Cuisine
Histoire de l’ail : De l’ail et des hommes
13 SEPTEMBRE . 2022
L’ail accompagne nos repas depuis la nuit des temps, il séduisit les cultures du monde entier, devenant ainsi le premier aliment international et pourtant, s’il est adoré de certains, d’autres fuient à sa vue. Entre amour et détestation, voici la petite histoire de l’ail.
L’ail est indubitablement plus populaire dans les contrées du sud que dans celles du nord. Un proverbe islandais dit même qu’il serait né des premiers pas de Satan après avoir quitté le Paradis. C’est d’ailleurs ce tempérament de feu qui lui colle à la peau. Au temps de la théorie des humeurs, l’ail est considéré comme un aliment qui réchauffe. Si le monde entier adore l’ail, la distinction est davantage affaire de classe sociale. Les patriciens de Rome puis de Venise se gardent bien d’y goûter. Hélas pour eux, la décadence de la Sérénissime les conduira à devoir s’en contenter à grands renforts d’oignons, les plaçant ainsi tous les deux au cœur de la cuisine vénète.
Oignon et ail partagent le même arbre généalogique, celui des liliacées. Cette plante sauvage serait apparue dès le Néolithique dans l’actuel Kirghizistan, en Sibérie. Ce n’est qu’au quatrième millénaire avant J-C qu’il apparaît enfin dans la culture des hommes. Sa diffusion se fait rapidement des pays tartares jusqu’à la pointe ibérique et ceux qui y goûtent en raffolent.
Premiers pas pour l’ail : Entre magie et marmite
Dès l’Antiquité, la dimension magique de l’ail apparaît, c’est ainsi que la frontière entre aliment et médicament restera très floue et ce jusqu’au XIXe siècle. Des tresses d’ail servent d’offrandes alimentaires dans les tombes afin de protéger et tout à la fois d’accompagner et nourrir les défunts. La divinité lunaire d’Hécate reçoit de l’ail tout comme Mars auprès de qui on aspire à la fureur de la bataille. Le côté chaud de l’ail est déjà présent.
Charlemagne l’intègre à son célèbre potager tout à la fois comme aliment et comme remède. Chez les moines, l’ail s’impose au côté d’herbes et de plantes médicinales dans les fameux jardins de simples. La population va très vite s’en servir et les rebouteux des campagnes en user dans leurs remèdes. L’ail porte alors le surnom de thériaque des vilains en opposition à la thériaque véritable, prisée des princes afin de se prémunir des tentatives d’empoisonnement. L’ail est utilisé dans le remède des Quatre Voleurs permettant théoriquement de survivre aux épidémies de peste.
Le grand puant
Charles de Bourbon, grand-père paternel d’Henri IV lui frotta les lèvres avec une gousse d’ail à la naissance, il ajouta : « Va, va et tu seras un vrai Béarnais ». L’ail est associé à la virilité et les Gascons qui arrivent à Paris en compagnie du futur roi s’en gobergent. Il aurait, dit-on, des vertus aphrodisiaques.
Et l’ail sert aussi quand vous n’avez pas,
Mesdames… ce que vous savez…
Rend vos maris chauds comme braise
Et fait que, bien mieux à votre aise,
Il vous caresse dans le lict.
École de Salerne, 1671.
Alors Henri IV qui aime un peu trop les femmes en use et en abuse au grand dam de Gabrielle d’Estrées sa maîtresse. Le roi à la barbe qui empeste l’ail et il en va de même pour l’ensemble de ses amis gascons. Si Pline l’Ancien considérait que la consommation d’ail rendait l’homme gentil avec les femmes, Henri IV traduisit cette gentillesse par une certaine proximité, virile et olfactive.
Protégez-nous du mal
A l’est, dans les Carpates, l’ail est aussi utilisé pour ses propriétés prétendument aphrodisiaques mais pas seulement. En sanskrit, le mot pour définir l’ail est double. Il signifie également « pourfendeur de monstres ». C’est en Transylvanie que cette croyance voyagera par le biais des gitans qui considèrent également l’ail comme sacré. Les bergers des montagnes frottaient leurs brebis avec des gousses d’ail pour les protéger des morsures de serpent.
Ce serpent, c’est le mal originel, celui qu’on appelle vampire dans la région et auquel on oppose des tresses d’ail accrochées aux portes et aux fenêtres. En Sicile c’est dans le berceau des enfants que se trouve l’ail afin de protéger la mère et le nouveau-né du mauvais œil. Ce qui doit développer un goût naturel pour l’ail en cuisine chez les Siciliens. Ne cherchons-nous pas éternellement le réconfort des odeurs et des souvenirs de notre tendre enfance ?
Marchand d’ail
Au XIXe siècle, les Provençaux affluent dans la capitale et c’est aux Halles qu’ils viennent vendre leurs tresses d’ail. Ils portent une tenue typique du sud de la France qui sera surnommée chandail pour marchands d’ail par la population. Le fabricant Damart aura l’idée d’en faire commerce.
Depuis, l’ail est vendu à la criée par des aillées, des marchands ambulants. Il est aussi commercialisé dans de grandes fêtes partout en France mais aussi à l’étranger comme en Egypte, aux Etats-Unis ou en Angleterre. On y fait ses réserves pour l’année et on décore sa cuisine avec de larges tresses. A Draguignan, l’ail est rôti sur les feux de la Saint-Jean, la croyance populaire locale pense que cette immolation parfumée permet de se prémunir contre la fièvre et la vermine.
En France, l’ail est invariablement accolé à la cuisine provençale. Aïoli, anchoïade, aigo boulido, poulet aux quarante gousses d’ail, raisons probables à l’absence de vampires dans la région. Dans le nord du pays, à Arleux l’ail est fumé pour être mieux conservé, les tresses dorées s’arrachent à prix d’or une fois dans l’année.
En cuisine, l’ail peut s’employer à différents stades, sauvage ou de culture, frais ou sec mais également fumé, fermenté, confit, mariné. On peut l’émincer, le hacher, le réduire en purée. Il accompagne à merveille l’agneau cuit à la broche mais aussi tous les plats dits de haut-goût, c’est-à-dire relevés. L’ail est en quelque sorte notre piment local, celui qui apporte de la puissance aux plats, celui qui emporte la bouche et rend meilleur tout ce qu’on cuisine avec. Si en plus il nous protège du mauvais œil, mieux vaut en manger deux fois qu’une.
M.M