Gastronomie
Les secrets du vin orange
09 MARS . 2022
Depuis quelques années les curiosités viticoles se multiplient. Au cœur de cette abondance de nouveautés, souvent sujettes à la rigolade il faut bien l'admettre, s'impose le vin orange ou vin ambré. Rien d'incongru, pas non plus un simple hochet pour bobos, tout au contraire. Le vin orange nous vient des confins du Caucase en Géorgie où les mêmes gestes sont répétés depuis 8000 ans au moins. Tâchons d'y voir un peu plus clair.
Imaginez un pays marqué par les invasions, tous en voulaient à la vigne des Géorgiens, pour l’interdire ou s’en emparer. Aujourd’hui ce sont les entrepreneurs qui cherchent à imposer aux vignerons une vision plus industrielle. Mais dans ce pays le vin est sacré, la vigne est sculptée dans la pierre des églises, Sainte Nino tressa ses cheveux avec des sarments de vigne et le peintre Niko Pirosmani a consacré une partie de son art à représenter le monde du vin. Les grappes poussent parfois sur les arbres fruitiers, les chevaux et les familles travaillent au vignoble. La Géorgie, pays aux 500 cépages et surnommée montagne de l’âme pourrait être le berceau du vin, là où le Caucase et la brise de la mer noire imprègnent la vigne.
Le vin géorgien, un savoir-faire vieux comme le monde
En Géorgie, des recherches menées dans une ville troglodytique ont permis de mettre la main sur des pépins de raisin vieux de 7000 ans avant J-C. Pépins d’une vigne cultivée. Une fois cueilli, le raisin est foulé aux pieds et placé dans des qvevri, d’immenses amphores en terre cuite enterrées en cave. Le plus ancien qvevri retrouvé intact en Géorgie est vieux de 8000 ans. Ces qvevri, fabriqués sans tour de potier, peuvent contenir jusqu’à 2000 litres de vin et peser jusqu’à 2 tonnes.
Avant de recevoir le raisin, ils sont nettoyés avec du propolis (et/ou de la cire d’abeille) et un bouquet d’herbes aromatiques. Le raisin est ensuite oxygéné deux fois par jour avec un long bâton de bois, puis une fois que la fermentation s’opère, on retire ou non le marc et on scelle l’amphore jusqu’au printemps au moins.
Pendant ce temps, la forme ovoïde des qvevri provoque une action mécanique naturelle et perpétuelle du vin. Ce procédé empirique, transmis oralement depuis des millénaires, produit des vins non uniformes aux notes de miel ou de fleur d’oranger, de fruits secs ou encore résineuses sans être sucrés pour autant. Le vin était ensuite vendu en vrac et consommé dans des outres en peau de buffle. L’embouteillage est une pratique récente qui s’est démocratisée avec l’engouement des Tsars pour les vins géorgiens. Puis, par l’enfant terrible du pays, Joseph Staline, grand amateur de vin qui rangeait sa collection personnelle en Géorgie, bien loin du tumulte de Moscou.
Le vin, au cœur de l’identité géorgienne
Le vin est au cœur de l’identité géorgienne : la première université d’œnologie remonte au IXe siècle et c’est à l’institut de Sakara que les Géorgiens ont découvert comment lutter contre le phylloxéra qui dévastait leurs vignes en les greffant sur des cépages américains plus résistants. Sur les 500 cépages répertoriés, une cinquantaine sont utilisés, on y trouve essentiellement des vins blancs appelés vins ambrés ou vins oranges, des vins rouges, rosés et des vins doux.
Avec le succès des vins naturels et la diffusion des vins géorgiens au-delà des frontières de l’ancien bloc communiste, les vignerons ont dû s’adapter, déjà à la demande croissante mais aussi à l’ambition des femmes qui devaient jusque-là se contenter de tailler la vigne. Autrefois interdites à la cave, elles cultivent, foulent et élèvent désormais le vin. Une véritable révolution dans un pays encore très conservateur. Si certains ont cédé aux sirènes de la modernité, plantent des cépages français et élèvent leur vin dans des cuves en inox, beaucoup résistent et produisent encore le vin de leurs ancêtres.
