Gastronomie
Portrait : Pauline Séné
Artiste-cheffe au Fripon, à Ménilmontant
02 FéVRIER . 2022
Il serait facile de présenter Pauline Séné comme l’une des ex-candidates Top Chef 2021, sauf que son parcours est loin de ne se résumer qu’à cela. A la tête du restaurant Fripon, à Ménilmontant, depuis le début de l’hiver, cette jeune cheffe talentueuse est bien décidée à montrer qu’elle est là pour rester. On a testé, et on vous l’affirme : la gastrosphère n’a pas fini d’entendre parler de Pauline Séné.
Loin des médias, une cheffe au talent discret
Ce mardi midi tout gris de janvier, le restaurant de Pauline affiche complet. Un présage non négligeable dans une période sanitaire compliquée, où les restaurateurs peinent à remplir leur salle. « Je suis super contente de voir que les gens se déplacent alors que nous ne sommes pas très visibles sur les réseaux sociaux…Ça prouve que le bouche à oreille, à l’ancienne, ça fonctionne ! » rit Pauline. Du haut de ses 29 ans, celle qui est pourtant passée par le rouleau compresseur médiatique Top Chef reconnaît n’être « pas très connectée », préférant de loin capitaliser sur son talent pour se faire connaître, plutôt que pour son passage sur M6. Et si l’on en croit les gourmets qui se pressent chez Fripon, du talent, Pauline en a à revendre !
Laurent, l’Auberge Basque, Semilla, Cobea, un parcours précis
Devenir cheffe n’a jamais été une question pour la jeune femme. Avec un père grossiste à Rungis et des grands-parents maraîchers, dès le collège, l’adolescente s’amuse à dresser des listes de courses, en vue de ce qu’elle va concocter les weekends. « Après avoir fait mon stage de 3e dans un resto, je voulais déjà arrêter l’école pour faire de la cuisine. Mais mes parents ont voulu que je passe mon bac d’abord, ce que j’ai fait, avant de m’inscrire à Ferrandi ».
Son apprentissage démarre fort, avec un stage au restaurant étoilé le Laurent, sur les Champs-Élysées, où elle se retrouve seule femme au milieu d’une brigade de trente hommes. « C’était Alain Pégouret le chef à l’époque, et le restaurant n’était pas connu pour être un établissement facile… Mais je me suis bien adaptée à tous ces garçons, j’ai toujours eu l’habitude d’être en groupe, donc je me suis totalement épanouie dans ce milieu-là ! » A la suite de son stage, la voilà embauchée pour un an, en pâtisserie. Une expérience dont elle gardera un goût prononcé pour le visuel, même si elle a toujours résisté à l’appel du sucré. « J’ai toujours fait un peu de pâtisserie lors de mes différents postes, mais je n’ai jamais vraiment pensé à devenir cheffe pâtissière. Je trouve que c’est trop strict, on ne peut pas vraiment laisser libre cours à sa créativité… En pâtisserie, il faut vraiment suivre une recette, c’est très précis, alors qu’en cuisine, on peut bidouiller ! »
La pâtisserie reste donc un à-côté, tandis que Pauline perfectionne petit à petit ses aptitudes pour le salé. Chez Cédric Béchade, d’abord, à l’Auberge Basque, où elle restera un peu moins de deux ans. A Paris, chez Semilla, puis au 52, et enfin au Cobéa, étoilé, où elle sera sous-cheffe aux côtés de Philippe Bélissent. « J’ai eu la chance de toujours tomber sur des chefs avec qui l’on communiquait beaucoup, on créait véritablement ensemble les menus, je n’ai jamais eu à être dans l’exécution bête et méchante. Quand j’ai eu l’opportunité d’ouvrir mon restaurant, c’est cette émulation que j’ai voulu retrouver ». Pour la seconder, Pauline fait appel à Maud, avec qui elle élabore tous ses plats. Et des plats, il y en a, puisque la carte du déjeuner change toutes les semaines !
« Pour trouver des idées, je pars d’abord de ce qu’il y a à disposition chez mes fournisseurs comme produits de saison en agriculture raisonnée, puis je réfléchis à mes envies. On a beaucoup de gens du quartier, donc je fais en sorte de ne pas les lasser » – Pauline Séné
Au menu du Fripon
Dans nos assiettes ce midi-là, nous avons d’abord eu droit à une salade de betteraves au haddock, radis, halloumi et menthe. Un mélange étonnant sur le papier, délicieusement surprenant en bouche. Puis lui a succédé du lieu jaune, à la mousse de potimarron gratiné, butternut, et vierge de grenade. Là encore, les associations sont parfaitement maîtrisées, à l’image de l’assaisonnement, et les condiments, savamment distillés dans l’assiette.
