Gastronomie
On a testé l’un des meilleurs restaurants japonais à Paris
Jinchan Shokudo, otantik izakaya !
09 MAI . 2022
Jinchan Shokudo a ouvert quatre mois avant le premier confinement. Il est resté un peu sous les radars, s’est refait une beauté et a orienté sa carte vers davantage de petits plats. C’est désormais l’un des meilleurs restaurants japonais à Paris. Épatant. On l’a testé pour vous.
Shinj… Jonchu… Jinchan Shud… Janchin Shoduk… Jinchan Shokudo ! Quand vous voudrez conseiller à vos amis le restaurant japonais dont nous allons vous vanter les mérites ci-après, préparez-vous à ratatouiller. Pas facile de se mettre son nom complet en bouche. On pardonne à Miyo et Alban Cacace, couple franco-japonais à l’origine du lieu. Jinchan, c’est le surnom de leur fils, et Shokudo, le mot pour désigner les bouis-bouis sans prétention mais toujours bons de l’archipel nippon. Une histoire de famille, de transmission, de qualité et d’authenticité, c’est tout le projet de ces repentis de l’univers impitoyable de la finance.
En France, une offre en mal de cuisine japonaise populaire… et bonne
Le premier restaurant japonais de Paris ouvre en 1903, en pleine ère du Japonisme (le courant culturel inspiré par l’Empire du Soleil Levant, tel qu’on le trouve, en Europe, chez Toulouse-Lautrec, les Nabis ou encore James Tissot). Mais la vraie expansion intervient dans les années 80, et perdure depuis dans des établissements désormais majoritairement tenus par des entrepreneurs venus de Chine. L’offre y est généralement standardisée, sashimi (poisson cru), sushi (poisson cru, riz) et yakitori (brochettes au grill). Quant aux cuisiniers japonais, ils viennent principalement chez nous pour se frotter au patrimoine culinaire français et y délivrer des assiettes entre fusion et tradition.
Ce n’est pas le cas d’Hiroki Kuroda, chef natif d’Osaka et formé à Tokyo à la cuisine kaiseki, ce repas rituel composé d’un ensemble de petits plats, notamment chez Kitcho, qui détint longtemps 3 étoiles au Guide Michelin. Miyo et Alban lui ont confié la mission de les replonger dans le souvenir de leur vie à Yokohama, lorsqu’ils écumaient les izakaya (littéralement « bar à saké ») de la ville portuaire, ces cantines popu où la mixité sociale n’est pas une promesse électorale mais une réalité quotidienne pour mangeuses et mangeurs de tous âges.
Comme là-bas, dans un vrai troquet de quartier
Pour que l’illusion soit parfaite, il fallait un décor, une ambiance. C’est l’autre grande réussite de Jinchan Shokudo (on a pris son élan pour l’écrire). Loin de la sophistication et de la sobriété d’Ogata, chroniqué récemment on s’immerge ici dans un vrai troquet de quartier, chaises en formica, bar carrelé, murs boisés couverts de clins d’oeil à la pop culture nipponne, affiches publicitaires kitsch, logos flashy, menus calligraphiés & co. En collaboration avec l’architecte Kunihiko Takano et l’artiste Pierre-Marie Postel (Studio Paiheme), Miyo a imaginé une taverne hors du temps et de l’espace, ni à Paris ni à Tokyo, cochant les cases du tanoshi (joyeux) et du kigaru (accessible), valeurs cardinales au Japon.
Pour les deux autres piliers de l’hospitalité nipponne, oishi (très bon) et tappuri (générosité), c’est dans les bols en céramique d’Okinawa que ça se passe. La carte se divise en quatre grandes sections, otsunami pour le grignotage, izakaya pour les entrées, en solo ou à partager, umi no sachi pour le poisson, donburi pour les plats à base de riz, auxquelles on ajoute trois desserts maison sans surprise mais délicieux, tel ce régressif cheesecake kurogoma, gâteau au goût intense de sésame noir. Avant ça, on a pioché un peu partout et, foi d’ogre, on a peiné à finir tout on en redemandant… Le talent du chef Kuroda réside dans le sourcing minutieux des produits (entre France et Japon), sans une once de glutamate, cet acide aminé mis à toutes les sauces du mauvais goût japonais, dans des mises en place optimisées pour un fait-maison minute et sans concession.
Tout fait ventre
On avait commencé léger avec les yukinko, surprenants sushis végétariens au shiitake, navet blanc, yuzu, sur riz blanc vinaigré de Niigata (capitale japonaise du riz blanc). On a vite lâché prise quand est arrivé le nasu dengaku, demie aubergine confite au miso blanc au yuzu et saupoudrée de sésame. Un peu hors-saison, noteront les puristes, mais fondante comme un bonbon gorgé d’umami (cette fameuse cinquième saveur propre aux palais japonais). On a aussi dévoré le karaage, poulet mariné puis frit, croustillant et moelleux à la fois, condimenté au sésame et au citron. Le poulet est tout aussi parfait en version katsudon, pané au panko (chapelure de pain japonaise), en dip dans une sauce tonkatsu (mélange de Worcester sauce, ketchup et sauce d’huître), ni trop sec ni trop gras.
On a aussi apprécié d’être un peu dérouté par la fadeur et les textures molles de l’oden, version japonaise du pot-au-feu, à base de tofu frit, d’algue konbu, de daikon et d’œuf dur, mijotés longuement dans un bouillon dashi. On a été moins convaincu par le kamo rosu, lamelles de magret de canard au yuzu kosho (pâte au piment et écorce de yuzu), clin d’œil dispensable à la cuisine du Sud-Ouest qui rencontrerait celle du Sud-Est (asiatique).
Comme on est dans un izakaya, le saké a toute sa place chez Jinchan Shokudo (répétez le cinq fois très vite). N’hésitez pas à vous laisser porter et conseiller par les gens de la salle, souriants et efficaces, dont un saké sommelier qui vous guidera dans les étiquettes disponibles (carte évolutive) pour mieux comprendre la versatilité de cet alcool de riz qui fait merveille sur presque tous les mets proposés, à température, tiède, filtré ou pas, tranquille ou pétillant.
Et si vous préférez la bière, on n’est pas ici dans le dilemme entre Asahi et Asahi (disponible en pression malgré tout), puisque six bières artisanales de la brasserie Coedo figurent sur la carte (7 € les 33 cl), dont une délicate Marihara à la robe dorée et aux arômes citronnés.
Vous l’aurez compris, dans l’offre pléthorique des restaurants japonais de Paris, Jinchan Shokudo (ça y est, vous l’avez ?) figure désormais aisément dans notre Top 5 totalement subjectif, avec Momoka pour les plats marins de Masayo Hashimoto, Kodawari pour le rāmen, Kunitoraya pour le chirashi et Doki Doki pour le hand roll. Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, il se murmure qu’une deuxième adresse ouvrira bientôt. Sayonara !
S.M