Culture
Portrait et rencontre avec Juliette Bécot propriétaire du Château Beau-Séjour Bécot
20 FéVRIER . 2023
Troisième génération et première femme à la tête du Château Beau-Séjour Bécot, 1er grand cru classé de Saint-Emilion, Juliette, quarantenaire pétillante, affiche un caractère aussi tranché que ses vins. Passionnément vigneronne.
Enfant, fille unique, dès qu’elle sortait de l’école Juliette rejoignait les vignes, les chais ou les caves, selon les saisons. Sa maman, pharmacienne, la savait entre de bonnes mains. « Le vignoble c’était ma cour de récréation, j’adorais mais je ne m’imaginais pas reprendre les rênes. Je pensais que mon père et mon oncle étaient éternels et rêvais d’un métier plus féminin, dans la mode, la beauté. » Bac en poche, elle s’inscrit dans une école de commerce, et parce qu’on ne sait jamais, suit à l’ENITA de Bordeaux, Ecole supérieure d’ingénieur agricole, un 3e cycle pour décrocher un master de gestion de propriété viticole. « Ces cours ressemblaient à une grosse caisse à outils. Tout était en vrac, on y puisait ce qu’on voulait.
La vraie formation c’était sur le terrain. La fin de mes études correspondant à la période des primeurs, j’ai donné un coup de main sur la propriété. Et là j’ai eu une révélation. Ce milieu c’était le mien, il m’offrait tout ce que j’aimais. C’était ma vie, mon avenir, mon décor. »
A 22 ans, Juliette rejoint donc son père, trop heureux de continuer l’aventure avec sa fille. En parallèle, elle reprend, seule, un petit vignoble dans les Côtes de Castillon, Joanin, propriété de l’instituteur du village acheté pour sa fille, hélas décédée. « Je travaillais sur ce domaine avec juste un agriculteur tractoriste. J’ai gardé le nom Joanin.
Je lui ai juste accolé celui de Bécot pour l’inclure dans la famille. C’est important de conserver l’identité d’un lieu. L’argent ne donne pas tous les droits. On est là pour servir la vigne, pour veiller sur elle, pour continuer à écrire son histoire pas pour l’acaparer par orgueil. Nous appartenons au vignoble, pas le contraire, en CDD en quelque sorte. »
Juliette à Beau-Séjour, secondé par son mari Julien, directeur et 12 salariés s’attache à préserver un état d’esprit, à cultiver un style pour qu’en buvant son vin on se dise d’emblée : ça, c’est un Beau-Séjour. « C’est essentiel de ne pas suivre les modes qui sévissent dans ce milieu et de ne pas tenter, comme la génération précédente de tout maîtriser.
L’homme a tellement pris la main se donnant l’impression de contrôler tous les paramètres qu’il a dénaturé la typicité des crus. A Bordeaux, on a produit, comme en Afrique du Sud, des vins technologiques. La vigne est devenue un business où des personnes fortunées, des sociétés ont investi des sommes folles, commercialisant des vins de plus en plus chers. On a oublié que c’était une boisson que les amateurs devaient être en capacité d’acheter. Mon grand-père me répétait « respecte le clocher de Saint-Emilion. Souviens-toi où tu es et où sont élevés nos vins. Pour ne pas oublier sa leçon on a déplacé le cuvier afin de voir le clocher. Et, j’ai à cœur, dans chaque millésime de retranscrire le terroir. »
L’essentiel pour cette femme de convictions qu’elle transmet à ses jeunes fils : déclencher l’émotion, le plaisir, plaisir de la dégustation mais surtout du partage. « Une bouteille est faite pour être ouverte et non conserver comme une œuvre d’art ou comme une action. C’est un bien de consommation. Ce n’est pas toujours simple de trouver l’équilibre, de rester cohérent, de ne pas succomber au snobisme, lorsqu’on a le privilège d’élever un 1er grand Cru Classé, de le vendre une fortune. Il faut déterminer le juste prix, rester cohérents millésime après millésime ni dévaloriser ni vendre trop cher au risque de casser la dynamique de la marque. Un sacré exercice.
Je m’y attelle chaque année avec Julien, mon amoureux, le directeur du domaine. On interroge, en toute transparence, les importateurs, les négociants en radiographiant les millésimes précédents pour savoir : où, comment ils ont été distribués. On réfléchit beaucoup. Souvent j’établis un parallèle entre le parfum et le vin et songe que si le prix de mon Shalimar de Guerlain flambait d’année en année, je serai contrainte de l’abandonner et de voir les souvenirs liés à ce parfum s’estomper peu à peu. Comme pour le vin, chaque dégustation réactive des souvenirs. » La preuve, lorsqu’on demande à Juliette les millésimes qui lui tiennent à cœur, sa réponse fuse.
« Pour Château Beau-Séjour Bécot le 1998, année magique Rive droite, sur la colline de Saint-Emilion, mais aussi le millésime choisi par mes parents, un soir de septembre 2009 pour accompagner un repas improvisé lorsque je leur ai présenté Julien qui allait devenir mon mari. Ce soir-là mon bonheur a transcendé la bouteille ouverte. » Ajoutant « et pour mon joli vignoble Joanin Bécot le 2017,ma première année de collaboration avec Thomas Duclos, œnologue passionné, passionnant, avec lequel on ne s’ennuie jamais. » Une rebelle au cœur tendre Juliette, un cœur généreux pétri d’amour pour ses proches, ses vins et ses consommateurs.