Humeur : en cuisine, le règne du mou,

Où sont passées nos dents ?

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07JUIL. 2022

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Humeur : en cuisine, le règne du mou

Où sont passées nos dents ?

07 JUILLET . 2022

Écrit par Morgan Malka

Nos ancêtres aimaient se repaître de viandes sauvages à peine cuites, voire franchement crues. Leurs dents étaient des outils redoutables dont ils usaient et abusaient pour subsister. Aujourd'hui, notre obsession pour les matières molles en est à son paroxysme, entre steaks hachés et nuggets -il en va de même pour l'habillement ou le confort en général. Mais la viande doit-elle vraiment toujours être plus tendre ? Où est donc passée notre nature sauvage ?

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Si vous avez mon âge, vous vous souvenez peut-être qu’on nous enseignait au collège qu’en un siècle seulement, les chats, devenus domestiques grâce au concours non négligeable de Louis Wain avaient perdu une grande part de leurs canines. Trop habitués au ronron et aux pâtées, leur instinct sauvage s’était quelque peu dissipé et génération après génération, leurs dents avaient disparu.

 

La viande hachée comme porte d’entrée à la mollesse

Autrefois la boucherie se divisait en deux catégories. Les morceaux pour le bouilli (français, souvenez-vous, on le racontait par ici) et ceux pour le rôti (anglais). Mais avec la libération des femmes, désormais hors des cuisines, le bouilli s’est vu largement compromis. Ces morceaux demandant effectivement un temps de cuisson et de surveillance prolongé. Il fallait donc trouver une nouvelle destination aux avants et aux arrières des animaux. Les bouchers, rapidement imités par les industriels inventèrent le steak haché. On passe le tout à la moulinette, en ressort une masse informe aux fibres déchiquetées. Le tout est compressé et peut être cuit en quelques minutes. Sans fibres, sans structure, la viande est molle, elle plaît aux enfants, aux vieillards et aux paresseux : les trois clés du succès ! l’homme ne lutte plus contre son morceau de viande, qui lui est acquis, offert sans résistance. Cette soumission, bien sûr, l’homme va l’adorer.

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 Toute une génération s’habitue alors à ce nouveau steak haché. Terminé les morceaux de bavette entre les dents !

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Dès lors, la tendreté est à la mode. Les industriels, alliés des politiques, vont modifier la réglementation. On vous vendra des animaux toujours plus jeunes pour éviter les viandes coriaces et pour ne pas trop vous culpabiliser, les canetons deviendront canettes, les lapereaux, lapins et les vaches, bœufs. Hélas, ce n’est pas assez. L’homme ira jusqu’au Japon se fasciner pour des bœufs massés à la bière ou au saké, la technique sera répliquée partout. D’ailleurs de ces bœufs on n’exporte que le plus tendre : filet, côte et entrecôte. Où est passé le reste ?

 

Nuggets et cordon bleu, un paradoxe

Mais n’étant pas à une contradiction près, voulant des poitrines de volailles qui ne soient pas sèches, on s’inspirera de recettes classiques du XIXe siècle comme le poulet à la Kiev pour inventer le cordon-bleu. La viande est battue, additionnée d ‘exhausteurs aux noms exotiques, recomposée, farcie et surtout panée.

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Car oui, la viande doit être molle mais nous voulons quand même qu’elle croustille. Alors plutôt que de respecter le bon ordre de la nature et se satisfaire d’une peau de poulet dorée à souhait, habillant avec l’élégance d’un voile de mariée une poitrine diaphane et voluptueuse, nous la remplaçons par de la farine, de la chapelure ou pire, des cornflakes, merci à nos amis américains de toujours nous suggérer le pire.

 

Bouchers et volaillers, les dindons de la farce

Bouchers et volaillers sont devenus les dindons de la farce, après avoir inventé la viande toujours plus molle, ils se plaignent aujourd’hui des demandes de la clientèle : un morceau bien tendre s’il vous plaît monsieur le boucher. Ainsi, ne pouvant pas vendre certains muscles récalcitrants, l’immense majorité de la profession va se fournir chez des grossistes détaillants. 

Terminée, l’ère de la vache entière suspendue dans l’arrière-boutique. Bonjour cartons en polystyrène contenant viande hachée et entrecôte au kilomètre. Mais où passe le reste ? Chez les pauvres pardi ! Car oui, chez nos voisins d’Europe Centrale où le revenu moyen est inférieur au nôtre, on continue de faire bouillir sa viande une paire d’heures. Les fins morceaux des élevages tchèques, ukrainiens et polonais partent en sens inverse, direction Paris. Résultat, toute une génération de bouchers tout droit sortis de l’école se voient incapables de découper ou désosser certains morceaux, la base de leur métier. 

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Pourtant, combattre sa nourriture est le prologue de fantastiques agapes. Renart dans le célèbre roman ne se délecte-t-il pas des petits os des pigeonneaux pleins de sang et de lait ? Car oui, la pigeonne produit une sorte de lait maternel. Suçoter, aspirer la tête d’une langoustine ou d’une écrevisse, croquer dans une cuisse de pintade comme le faisait Robin des Bois, ronger l’os, etc. Sans efforts, pas de plaisir.

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Mastiquer, savourer c’est extraire le meilleur. Sans effort, pas de plaisir !

La prochaine étape sera celle de l’entonnoir, dans laquelle nous pourrons glisser une viande déjà digérée. Après tout ce n’est pas si grave étant donné que le goût aussi s’est aseptisé : ce n’est pas trop fort en goût, monsieur le boucher ?

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Alors, dans ce monde qui aspire à l’écologie et à l’économie, nous voici, ne mangeant que le meilleur. Et le reste ? Ce que nos ancêtres ont appris à valoriser pendant mille ans ? Ce qui fait la gloire de notre cuisine ? Nous sommes assis sur un patrimoine culinaire exceptionnel. Nos anciens se sont cassé la tête pour valoriser le groin, les ongles, la queue et même les bourses de tous les animaux et en une petite génération, nous leur rions au nez. 

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Très peu pour moi dit l’omnivore des temps modernes, qu’on m’apporte plutôt une entrecôte venue de l’autre bout du monde, issue d’un bœuf massé à la bière. Entre deux bouchées rapidement mastiquées je vous expliquerai que vous autres êtes une génération de réactionnaires arriérés et que l’écologie, c’est moi. Dont acte.

MM


Relisez notre article consacré à la véritable cuisine française

Retrouvez aussi nos conseils : les saisons des viandes et celles des produits de la mer ou encore notre dictionnaire des spécialités charcutières !

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