Gastronomie
A Paris, Septime
Le restaurant dont on ne se lassera jamais
13 JUIN . 2022
On est retourné chez Septime. En onze ans d’existence, le restaurant de Bertrand Grébaut et Théo Pourriat n’a pas pris une ride. Il reste un exemple à suivre.
La première fois que je me suis attablé chez Septime¹, c’était le 14 juillet 2011, deux mois et demi après son ouverture, le 26 avril de la même année. Ça ne rajeunit personne, surtout pas moi, mais ça confère au temps qui passe une dimension toute particulière.
Voici pourquoi. Sur un vague blog d’apprenti critique gastronomique que je n’étais même pas encore, j’avais alors consigné ceci : « Le sentiment qui domine est comme qui dirait amniotique. On est au chaud, en confiance, cajolé et bien nourri. Les produits sont traités avec respect, eux aussi. C’est brut sans être brutal, ça flatte le regard sans taper à l’œil, ça excite les papilles sans abolir les repères. » Quelques tribulations personnelles et professionnelles, mais aussi quelques repas rue de Charonne plus tard, j’y suis retourné le 25 mai 2022. Au culot, la veille pour le lendemain. Des clients impardonnables qui ne confirment pas leur réservation, un graal pour beaucoup, dans ce restaurant qui n’a fait depuis onze ans que des services complets, me voilà au plus près de la cuisine ouverte, seau à glace rempli de bouteilles en guise d’horizon. Entre l’escalier en colimaçon et le bar, pour les familiers des lieux et ceux qui n’annulent pas.
En débutant cette chronique, j’ai été tenté d’écrire ceci : « Le sentiment qui domine est comme qui dirait amniotique. On est au chaud, en confiance, cajolé et bien nourri. Les produits sont traités avec respect, eux aussi. C’est brut sans être brutal, ça flatte le regard sans taper à l’œil, ça excite les papilles sans abolir les repères. » Mais la rédactrice en cheffe des Hardis, bien que de très bonne composition, aurait écarquillé ses mirettes en guise de réprimande. Et quand Elsa fait les grands yeux, on ne sait « si elle ment, on dirait que l’averse ouvre des fleurs sauvages ». Évitons de la faire sortir de ses (ara)gonds.
De l’importance d’être constant
Tout ça pour dire que Bertrand Grébaut et Théo Pourriat, les deux amis-associés à l’origine de Septime et, depuis, d’une galaxie de restaurants, Clamato² et D’Une Île³ (qui fait aussi chambres d’hôte dans le Perche), pâtisserie, baptisée malicieusement Tapisserie4, et cave à vin, bien nommée Septime La Cave5, brillent par leur constance.
Ils racontent merveilleusement cette aventure dans un très beau livre paru en 2021 chez Phaidon (49,95 €), avec la complicité d’un autre associé, Benoît Cohen, à la plume, et d’Alexandre Guirkinger, au boîtier. On ne ressort pas de cette histoire passionnante en pensant que rien n’a bougé. Pas plus qu’en se levant de table, en ce jour de mai, on n’a le sentiment que l’on se moque du chaland en lui servant sempiternellement la même soupe. Rien ne change pour que tout change. C’est la magie Septime d’avoir su d’emblée définir, malgré un premier service catastrophique (révélé dans le podcast Sur le grill d’Écotable6), une ligne éditoriale dont personne ne se lasse, ni ceux qui font ni ceux qui mangent.
Le cadre a trouvé sa patine, carrelage, bois, verre et métal. Le service, inspiré par le pionnier du genre, Iñaki Aizpitarte au Chateaubriand, tient la juste distance entre la familiarité et la discrétion, n’hésitant jamais à s’accroupir pour se mettre à niveau de conversation. La carte des vins, pré carré de Théo et portée ce jour-là par un autodidacte américain ayant travaillé des années au domaine de La Stoppa, en Émilie-Romagne, maintient le cap des vins sains et vivants, entre France, Grèce, Italie et Géorgie. Quant à la cuisine, sous l’égide d’Alain Passard (L’Arpège7), chez qui Bertrand Grébaut s’est formé, mais aussi de Raquel Carena (Le Baratin8), mère d’adoption de toute une génération, elle garde un temps d’avance sur l’avant-garde de la nouvelle nouvelle cuisine, dont le 11e arrondissement de Paris a été l’épicentre.
De la ferme à l’assiette
Le jour de notre visite, un plat monochrome d’un blanc quasi immaculé, asperges en deux services, en velouté ou tronçons fondants, amandes et riz soufflé, résumait presque à lui seul la touche Grébaut. Associer la saison, la couleur, la juste cuisson et le juste assaisonnement (ici vinaigre de cèpe), c’est l’évidence mais encore faut-il oser la simplicité apparente, à une époque où certains foodies veulent qu’on leur en mette plein la vue, qu’on leur serve leur post Instagram sur un plateau d’argent.
Idem la langoustine arrivée vivante au restaurant, dorlotée une poignée de secondes au beurre, flanquée de quelques fèves d’un vert intense et d’une constellation de fleurs de sureau. L’impression de plonger la tête dans la mer pour croquer l’animal quasi cru mais aussi de se faire du bien avec les fruits de la terre. Végétaliser la carte a toujours été l’objectif de Bertrand Grébaut et Théo Pourriat, qui viennent de prendre des parts dans la Ferme de l’Envol, formidable projet d’agriculture durable né sur une ancienne base aérienne à Brétigny-sur-Orge (Essonne), dirigé notamment par Anaïs Droit, maraîchère du futur. Elles venaient de là, ces carottes laquées, passées à la braise, disposées sur un jaune d’oeuf confit, coussin moelleux et réconfortant.
Du légume doudou pour enfant du XXIe siècle qui surmonte son éco-anxiété en prônant une autre façon de s’alimenter.
Septime a toujours anticipé toutes les modes, les a parfois créées, d’ailleurs, sans jamais se la raconter, sans attaché de presse ni apparition médiatique. Malgré les distinctions (1 étoile au Guide Michelin depuis 2014, Sustainable Restaurant Award 2017 au World’s 50 Best Restaurants), malgré les stars qui passent à table, Jay-Z et Beyoncé for ever, les articles élogieux dans la presse française et internationale, Bertrand Grébaut et Théo Pourriat n’ont jamais trop regardé vers l’extérieur, plutôt cherché à soigner leur vie intérieure, celle de leur famille et celles de leurs collaborateurs. Ils n’ont jamais été envoûté par le bruit du petit monde de la gastronomie, plutôt par la voix de celles et ceux qui cultivent, élèvent, pêchent et cueillent. Ça n’a pas toujours été parfait, des chapitres sont encore à écrire mais l’histoire est déjà plus que belle : elle est inspirante.
S.M
1 80 rue de Charonne, 75011 Paris
2 80 rue de Charonne, 75011 Paris
3 Domaine de Launay, lieudit l’Aunay, 61110 Rémalard
4 65 rue de Charonne, 75011 Paris
5 3 rue Basfroi, 75011 Paris
6 https://impact.ecotable.fr/podcast
7 84 rue de Varenne, 75007 Paris
8 3 rue Jouye-Rouve, 75020 Paris