Le vin orange, qu’est-ce que c’est ?
Alors pourquoi parler d’un vin orange ou ambré et pas d’un vin blanc ? Peaux, pépins, rafles peuvent être introduits dans les qvevri, ce qui peut s’apparenter à la vinification du vin rouge. Le vin qui devrait être blanc prend ainsi la couleur des peaux, mais pas seulement.
C’est aussi tout le parfum de ces éléments qui va se diffuser dans le vin, produisant un goût particulièrement complexe dû à la macération. Si la couleur se rapproche des vins liquoreux, du vin de paille ou du vin jaune que nous connaissons déjà, ne nous y trompons pas, les vins oranges de Géorgie ne sont pas doux, au contraire.
Le procédé de macération pelliculaire permet d’extraire des pigments naturels, des phénols et des tannins, trois éléments généralement jugés indésirables dans du vin blanc hors des frontières du Caucase.
« En résumé, le vin orange est un vin blanc produit à la manière d’un vin rouge. »
Amphore en terre cuite en prime, oublions donc les saveurs apportées par le bois des fûts auxquelles nous sommes habitués, ici, c’est la terre qui s’exprime. Le vin orange est d’une infinie richesse et d’une grande variété mais on y retrouve certains éléments caractéristiques. Ces vins sont généralement peu acides, frais, particulièrement secs, souvent amères. Les fruits à coque dominent mais on y retrouve aussi le miel, le tilleul ou encore le coing.
La méthode s’est depuis diffusée en Slovénie, en Vénétie, Croatie ou République Tchèque et même en France ou en Espagne. En Géorgie, les cépages blancs les plus connus sont les Mtsvane, Rkatsiteli et Chinuri.
Avec quoi accompagner un vin orange ?
Le vin orange n’est donc pas une mode passagère ou un vin gadget que l’on débouche pour amuser ses amis, il est probablement l’un des plus vieux vins du monde et s’il peut parfaitement faire office de vin de méditation, il est aussi excellent pour accompagner des repas classiques ou au contraire particulièrement audacieux.
Puisque nous parlons de vins tanniques, il faut bien comprendre que ces vins possèdent une forte personnalité. Nous les aimons avec des volailles goûteuses comme la pintade ou la poularde de Bresse. Avec le gibier à plumes comme le perdreau, la poule faisane ou la bécasse. Mais également avec un canard à l’orange, des asperges blanches et une sauce maltaise. Avec un ragoût de veau aux olives, du ris de veau braisé, un carré de porc au cerfeuil, des plats exotiques et épicés comme des tajines ou des curry. Avec des crustacés, l’accord peut être très surprenant mais aussi des poissons grillés. Nous l’aimons surtout avec des fromages à pâtes dures comme les comté, parmesan ou tomme aux fleurs. Enfin, en saison, un accord avec de la truffe blanche d’Alba peut être des plus incroyables.
Surtout, souvenez-vous : le vin orange ne doit pas être comparé, c’est une expérience sensorielle nouvelle, c’est la découverte d’un terroir et d’un savoir-faire illustre et essentiel dans l’histoire du vin.
M.M
Où trouver un bon vin orange ?
A Paris : un rapide détour par les Xe et XIe arrondissements vous permettra de trouver une bouteille de vin orange géorgien en moins de 10 minutes montre en main.
Pour les autres, le site www.vins-etonnants.com par exemple propose un large choix de très bonnes références comme les vins d’Okro’s wines de chez John Okruashvili ou ceux du domaine Pheasant’s Tears de Gela Patalishvili. On compte également les vins de chez Kortavebis marani (marani signifie cave à vin en Géorgie) de Tamuna Bidinashvili.
En Italie, on pourra volontiers goûter au Vej produit en Emilie-Romagne ou au Dinavolino de chez Denavolo.
En Espagne, il faut souligner le domaine Escoda-Sanahuja et Cano Zarco.
En France, Julien Meyer, Pierre Rietsch, Eric Chevalier, Vincent Stoeffler et le célèbre Patrick Bouju produisent également de délicieux vins oranges mais il ne sont pas tous nécessairement produits en amphore.