Architecture
Portrait : Philippe Gravier
Nous reçoit dans sa maison-galerie
18 MARS . 2022
Un galeriste spécialisé dans la sculpture monumentale et les mini architectures, une maison-galerie (signée Rudy Ricciotti), véritable manifeste de son programme artistique, Bienvenue chez Philippe Gravier ! Parisien exilé à la campagne depuis le confinement, mille vies à son actif, et tout autant de projets, ce sextagénaire visionnaire n’a pas fini de bousculer le monde de l’art avec ses idées audacieuses. Le PAD l’accueillera la semaine du 5 au 10 avril prochain où il présentera en exclusivité un ensemble de mobilier-sculpture signé Bernar Venet. Rencontre-immersion dans cette étonnante galerie !
C’est au cœur du Vexin que se cache la plus grande « folie » de Philippe Gravier, au sens dixhuitiémiste du terme. Dans l’ancien atelier du peintre Jean-Paul Riopelle (dont témoignent encore un chevalet couvert de traces de peinture et de nombreux essais lithographiques tapissant les murs), Philippe Gravier lance son projet le plus personnel : une maison conçue par Rudy Ricciotti, considérée comme l’une des créations privées les plus emblématiques du starchitecte (qui a notamment réalisé le MUCEM à Marseille et le musée Cocteau à Menton).
En cela sont posées toutes les bases du maître provençal : piscine couloir, cubes de verre, cheminée centrale, grands rideaux acoustiques (pensés avec des costumiers de cinéma) formant cloisons qui deviendront plus tard des cloisons de béton. Les dés sont jetés, et le projet achevé en 2004, après quatre années d’importants travaux. « Le projet était fou, impensable, l’espace immense, mais si Ricciotti acceptait la mission, alors j’y allais aussi ». D’une amitié qui démarre sous le soleil de Cuba à l’occasion d’une biennale d’architecture entre ces deux hommes aux tempéraments de feu -joueurs, parieurs, fonceurs- et à la créativité sans pareille, naîtra une collaboration artistique riche et de joyeux projets.
La maison-galerie Philippe Gravier, un projet manifeste
Pour cet écrin aux volumes impressionnants (environ 800 mètres carrés), Ricciotti a également réalisé une ligne de mobilier, (table de salle à manger, fauteuils, tabouret « Juda »,) pièces qui deviendront les prototypes d’une série éditée par la suite par Philippe Gravier.
Mais qu’on ne s’y méprenne pas, il ne s’agit pas pour autant de se lancer dans l’édition de meubles en grande série, car ce qui intéresse avant tout Philippe Gravier c’est l’architecture, la sculpture, ainsi cette série aux côtes et corrections apposées directement sur les meubles, sera éditée dans des bois précieux, en 5 exemplaires, code d’édition relevant plus généralement de la sculpture. Prémices d’une nouvelle activité, initiée par cette « maison-galerie ».
Une collection de design des années 80 pour habiller les lieux
Pour compléter l’ameublement, c’est dans le style Art Déco (Paul Dupré-Lafon en tête) puis dans les années 80 que pioche le galeriste, du côté de l’Italie avec des pièces de designers comme Osvaldo Borsani et Paolo Piva, mais également avec une collection vertigineuse des plus belles créations de Philippe Starck, uniquement des pièces réalisés entre 1978-1985 « la meilleure époque » (celle qu’on explorait déjà il y a quelque temps avec notre article consacré à Martin Szekely). Fauteuils, chaises, ensemble de salon, table haute faite en collaboration avec Baccarat pour le Meurice, viennent habiller et converser avec l’espace pensé par Ricciotti, car de l’aveu du propriétaire, « ces deux personnalités, (entendez Starck et Ricciotti ndlr) se mariaient assez bien ».
Si la cote du design 80-90 ne cesse de grimper, de jeunes galeristes mettant au goût du jour ce style eighties, Phillipe Gravier n’est pourtant pas prêt de se séparer de ces pièces iconiques, nouvelle coqueluche des plus grands collectionneurs de design. Elles font partie intégrante de la maison, elles la complètent, et dialoguent avec elle. Elles forment un tout.