Car le talent de Pauline se cache dans les détails. Sous le butternut se planque un condiment pâte de citron, qui vient contrebalancer la douceur de la grenade et le sucré de la courge. Les betteraves s’agrémentent d’herbes aromatiques et de graines de moutarde, et sont travaillées en différentes textures : carpaccio, houmous et pickles. « Quand je travaille un produit, j’aime bien en tirer le maximum, en l’utilisant de plein de manières différentes : cru, cuit, en purée, rôti… L’idée est de faire bien et bon, en gaspillant le moins possible » explique la cheffe. Chaque assiette dévoile ainsi son lot de surprises au fil de la dégustation, et se révèle bien plus complexe que ne le laissait penser les intitulés du menu. « J’aime surprendre avec des sauces et des petits condiments bien sentis. La sauce, je trouve vraiment que c’est ce qui fait tout un plat. Saucer mon assiette avec du bon pain, je trouve que c’est presque la meilleure partie ! », avoue Pauline. En définitive, ses plats sont à l’image de ceux qu’elle aime manger : généreux, travaillés, et plein de pep’s.
Côté desserts, que les becs sucrés soient rassurés, les créations de Pauline sont largement à la hauteur de ses plats, réminiscences de son apprentissage au Laurent. Là aussi, les quantités sont généreuses, les textures travaillées, et les saveurs délicates, à l’image de sa crème au mélilot, pommes Tatin, et crumble amandes, qui dissimule un caramel de graines de courges absolument addictif.
Une dynamique très féminine ?
Autour de nous, les convives goûtent, s’extasient, et prennent des photos, car, il faut bien le reconnaître, les assiettes de Pauline ont ce souci recherché de l’esthétique. Peu surprenant de la part d’une passionnée d’arts plastiques, qui avait pour habitude de dessiner ses assiettes avant de les dresser. « Dessiner me permet de visualiser comment je vais assembler mon plat. Même si le principal, c’est le goût avant tout, le visuel est important, on mange d’abord avec les yeux ». Aussi, la jeune femme prend toujours le soin de composer des assiettes délicates et colorées, même si, avec l’ouverture, elle reconnaît que le temps lui manque pour crayonner.
Et pour cause, en cuisine, elles ne sont que trois, en majorité des femmes, pour changer. « Ce côté girl power n’était pas nécessairement recherché, mais, assez naturellement, il s’avère que les profils qui m’attirent et qui m’inspirent dans ce métier sont des profils de femmes. Et j’adore la dynamique que l’on a avec Maud, ma sous-cheffe, et Aurore, en salle ». Même si le métier évolue, Pauline reconnaît qu’être une jeune femme cheffe dans ce milieu n’est pas toujours chose aisée. « On pardonne moins à une femme, note-t-elle. En tant que cheffe, on est toujours obligées de faire plus, d’être plus dure, plus ferme, parce que sinon, soit on ne te prend pas au sérieux, soit on te dit que tu es chiante… »
Alors la jeune femme se fait violence, et affirme haut et fort ses ambitions. « A Paris, la difficulté quand on ouvre un restaurant, c’est de se démarquer. Or, la cuisine « concept », ce n’est pas du tout mon truc. Avec Fripon, j’avais envie de revenir au basique : des plats lisibles, des jus bien exécutés… » Et la promesse est tenue, qu’il s’agisse du menu déjeuner ou des petites assiettes du soir, à partager.
Ravie du démarrage sur les chapeaux de roue de son QG, la cheffe se projette toutefois déjà hors de Paris dans quelques années : « j’ai ce rêve de retaper une vieille bâtisse, d’avoir ce lieu cocon, où je recevrai chez moi plutôt que dans un restaurant. Depuis que j’ai découvert le Pays basque chez Cédric Béchade, j’adorerai ouvrir une table d’hôtes dans la région ».
En attendant de s’envoler loin de la capitale, Pauline profite pleinement de ses premiers pas en tant que cheffe pour laisser libre cours à ses envies, au plus grand bonheur des habitants de Ménilmontant… et des gourmands qui ont flairé son talent.
C.d.S