Art
La surréaliste histoire des Ateliers Hugo
Bijoux d’artistes de père en fils
13 MAI . 2022
De Picasso à Josh Sperling en passant par Cocteau, Ugo Rondinone ou encore Coco Chanel, l’histoire des Ateliers Hugo, fabricants de bijoux d’artistes depuis trois générations, est riche. Implanté dans un mas provençal près d’Aix en Provence, l’atelier continue de mettre son savoir-faire inédit au service des plus grands artistes du monde. Depuis plus de 65 ans, les Ateliers Hugo transposent l’essence de leur art en métaux précieux sous la forme de bijoux, véritables sculptures à porter. On a rencontré Nicolas Hugo, petit-fils de François Hugo, fondateur des Ateliers, qui a repris les rênes de la maison depuis 2018 pour écrire un nouveau chapitre de cette histoire aussi artistique que familiale.
C’est aux Deux Moulins, le célèbre café montmartrois que l’on donne rendez-vous à Nicolas. Il arrive, en pantalon blanc, mocassins et veste Prince de Galles, un mélange d’allure British et germanopratine que les touristes américaines venues découvrir le café d’Amélie Poulain ne manquent pas de photographier, plus ou moins discrètement. On rit de ce qu’il représente de symboliquement « français » au delà de son ascendance prestigieuse, car comme son patronyme l’indique, il n’est autre que le descendant d’un des plus plus célèbres écrivains français, Victor Hugo. Il faut dire que le jeune homme est volubile, un tantinet théâtral et que l’histoire que nous entendons est particulièrement réjouissante, faite de rebondissements qu’on a plaisir à découvrir et qui attirent la curiosité de nos voisins.
Les débuts de François Hugo : la guerre et les boutons
Elle commence ainsi : François Hugo, son grand-père, est né un an avant le tournant du XXe siècle, en Italie. La fantaisie marque de son seau la naissance de cet homme à la folle destinée. Touche-à-tout, François commence comme mécanicien puis part pour l’Ecosse où il apprend la technique du tissu jersey, textile autour duquel il fondera à son retour en France, une usine en association avec la célèbre Coco Chanel. Le nom sous lequel étaient commercialisés ces tissus ? « Hugo Chanel » bien sûr !
L’orfèvrerie l‘attire au début des années 30 et il monte rapidement son propre atelier à Paris. Il lance son activité en fabriquant des boutons, pour Coco Chanel toujours. S’ajouteront rapidement à la liste des commanditaires Schiaparelli puis Hermès, Rochas, Dior. Les plus grands.
Mais la pénurie de matières premières arrive avec la guerre et cette situation pourtant désastreuse lui donne l’opportunité de révéler tout son génie : il se fait ainsi remarquer en créant des bijoux très sculpturaux avec des matériaux pauvres, récupérant notamment du cuivre de fils électriques. Du grandiose avec des matériaux ordinaires. Pas moins de 2000 boutons seront alors fabriqués, des pièces uniques, pour orner des robes Haute Couture. 900 d’entre eux ont été donnés par la famille au Palais Galliera, sous la condition impérative que ces derniers soient exposés dans les collections permanentes. Pour le plus grand plaisir des curieux, dont nous ferons évidemment partie.
Le sud, un nouveau tournant pour les Ateliers Hugo
Mais la guerre continuant de faire rage et François est démobilisé, du fait de son âge, en zone libre du côté de Cannes. Alors qu’il est l’époux officiel de la Princesse Ruspoli, il y rencontre une femme, Monique, comme lui, mariée. En ces temps compliqués, ils partagent tout deux un fort engagement dans la Résistance qui leur fait multiplier les actions pour aider les Juifs …et tombent follement amoureux. Ils partent ensemble en Haute-Savoie, puis Paris où va naitre Pierre, le père de Nicolas, et s’installent rapidement à Aix-en-Provence, dans les années 50. C’est aussi en Provence que les Ateliers Hugo voient le jour.
Retour en 2022. Tandis que Nicolas Hugo nous raconte les péripéties de François, et que nous l’écoutons suspendue, un homme élégant d’un certain âge prend place au comptoir, s’affichant de profil. A l’expression médusée de Nicolas, on comprend que quelque chose d’important se joue. « C’est le sosie de François » nous souffle-t-il. A son tour de prendre l‘homme en photo, et l’arrosé devient arroseur dans ce café où tout le petit monde de la butte se succède. Un vrai coup du destin, cette rencontre surréaliste…
La première collaboration avec Picasso
On reprend le fil de l’histoire du côté d’Aix-en-Provence où le nouveau couple s’est installé et commence à faire de l’orfèvrerie pour des édifices religieux tout en continuant de produire pour la Haute Couture.
