Eros
Petite histoire de la carte de visite érotique
Le Paris sulfureux du XIXe siècle
07 JANVIER . 2022
Vous y réfléchirez à deux fois avant de tendre votre carte. Au XIXe siècle, sous le Second Empire à Paris, la concurrence fait rage chez les filles de joie… Lesquelles, ne comptant plus seulement sur le bouche-à-oreille qui fait leur réputation, adoptent une nouvelle méthode publicitaire pour accroître leur clientèle : la carte de visite érotique est née.
Filles publiques, courtisanes, cocottes, lorettes, demi-mondaines, raccrocheuses, racoleuses, belles de nuit ou encore fleurs de pavés, le vocabulaire ne manque pas pour désigner les femmes qui vendent leurs corps sous le Second Empire… Paris, perçu à cette époque, comme une nouvelle Babylone, voit se développer de nombreux lieux de plaisir au sein desquels la prostitution bat son plein. Et si de nombreuses filles se font alors connaitre grâce au bouche à oreille de leurs clients vantant leurs différents savoir-faire ou particularités, saviez-vous que d’autres réalisaient des cartes de visite érotiques ? De quoi échauffer les esprits de ces messieurs et développer efficacement le carnet d’adresses de ces dames.
Le Second Empire ou l’essor des plaisirs de la chair
On vous en a souvent parlé, la société du XIXe siècle développe une véritable obsession pour les divertissements charnels. Pendant les années 1850-1860, la prostitution s’épanouit et les maisons closes et bordels ne désemplissent pas.
Le 1er janvier 1861, 1929 femmes sont officiellement rattachées aux bordels parisiens sous l’appellation de filles soumises tandis que le fameux Livre des courtisanes, registre de la préfecture de Police de l’époque, compte 415 courtisanes fichées dans les années 1860-1870 pour 560 clients. Mais alors, comment tirer son épingle du jeu quand on est courtisane et qu’il existe autant de concurrence ?
Capter le corps féminin : les débuts de la photographie
Drôle de hasard, mais l’ébullition de la société parisienne pour les plaisirs corporels coïncide avec la naissance de la photographie dans les années 1850. Ce nouveau médium instaure d’emblée une nouvelle ère en offrant des potentialités novatrices de figuration du corps et de consommation de la sexualité. La grande révolution photographique apparaît avec le portrait carte-de-visite, ou portrait-carte, créé par André Adolphe Eugène Disdéri. Ce procédé, établi grâce à l’invention de ce que son créateur appelle « châssis multiplicateur », permet de diminuer les coûts de production du portrait et de son prix de vente afin d’élargir la clientèle des portraits photographiques. Ainsi, grâce à cette nouvelle technique, Disdéri juxtapose plusieurs prises de vue sur un même négatif, constituant ainsi une mosaïque de petites images identiques d’un format standard de 6 x 9 cm.
Vous sentez la suite arriver ? Ces portraits cartes de visite sont alors vendus à prix défiant toute concurrence et s’éloignent du cercle très fermé de l’aristocratie parisienne pour conquérir un nouveau public plus modeste : la classe émergente… mais également celle des filles de joie ! Ne se cantonnant plus à la simple sphère privée, ces images investissent désormais l’espace public et racolent les flâneurs, pour leur plus grand plaisir.
Prenez ma carte !
Grâce à la précision du médium photographique permettant un rendu fidèle du grain, de la texture et de la transparence de la peau ainsi que des expressions nuancées du regard et du sourire, les filles s’empressent d’immortaliser leur plus joli profil (et pas que!) chez le photographe. Sur ces images, l’enjeu est de taille : elles se doivent de sortir du lot pour susciter l’envie de leurs futurs clients.
Vêtues de leurs plus belles (et coquines) robes, soulignant décolletés vertigineux et poitrines généreuses, les filles témoignent de leur disponibilité, alanguies sur leur chaise, les jupons négligemment relevés. Tout est mis en scène pour attirer le client, l’aguicher et lui donner le désir de venir à leur rencontre… Puisqu’elles n’attendent que lui pour être consommées.
« Je suis coquette, Je suis lorette, Reine du jour, reine sans feu ni lieu ! » – paroles d’une célèbre chanson populaire de l’époque
Ces images, rehaussées parfois à la main, par le coloriage des chairs, yeux ou accessoires (colliers et bracelets, gazes et voiles ou encore bas de jupons) renforcent encore plus l’illusion de réel et attisent la curiosité des amateurs… qui n’ont qu’à retourner la carte pour découvrir l’identité du désirable modèle.
Mais si ces cartes de visites conjuguent avec brio érotisme et suggestion, elles ouvrent aussi la voie à une infinité de possibilités de mises en scènes. De la création d’images sensuelles à celle de la photographie pornographique, il semble ainsi n’y avoir qu’un pas, et, très vite, les « nudités absolues » révélant sexes ou actions sexuelles se multiplient… De quoi faire travailler l’imagination et l’envie pour les siècles à venir.
L.M