Un été sur pellicules, 3 expositions photo à Paris

© JKE

Comment la photographie s’empare-t-elle de la réalité d’un moment pour le saisir et l’immortaliser, rendant ainsi permanente la fugacité elle-même ?

Art de l’instant par essence, la photo livre par son cadrage une vision, par sa composition un message. Portée par le regard de son auteur, elle se présente comme vérité d’un présent qui, une fois saisi, appartient aussitôt au passé. « La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde…” disait Godard pour signifier ce rapport si entier qu’entretiennent les artistes à leur caméra.

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De cinéma, il sera aussi question à travers ces expositions, de photo-reportage et de mode également. Sous le regard d’Harry Gruyaert, photographe belge et parisien d’adoption, on découvrira « la part des choses » présentée au BAL et l’on suivra sa « ballade sauvage » à travers des territoires tels que le Maroc, les Etats Unis et la Russie. Tandis que l’exposition consacrée à Frank Horvat au Jeu de Paume, nous offrira un voyage dans le Paris des années 50, celui des cafés de Pigalle mais aussi celui d’une mode moderne et affranchie. On finira par Johan Van Der KeuKen, photographe et cinéaste néerlandais qui voua sa vie à exprimer une œuvre sensible aux réalités des problématiques de son temps. Visite. 

Harry Gruyaert au Bal, la part des choses

Considéré comme l’un des pionniers de la photographie artistique en couleurs – rejoignant les rangs des célèbres William Eggleston ou Stephen Shore, très tôt découverts et admirés –  Harry Gruyaert, inaugure au BAL une exposition qui rassemble 80 tirages de 1974 à 1996.

Tirés selon la technique du Cibachrome (offrant à la fois une netteté de l’image, une intensité des couleurs et un saturation d’aplats), ces clichés effleurent l’énigme de la vie, saisissant des moments suspendus, comme si quelque chose venait de se passer ou aller se passer.  

© Harry Gruyaert, Inde, Thiruvananthapuram, Congrès national du parti communiste, India, 1989

En employant une technique longtemps réservée à la publicité, Harry Gruyaert fait de la photographie couleur, sa signature. Pour celui qui a formé son œil avec le Désert rouge d’Antonioni, revendiquant comme éducation le cinéma « j’ai appris énormément de choses en regardant Bergman, Antonioni, Godard », l’émotion est couleur. Ainsi chaque lieu visité est transcrit selon une palette à laquelle le photographe est sensible, permettant de révéler   un esprit des lieux autant qu’un air du temps, chez lui nommé « the Sense of place ».  Dominante de rouge pour ses clichés américains, (où il a découvert le pop Art et la technique du Dye Transfer), tons pastels pour la Russie d’époque ou ocre pour le Maroc, ses clichés affichent une grande dimension picturale. Parfois même, lorsqu’une bande son est posée dessus comme dans le film de l’exposition, on revient au cinéma et aux premières amours du photographe qui confesse « les choses m’attirent et j’attire les choses ». Il en va ainsi des choses de la vie…

LE BAL
6 impasse de la Défense
75018 Paris
01 44 70 75 50
www.le-bal.fr

Frank Horvat, « Paris, le monde, la mode » Jeu de Paume

170 tirages, et 70 documents pour saisir les années de fulgurance (1950-65) d’un photographe qui contribuera à bousculer les codes de la photo de mode tout en alimentant d’un nouveau regard la presse illustrée.   

Né en Italie, c’est en Suisse que grandit Franck Horvat (1928-2020) aux côtés de sa famille, juive et réfugiée, après avoir fui l’Italie. A la fin d‘une adolescence auréolée d’un voile de tristesse, il se décide à découvrir le monde et embrasser une carrière de photoreporter. En 1950, il part faire ses ses armes à Milan, avec dans le viseur, la célèbre agence Magnum. A cette époque, Cartier-Bresson est la référence absolue et pour emboîter le pas au maître du photojournalisme, Horvat sillonne le Pakistan, l’Inde et la Jordanie. Il revient avec, dans ses bagages, des clichés dotés d’une puissance intime et emplis de douceur, dont la presse s’empare rapidement.

© Frank Horvat, Deborah Dixon et Federico Fellini, haute couture italienne, Rome, Italie, pour Harper’s Bazaar, 1962

Après quoi il passera par Londres pour arriver à Paris en 1955, où le célèbre magazine Réalités, lui commandera un reportage sur le proxénétisme. Une série de photos proche du roman policier qui va ouvrir au photographe une nouvelle voie puisqu’un magazine américain lui commande dans la foulée une série sur le cabaret parisien le Sphinx, au cours de laquelle il va ériger les femmes au centre du spectacle. La mode arrive rapidement et les commandes pleuvent du Jardin des Modes, au British Vogue en passant par le Harper’s Bazaar. Dans ce contexte fait d’artifices, sa spontanéité séduit : décors naturels, peu de maquillage sur les mannequins, beautés décalées ou vraies personnalités. C’est une libération, dans l’objectif d’Horvat, le modèle est beau, fort et surtout actif. Plus tard, il retournera chercher une forme de vérité aux quatre coins du monde, comme une quête personnelle et mélancolique, dont l’exposition nous dévoile des tirages inédits…

Franck Horvat
« Paris, le monde, la mode »
Du 16 juin au 17 septembre 2023
Jeu de Paume – Paris
1 Pl. de la Concorde, 75008 Paris

Johan Van der Keuken « Le rythme des images » 

Initié à la photographie par son grand-père à l’âge de 12 ans, Johan Van der Keuken (1938-2001) était un artiste inclassable, photographe, cinéaste, entouré de poètes, peintres, écrivains, et personnalité très engagée dès les années 70 pour défendre les notions de justice et démocratie. Pour donner un aperçu de sa production prolifique, le Jeu de Paume dévoile plus d’une centaine de tirages d’époque qui dialoguent avec ses court-métrages, couvrant une période de 1955 à 2000.

© JVDK

1955 comme le point de départ de son œuvre, année où sort son premier livre de photographie « The Art I love the most », posant les bases d’une passion qui ne le quittera jamais. Sa carrière cheminera entre la prise de vue :  les proches immortalisés, les mouvements de la rue, les scènes nocturnes, le rythme de la ville comme autant d’outils d’analyse de situations, et les prises de son, questionnant une forme cinématographique expérimentale au service d’une pensée poétique, d’un engagement autant social que politique.   

Johan Van der Keulen
« Le rythme des images »
Du 16 juin au 17 septembre 2023
Jeu de Paume – Paris
1 Pl. de la Concorde, 75008 Paris