Coup du destin ? Une véritable révolution va se produire dans les Ateliers avec la visite de Picasso en 1955-56. Si l’orfèvre aixois et le maître espagnol s’étaient rencontrés dès 1917 à la première de Parade, (le fameux ballet de la compagnie des Ballets Russes dirigé par Diaghilev, écrit par Cocteau, sur une musique d’Erik Satie avec des décors de Picasso) ils s’étaient depuis perdus de vue et c’est grâce à l’entremise du critique d’art Douglas Cooper que la seconde rencontre se fait dans le midi. Picasso cherche alors à créer des plats en argent à partir de ses modèles en céramique faits à Vallauris, mais une première expérience italienne s’avère extrêmement décevante. Cooper a l’idée de le conduire chez les Hugo …
La transcription de la céramique au métal n’est pas aisée : tout l’enjeu est de reproduire fidèlement les dessins émaillés en relief. La technique du repoussé ciselé est employée et de nombreux essais sont nécessairement avant d’aboutir à un résultat satisfaisant. François crée alors des outils sur-mesure pour s’adapter à ces nouveaux enjeux. Monique est chimiste de formation, elle s’occupe des alliages et lui de la mise en forme. Le résultat est merveilleux. Et Picasso conserve cette série précieusement, comme son trésor personnel.
En route vers l’édition avec la première exposition des Ateliers Hugo
Très vite, la collaboration avec Picasso attire l’attention d’autres artistes de l’époque. François a fréquenté le groupe du Bœuf sur le toit (haut lieu de l’intelligentsia parisienne de l’entre deux guerres, ndlr) dans sa jeunesse, grâce à son frère le peintre Jean Hugo. Aussi Jean Cocteau, Max Ernst, André Derain (témoin de mariage de François et Monique et compère de virées nocturnes de François) décident de le faire travailler et l’activité s’oriente vers les bijoux comme de véritables sculptures à porter. A l’époque, ce sont des pièces uniques, faites exclusivement pour les artistes. Mais très vite, François comprend qu’il tient quelque chose. Un premier article paraît en 1961 au sujet des bijoux d’artistes dans lequel il est cité aux côtés de Calder. Le public amorce la découverte d’un univers encore très confidentiel (dont nous parlait récemment Yoyo Maeght, souvenez-vous).
Très vite, l’activité s’oriente vers les bijoux comme de véritables sculptures à porter
Les Ateliers Hugo poursuivent leur collaboration avec de nouveaux artistes : Robert Matta, Jean Arp, puis en 1967, une exposition à la galerie Point Cardinal permet aux Ateliers de prendre un tournant commercial avec la réalisation d’éditions de ces bijoux. « Mon grand-père négocie avec Picasso, il le pousse à adapter les plats en argent en médaillon en or grâce à Jacqueline qui le voulait les porter. » Le génie de François frappe de nouveau, il a l’idée lumineuse de racheter les droits d’édition et de reproduction du vivant des artistes en exclusivité. Il n’y a donc que les Ateliers qui pourront les fabriquer et par conséquent les identifier.
Un catalogue raisonné est d’ailleurs en cours de publication : Nicolas et son père s’y attèlent depuis quelques temps. Il répertoriera l’ensemble des productions réalisées aux Ateliers, les correspondances avec les artistes qui les ont précédés, et les photographies des pièces. Avec ce nouveau tournant de l’édition, les collectionneurs d’art moderne commencent à s’intéresser à ces bijoux comme de véritables sculptures miniatures des plus grands artistes du siècle. « Les ventes commencent alors à s’activer, à bouillonner et mon père arrive dans l’histoire. »
Les Ateliers Hugo sous le règne de Pierre
Après être passé par le Royal College of Arts et la White Chapel Art School, le fils de François et Monique choisit pour sujet de thèse l’or chez les précolombiens. Au début des années 70, Il décide de redescendre dans le midi pour reprendre dès 1977, les ateliers familiaux à son compte. Il réalise sa première collaboration Dali puis avec Arman, Cesar et plus tard, dans les années 2000 sous l’impulsion de la galerie Sorry We’re Closed et de son fondateur Sébastien Janssen, une collaboration avec Ugo Rondinone voit le jour, suivie d’une autre avec le céramiste Eric Croes.
Entre temps, les Ateliers continuent d’exploiter le catalogue constitué par François : « tant que l’édition n’est pas achevée, on a le droit de les frapper, quand l’édition est finie, c’est fini ». Quelle limite pour ces éditions ? Cela dépend de chaque pièce, chaque artiste, parfois 8, d’autres 12, ou encore 50. En parallèle de ces nouveaux projets, les bijoux sont également présentés au grand public grâce à travers des expositions muséales au Mucem, au Victoria and Albert Museum, au Musée des Arts Décoratifs de Paris, à la Piscine de Roubaix. Avant qu’un événement inattendu ne vienne bousculer les choses.
« Mon père est tombé très malade en 2018 et parmi mes frères et sœurs, personne ne souhaitait reprendre le flambeau. J’ai eu une prise de conscience et j’ai dit à mon père : je vais reprendre l’atelier. Je me suis plongé dans le truc à fond ». Il a donc fallu être formé à la fabrication des bijoux, sans quoi la reprise d’un tel atelier ne ferait pas sens. Et Nicolas d’embrasser une carrière à laquelle il n’avait pas songé jusqu’alors, celle d’orfèvre. « On a un chef d’atelier qui est là depuis 35 ans Bernard, comme un deuxième père, il me connaît depuis que je suis né. On a aussi des apprentis orfèvres (tous parents dudit Bernard). On travaille en communauté. Le midi on se retrouve tous ensemble, le soir on prend l’apéro. Et si l’un d’eux est trop alcoolisé pour rentrer, il dort sur le canapé. C’est un véritable village de gaulois ».
