rouge et sang de biche), assortie à une compotée de chou rouge, quelques pickles de betterave, un miso de riz de Camargue, un oignon doux et une glace de betterave qu’on nous ordonne d’user comme d’un condiment. On s’était exécuté avec joie.
Et puis, il y eut la visite de notre pièce préférée : la champignonnière. 90% d’humidité, une pièce ne dépassant pas les 18 degrés, un petit air de scène de crime à la Dexter quand on passe le rideau en plastique… C’est là que le chef (et deux personnes à plein temps) font pousser des pleurotes en quatre variétés, des champignons de Paris et autres Shiitakés. « Un beau projet » souffle Florent Pietravalle avec un l’air d’un enfant dans un magasin de jouets. Deux semaines pour incuber le mélange, issu de tous les marc de café de l’hôtel et des déchets organiques du petit-déjeuner et du tea-time, mêlé au micellium, puis deux autres semaines pour que (silence) ça pousse.
On pourrait vous parler encore longtemps des prouesses du Chef à La Mirande, de cet encornet charnu et gras de bonheur, qui baignait dans son consommé de bœuf accompagné d’un œuf de caille, de ces arêtes de poisson qu’on ne jette pas mais qu’on fait sécher pour les transformer, du kimchi et de la rhubarbe. Mais on préfère vous laisser la magie de la surprise et du moment. On laisse le mot de la fin à Florent Pietravalle qui, à la question cent fois posée « comment t’est venue l’idée ? » répond, simplement « l’observation, puis la compréhension des choses ». On reviendra.
E.C
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