Cuisine
Quelle viande en quelle saison
Une question de bon sens
24 MARS . 2022
Manger de saison passe aussi par la viande et le poisson que nous consommons. Notre calendrier est rythmé par des fêtes auxquelles sont associées certains plats. Agneau de Pâques, veau de Pentecôte, jambon de porc, gibiers et volailles à Noël, mais pourquoi donc ? A l’heure de la perte de sens massive et de l’industrie agressive, difficile de s’y retrouver. Pour ceux qui mangent encore de tout, manger une viande de saison, qu’est-ce que ça veut dire ?
Les ayatollahs du calendrier armés de petites fiches arrachées au fond des biocoops sont prêts, smartphone à la main, à mener une opération de police des saisons sur les réseaux sociaux ; trop tôt pour cette asperge, trop tard pour cette girolle. C’est oublier un peu vite que les saisons et les climats sont fluctuants (souvenez-vous lorsqu’on vous parlait des aliments à cuisiner entre deux saisons). S’il est un sujet sur lequel on s’attarde moins, c’est bien la saisonnalité des produits appelés aujourd’hui « protéines animales ». Qu’il s’agisse d’une période de reproduction, de maturité, d’habitude multigénérationnelle ou encore de dogme religieux, tout ne se mange pas n’importe quand.
De l’agneau à Pâques, pourquoi ?
Les agneaux naissent généralement entre les mois de janvier et de juillet après que leur mère, la brebis, ait traversé une période de cinq mois de gestation. A partir de la naissance des agneaux, une période d’engraissement au lait, si possible maternel, est nécessaire pour que l’animal soit assez charnu pour produire de jolies côtelettes. Il est donc plus raisonnable de manger ses agneaux en été et jusqu’au début de l’automne.
Mais pourquoi manger un agneau à Pâques dans ce cas ? En relisant le livre le plus connu du monde, vous vous rendrez facilement compte qu’il s’agit du sacrifice d’un agneau venant de naître. Un agneau tout juste sorti du ventre de sa mère, autrement dit, un animal adorable et rachitique. L’agneau de lait appelé aussi agnelet est tué au bout de 40 jours et pèse une douzaine de kilos. Une fois qu’il commence à pâturer, il restera un agneau jusqu’à l’âge de 5 à 8 mois.
En France, pour des questions de goûts nous avons choisi d’ignorer le mouton, jugeant qu’une fois l’âge passé, l’agneau devient trop fort. Au début du XXe siècle, les gastronomes de notre gourmande nation vantaient encore pourtant les « membres » de moutons à la broche et dédaignaient les agneaux. Certains fustigeaient volontiers ceux de pré-salés, aujourd’hui mondialement réputés mais jugés autrefois inintéressants au possible. Si on trouve aujourd’hui de la viande d’agneau tout au long de l’année c’est parce que les éleveurs jonglent hélas avec les saisons ou que les agneaux sont des moutons – et les clients aussi.
La vraie vedette du printemps : le lapin
On ne vous le répèterai jamais assez : au printemps, la star, c’est le lapin (et c’est aussi notre image à la une) ! le lapin de clapier ou lapin fermier supplante aujourd’hui le lapin sauvage ou de garenne qui a pourtant régalé la France durant des années et ce jusqu’à l’épidémie de myxomatose.
Véritable image d’Épinal que celle du chasseur à la carnassière bien remplie de quelques garennes tirés aux portes de l’automne. Le lapin d’élevage, lui, est au mieux de sa qualité au printemps et c’est tant mieux car il s’accorde parfaitement avec les premières herbes sauvages et les légumes verts.
Veau de Pentecôte et veau gras d’autrefois
L’autre produit emblématique du printemps, c’est le veau, généralement abattu entre 3 et 10 mois après sa naissance. Le vêlage se fait à la fin de l’hiver, ajoutez trois mois de plus et vous obtiendrez plus ou moins la période de la pentecôte. Une idée commerciale inventée par les bouchers mais qui tombe sous le sens.
Et là, on a le choix : il n’y a pas que la tête de veau ! On l’aime aussi en blanquette avec des mousserons ou des morilles, mijoté avec des fèves ou des petits pois. Une fois l’été passé, le veau devient broutard, perd sa couleur blanche, fruit de son alimentation au pis de sa mère la vache. Le veau de l’automne ou de l’hiver est déjà un peu hors de sens.
La question du bœuf ne se pose pas, puisque le bœuf qui se trouve être généralement une vache est abattu une fois qu’on la juge assez grasse et ce tout au long de l’année. Les espèces comme l’Angus sont abattues généralement très jeunes, ce n’est pas le cas de plusieurs races endémiques et pas non plus celui des vaches de réforme.
Le gibier de chasse à l’automne
Les périodes de chasse sont extrêmement bien encadrées aujourd’hui, adieu Halbrans (le petit du colvert autrefois chassé au début de l’été), ou lapereaux de garenne et levrauts (chassés au printemps). Ces prises sont désormais hors de portée afin de laisser libre cours aux batifolages animaliers et au sevrage des espèces.
Concernant les oiseaux migrateurs, nombreux sont les commentaires des chasseurs d’autrefois qui boudaient la bécasse tirée au printemps dont la chair est rachitique. La période du gibier est indéniablement l’automne même si certaines espèces comme le sanglier ou le chevreuil peuvent être tirées au printemps et en été dans certaines régions. L’hiver fait la part belle aux sauvaginiers qui chassent bécassines, sarcelles et autres gibiers d’eau.
Tout est bon dans le cochon, surtout en hiver !
Tuer le cochon en hiver avait deux raisons, le climat froid, permettant une transformation plus ou moins hygiénique de la bête en saucisses et surtout un bon rapport de poids après que l’innocent sacrifié se soit gobergé de glands et de châtaignes.
Certains morceaux étaient consommés frais au moment de la tue-cochon, le reste devenait salaisons et saucissons pour être conservés et consommés tout au long de l’hiver, période pendant laquelle on pouvait souvent manquer. Aujourd’hui les cochons étant engraissés et élevés loin des glands, on en mange tout le temps et c’est plutôt regrettable.
Volailles de fêtes et poulet du dimanche
La famille des volailles étant assez vaste, elle nous permet de nous en régaler à longueur d’année. Au printemps on va privilégier la pintade et le pigeon, en été, place aux poulets et aux cailles. Quand vient l’automne, c’est la dinde, l’oie, le chapon ou la poularde qui sont assez grasses pour être à leur perfection. Le canard pour des raisons similaires au cochon est au mieux de son état en hiver.
Bien que les industriels et certains éleveurs peu scrupuleux adaptent la nature à la demande des consommateurs, les choses sont bien faites et si on veut apprécier un animal à la période où il sera le plus savoureux, respecter l’ordre des saisons s’impose. Cela permet aussi de permettre aux pâtures de se régénérer et c’est aussi permettre aux éleveurs de se reposer à certains moment de l’année ou de préparer la saison prochaine. Du bon sens en somme.
M.M