Orfèvre de père en fils : aux Ateliers Hugo, la génération Y
Il faut imaginer que l’atelier est dans la maison familiale et que rien –ou presque- n’a changé depuis François, tout est resté aussi artisanal. Pierre a mis un point d’honneur à ce que les choses restent telles qu’elles avaient été pensées à l’origine : simples (il n’hésite pas à refuser les collaborations avec des artistes à l’ego trop difficile à gérer), exigeantes, mais toujours humaines et même si le flambeau est transmis à Nicolas, il garde un œil bienveillant et alerte sur l’ensemble des activités. Ainsi c’est à quatre mains qu’ils préparent le catalogue raisonné, délivrent les certificats d’authenticité, les archives ayant été précieusement conservées jusque-là. « Quand les gens veulent vendre des pièces, ils nous appellent on est donc à la vente, à la revente, à la fabrication, l’authentification, on rachète aussi énormément de pièce, un stock très actif… nos activités sont tentaculaires ! »
Les Ateliers, véritables témoins d’une époque
Les Ateliers Hugo se positionnent, de génération en génération, comme les témoins de la création d’une époque, et ce tout en conservant les mêmes techniques, outils, et lieu qu’à l’origine. « Dans l’effervescence actuelle, cet ancrage et ce processus inchangé rassurent les artistes ». Les Hugo mettent un point d’honneur à rencontrer tous les artistes, une fois la collaboration validée, l’artiste fournit une matrice, qui est retravaillée pour fabriquer le moule qui servira pour l’édition. Ajustements et finitions multiples permettent de se rapprocher au plus près du modèle fourni par l’artiste, et ce dernier doit évidemment valider le résultat avant le lancement. A la fabrication, chaque pièce est unique.
Le comble du chic ? Ces petits trésors sont livrés dans des boîtes en bois réalisées par un ébéniste. « Dans l’histoire des Ateliers seulement trois ébénistes en 65 ans se sont succédés » et c’est notamment grâce aux boîtes que Nicolas reconnaît au premier coup l’époque de la fabrication d’une pièce lorsqu’un collectionneur lui présente.
Une histoire des collections
Quant auxdits collectionneurs, on peut les retrouver en Europe (Angleterre, France, Suisse, Belgique, Allemagne, Italie) mais aussi en Asie et évidemment aux USA. Et Nicolas d’admettre « redécouvrir de vrais trésors à travers les demandes d’expertise. Je remonte dans l’histoire de ma famille. J’ai découvert des lettres de Miro avec qui on n’a pas travaillé parce que l’échange des lettres ne s’est pas fait à temps, mais j’ai aussi découvert que mon grand-père avait fait l’épée d’académiciens de César. Mon père a connu tous ces artistes, Picasso, Arp, Derain, moi je me plonge dans tous ces souvenirs familiaux, ces archives, c’est fascinant ».
A terme, il imagine créer une fondation pour rendre hommage à la passion sans bornes de son grand-père et son père pour cette aventure artistique. Une affaire hautement familiale ! En attendant, il entend « moderniser l’activité, la rendre plus visible, à commencer avec les réseaux sociaux grâce auquel je retrouve des pièces, en vend d’autres à de jeunes collectionneurs. » C’est ainsi que Nicolas a répondu à l’invitation du galeriste Pierre-Alain Challier, spécialiste des bijoux d’artistes, pour présenter fin 2021 une sélection exceptionnelle sous le nom « Bijoux d’Artistes, de Max Ernst à Pablo Picasso ». Cette exposition était l’occasion de faire dialoguer les œuvres historiques des Ateliers Hugo avec une série de portraits des artistes réalisés par la jeune dessinatrice Sacha Floch Poliakoff, une manière de croiser les époques et de prouver que ces sculptures à porter sont toujours aussi « contemporaines »..
Au programme de ces prochains mois ? Le lancement de la collaboration entièrement gérée par le jeune directeur avec l’artiste Josh Sperling, qui se fera à la rentrée à la galerie Sorry we’re closed pendant les Bruxelles Art Days, la préparation d’une exposition au musée de Vallauris autour d’un dialogue entre la céramique et l’orfèvrerie, et très prochainement le lancement du trophée conçu par Nicolas, « sa première véritable création », pour le prix littéraire de La Ponche, à Saint-Tropez, organisé par la journaliste et auteure Lisa Vignoli.
On se quitte en se demandant ce que l’on peut souhaiter aux Ateliers Hugo … « Plein de nouveaux artistes à commencer par Antony Gormley » avec qui Nicolas rêve de travailler et « une belle rétrospective dans un grand musée comme la Tate, Beaubourg, le Moma, le Louvre ». A bon entendeur…
J.C
Ateliers privés.
Acquérir des pièces, plus d’informations : sur instagram, ou auprès de la galerie Pierre-Alain Challier à Paris.