Cuisine
La folle histoire du petit pois
Et quelques conseils et recettes
04 MAI . 2022
Avant que le pois ne devienne petit, il était connu de l'homme depuis les prémices de la culture des jardins potagers. En 1660, c'est par l'appétit insatiable du Roi Soleil que le petit légume vert gagnait les faveurs de la société française. Depuis il est consacré par les cuisiniers et les gastronomes. Apprécié pour sa fraîcheur et fêté dès le début de la saison, il se consomme aujourd'hui toute l'année au détriment de sa qualité. Retour sur la folie du petit pois, de Versailles jusqu'à nos assiettes (et en quelques recettes).
On avait déjà parlé, dans ces colonnes, du goût acide des Français. Mais le petit pois représente sans aucun doute, lui aussi, un goût bien de chez nous. En 1660, le sieur Audiger rentre de Gênes dans le but d’obtenir auprès du roi Louis XIV le monopole des liqueurs fines et des limonades dont il a appris la technique en Italie. Il arrive le 18 janvier à Versailles et emporte avec lui une caisse de petits pois en cosse posés sur un coussin d’herbes et de boutons de rose. Le petit pois est connu en France depuis Guillaume le Conquérant au moins, la surprise ne vient donc pas du légume… mais de la date : nous sommes hors-saison. On en fait cuisiner, c’est le début d’un succès fracassant. La vraie histoire du petit pois peut commencer.
« Le chapitre des petits pois dure toujours. L’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis quatre jours. Il y a des dames qui, après avoir soupé avec le roi et bien soupé, trouvent des pois chez elles pour en manger avant de se coucher, au risque d’une indigestion. C’est une mode ? C’est une fureur. » – Madame de Sévigné
Le petit pois, roi des légumes, légume de roi
Le médecin du roi, Fagon, met en garde le monarque contre ses excès de pois verts et de fraises. L’estomac royal devient venteux et on peine à contenir l’appétit gargantuesque du Roi Soleil. Saint-Simon nous apprend que l’architecte Jules Hardouin-Mansart abuse des petits pois et cela avant que le roi n’en porte à sa bouche. Louis XIV est bouffi de jalousie. Ainsi, quand Mansart meurt d’une indigestion, le roi ne le pleure pas. Les petits pois sont alors appréciés au lard ou aux canetons.
Boileau dans son Repas Ridicule ne manque pas, comme à son habitude, de moquer la mode de la cour et son appétence pour les petits pois. Il est désormais qualifié de : « Ragoût des riches friands ». Plus tard, le gastronome Guy de la Reynière décernera le prix de Prince des entremets au petit pois. Il précise : « Le petit pois est sans contredit le meilleur et le plus délicat des légumes qui se mangent à Paris ». Antonin Carême, quant à lui, annonce « les petits pois doivent être mis au rang des légumes les plus précieux ». Rien que ça.
Le Roi des Halles se démocratise, prend le surnom d’Orgueil des marchés et figure dans le Calendrier Révolutionnaire. Un marché spécial aux petits pois s’ouvre enfin aux Halles de Paris et s’étend du 15 au 30 octobre chaque année. Son succès est considérable. Quand un plat en contient, il prend le nom d’« à la Clamart », ville d’Île-de-France où on en produisait d’excellents.
Le sacre du pigeon aux petits pois
Les petits pois se dégustent désormais en soupe et portent le nom de potage Saint-Germain. Le caneton les accompagne toujours mais le pigeonneau le chasse progressivement du bout de l’aile. Une association mythique vient de naître. Désormais, de la haute bourgeoisie aux moyens ménages, le pigeon aux petits pois est dans toutes les assiettes. Lorsque du jambon y est ajouté, le plat prend le nom de pigeon bonne-femme.
Des variétés sont développées en nombre : Pois nain, pois ridé, pois à rames, pois à grains ronds, pois à parchemin, sans parchemin, à écosser, mange-tout, pois des jardins, pois potager. Comme sur les champs de bataille, deux écoles s’affrontent : à la française ou à l’anglaise. Outre-manche, on fait cuire les petits pois dans de l’eau bouillante salée. En France c’est avec de la laitue, des oignons nouveaux et du beurre.
De nos jours, le vrai petit pois, tout un art
En Italie, l’arrivée du petit pois sur les étals donne lieu à des commémorations. On fête avant tout le renouveau et l’arrivée du printemps. Mais au XIXe siècle l’invention de la pasteurisation va redistribuer les cartes. Désormais le petit pois se trouve en boîte. Son vert n’est plus si éclatant, sa consistance moins ferme et son goût est corrigé à grand coup de sucre et de sel. Après la Seconde Guerre Mondiale, c’est la congélation qui va de nouveau réinventer le petit pois. Ils nous viennent désormais de l’autre bout du monde et endormis au frais dans le bac du congélateur, ils attendent d’être cuisinés.
Souvenons-nous des mots de Guy de la Reynière : les petits pois sont les rois des légumes frais. Croquants, sucrés, juteux, le petit pois dans sa primeur est irremplaçable. Bernard Pacaud, chef triplement étoilé de la discrète mais insubmersible maison l’Ambroisie de la Place des Vosges enseigne à ses apprentis comment peler les petits pois. Une fois la cosse retirée, les légumes sont blanchis à l’anglaise et refroidis dans un bain de glace. Quelques secondes suffisent. Ensuite, l’équipe se réunit autour de la table et du bout des ongles on retire la fine pellicule de vert tendre qui enrobe chaque pois. Le légume se sépare en deux demi pois. Pourquoi se donner tant de mal ? Il suffit de goûter pour comprendre. Le petit pois est dans sa perfection, plus rien ne l’entrave. Le chef l’accompagne de pigeon de la Bresse.
Comment cuisiner les petits pois ?
Sur les marchés, préférez les petits pois aux cosses fermes et humides, qui craquent sous les doigts. Tiges, feuilles et fleurs sont des indicateurs de fraîcheur. Les cosses une fois vidées peuvent être utilisées pour préparer un bouillon. Les petits pois écossés doivent être immergés dans l’eau mais attention, ils ne doivent pas y demeurer longtemps. La cuisson est très brève, entre 30 secondes et deux minutes en fonction du calibre et de la destination. Ils doivent ensuite être rafraîchis dans l’eau glacée et rapidement égouttés.
On peut alors, ou non, les peler (aux Hardis, on le fait sans hésiter !). Une noix de beurre ou un doigt de lard. Les petits pois sont mis à rissoler. On y ajoute laitue et ciboule au goût. Pas ou peu de poivre. Le vin y est inutile mais une cuillère à pot de bouillon de cosses ou de volaille peut faire l’affaire. Les petits pois sont déjà prêts. Le ragoût peut être lié d’un beurre manié comme le suggère François Massialot, grand officier de bouche de son temps. On passe à table.
Autre méthode, une fois les petits pois bien apprêtés, on beurre généreusement un sautoir avec du beurre pommade. On pose quelques fines allumettes de jambon de bœuf fumé au fond. On ajoute les petits pois, les ciboules et les feuilles de laitue. On termine par quelques copeaux de beurre et on ferme le sautoir. Deux minutes sans ouvrir sur des charbons ardents tout en secouant régulièrement l’ustensile. C’est prêt !
En Toscane, le petit pois accompagne de minuscules seiches qui peuvent être remplacées par de petits calamars ou des crevettes grises. Il se déguste aussi à Venise en risotto et prend le nom de Risi e bisi, un plat offert tous les ans au Doge de la Sérénissime. Ce qui en dit long sur son statut, aujourd’hui encore.
M.M