Intérieur-extérieur : l’expérience artistique globale
Et cet espace n’est d’ailleurs pas qu’une prouesse architecturale figée dans des matériaux pérennes. Pensée pour dialoguer avec la nature et brouiller les frontières dedans-dehors, grâce à un mur végétal (existant mais non encore planté)courant de l’intérieur vers l’extérieur conçu par Patrick Blanc, botaniste et inventeur des murs éponymes (à qui l’on doit notamment la façade du Quai Branly), cette surprenante maison mène sa propre existence, révélant une personnalité : un caractère de grande dame. « Elle m’échappe, elle craque, elle respire, confesse en riant le galeriste, c’est tout juste si j’y suis admis !»
Elle vit sa vie. Potentiellement ouverte aux quatre vents, cette maison ne se laisse pourtant pas facilement aborder, la façade sur rue est entièrement camouflée par la végétation, échappant aux regards des curieux, et se révélant sur l’arrière grâce à la totale baie vitrée qui permet l’intégration du jardin face au sous-bois (hommage à Monet) et offre ainsi une vue panoramique sur la nature environnante. Les bois abritent quelques pièces de la collection du galeriste et pourraient même un jour accueillir une piscine de 40 mètres « en coup de fouet » pensé par l’architecte, bordée de petits pavillons, nommés small houses, l’une des grandes spécialités de cette galerie Philippe Gravier pas comme les autres.
Les Small Houses & les Elements of Architecture comme nouveau moyen de collectionner les travaux d’architectes contemporains
Car si Philippe Gravier a mené une carrière de marchand d’art et de mobilier durant les grandes années aux Puces de Saint-Ouen, à vendre du mobilier Jean Prouvé, Charlotte Perriand ou Serge Mouille, il a opéré un tournant radical avec une nouvelle proposition audacieuse. « Je ne voulais pas rester figé dans ce que je faisais, je voulais faire bouger les lignes » C’est d’ailleurs avec l’expérience de cette maison ricciotesque qu’est venue l’idée de développer un modèle commercial autour de l’architecture, dans un premier temps à petite échelle avec l’édition du mobilier de la maison, « collection Gravier », qui est montré dans les foires puis très vite à une échelle plus importante : viennent alors les projets Small Houses et Elements of Architecture. « Les choses ont démarré comme ça avec les pièces crées par Rudy et ç’a fait école rapidement dans ma tête. Je suivais les projets de jeunes architectes brillants comme Sou Foujimoto, je trouvais leur travail plus impressionnant que les plasticiens contemporains et j’ai décidé de leur demander de faire des éléments d’architecture qui deviendraient des sculptures ainsi que des « folies » contemporaines : les Small Houses ».
Autrement dit des petits pavillons adaptés à des contraintes modernes : des unités nomades, durables, démontables, de 35-40m2, véritables concentrés d’architecture. Ces small houses pensées par les meilleurs architectes du moment (Kengo Kuma -dont on vous parlait déjà à Art Paris en 2018– Sou Foujimoto, Studio Drift, Odile Decq, Cruz Diez, la liste n’étant pas exhaustive) mais aussi des grands maîtres passés (Antti Lovag) intègrent le domaine du collectionnable par leur édition potentielle au nombre de huit.
L’idée est de concevoir intégralement la première maison sur les fonds propres de la galerie, et d’en conserver toute la documentation une fois qu’elles sont vendues (photographies, maquette, plans, échantillons de matériaux) pour pouvoir prendre commande des éditions suivantes. Le temps de production d’une telle œuvre ? Un an et demi, deux ans. La réalisation de ces maisons d’un autre type est confiée aux meilleurs artisans français ainsi qu’aux compagnons. Des commandes mêlant technologies d’avant-garde et traditions ancestrales, comme pour l’architecte Kengo Kuma qui met un point d’honneur à n’utiliser aucun système à boulon ou vis pour ses assemblages.
Travailler à cette échelle permet ainsi de bousculer les règles de l’art classique.
L’art comme une expérience, celle du futur
L’engagement réside dans le fait de vivre l‘expérience d’un espace. D’être au cœur de l’œuvre. « Le futur » nous glisse le galeriste. « Aujourd’hui l’art ne peut se résumer à des tableaux sur un mur, il faut mélanger les disciplines. L’art doit se vivre, ce doit être un art de vivre global, avec un aspect plus spirituel. Faire l’expérience de l’architecture, découvrir des collections, se restaurer sur place, une expérience totale des sens. »
Mais alors comment présenter ces projets monumentaux au grand public ? A travers les foires en suivant un mot d’ordre pour Philippe Gravier : « un solo show à chaque fois et jamais deux fois la même chose ». Art Basel, la FIAC (rappelons-nous l’incroyable installation de Carlos Cruz-Diez sur la place de la Concorde), Frieze, et bientôt le PAD Paris, pour la première fois.
Dédié à la présentation d’un ensemble de mobilier créé par Bernar Venet pour l’occasion, les 40m2 du stand du PAD accueilleront lampadaires, étagères arche, petit canapé, table basse, sculpture lumineuse, deux bibliothèques arc, banc de l’artiste français. Une collaboration qui dure depuis des années, initiée par le jeune directeur de la fondation, Alexandre Devals. « Bernar voulait développer le mobilier, mobilier que moi je nommerais plutôt sculpture tant la ligne de cette série emprunte ses codes à la sculpture »
Un autre projet excitant de sculpture monumentale (35 tonnes !) signée par le même artiste devrait voir le jour : une sorte de chapelle-pavillon, première sculpture de Bernar Venet dans laquelle on pourrait pénétrer… En attendant, on peut retrouver notamment grâce aux livres édités par la galerie les Elements of Sculpture de Claude Parent, Francis Soler (dont l’une des chaises sculpturales trône dans la cuisine de la maison) mais aussi celles de Dominique Perrault ou encore les Forests of Books de Sou Foujimoto.
Un marché qui se déploie doucement mais sûrement… à retrouver bientôt au PAD Paris
Cette proposition singulière obtient de plus en plus de succès : les ventes commencent à décoller, les parcs de sculptures étant très à la mode, mais comme le dit le galeriste « ce marché là en est à ses balbutiements, mais les débuts sont prometteurs » Les institutions ne s’y trompent pas, et gardent dans le viseur les actualités de la galerie. On nous glisse dans l’oreillette qu’un célèbre musée de Californie essaierait de réunir des fonds pour acquérir une small house. Car pour l’instant, seule la France a le privilège de détenir ces sculpturales architectures.
Le galeriste a également été approché par l’ancien curateur d’Unlimited (la section d’Art Basel consacrée aux œuvres monumentales) qui monte une exposition autour du thème des maisons nomades, retraçant l’histoire de ces demeures depuis les États-Unis dans les années 30 jusqu’aujourd’hui avec l’intégration des Small Houses de la galerie.
Et lorsqu’on ose poser la question du projet fantasme, on nous répond … Qu’il est certainement en cours ! Le galeriste a approché Leopold Banchini (l’un des co-fondateurs du studio suisse d’architecture Bureau A), totalement séduit par leur projet de refuge Antoine (un abri comprend une cabane en bois simple, enfermée dans une coque en béton prenant la forme d’un énorme rocher) pour l’exposer à Frieze, à Londres. Mais plutôt que de montrer un rocher sorti du contexte pour lequel il a été pensé –la montagne-, l’architecte a suggéré une nouvelle création qui touche à l’écologie avec la réalisation d’une serre à habiter dans laquelle les légumes pousseront verticalement, « sorte de sculpture à la Jean Tinguely, plaisir des yeux mais aussi du palais car … in fine l’idée sera aussi de pouvoir consommer ces légumes » avec encore une fois l’idée de brouiller les frontières intérieure-extérieur. Autant dire qu’on est plus qu’impatients de découvrir ce nouveau projet ! D’ici là, on se précipite au PAD (du 5 au 10 avril prochain aux Tuileries) pour découvrir l’ensemble inédit de Bernar Venet et le tout premier stand dans cette célèbre manifestation de cette galerie … pas comme les autres !
J.C
La galerie Philippe Gravier
A retrouver au PAD Paris, du 5 au 10 avril dans le jardins des Tuileries, à Paris avec une exposition consacrée à Bernar Venet.
Sur rendez-vous, en passant par le site de la galerie.