Parfums
La saga parfumée du muguet
30 AVRIL . 2024
Le muguet est une fabuleuse incarnation du Printemps, que l’on célèbre en offrant un brin porte-bonheur à l’occasion du 1er mai. Délicat, fleuri et terriblement raffiné, son parfum singulier séduit comme un délicat envoûtement et a marqué l’histoire de la parfumerie moderne.
Le muguet, fleur considérée comme sacrée par les Grecs et les Romains, aurait été créée par Apollon pour tapisser de douceur parfumée le mont Parnasse afin de préserver les pieds délicats de son cortège de muses. Il fut aussi associé à la Vierge Marie dont les larmes auraient donné naissance aux fleurs de muguet. S’il est aujourd’hui encore considéré comme un porte-bonheur, c’était déjà le cas chez les Celtes lors des célébrations de Beltane. Fort apprécié depuis la Renaissance, on raconte qu’en 1560 le roi Charles IX, en visite dans le Dauphiné, aurait été charmé par le présent qui lui fut fait d’un brin de muguet.
Il aurait alors introduit cette pratique d’offrir au printemps ces clochettes aux dames de la cour. Au XVIIIe siècle on l’appelait le « Lys de la vallée » ce qui reste aujourd’hui encore son nom en anglais « Lily of the valley ». C’est à partir du XXe siècle que le muguet sera associé à la fête du travail et offert tous les 1er mai, afin de porter bonheur. Aujourd’hui encore, il est de coutume de voir des particuliers comme des marchands faire commerce de cette jolie fleur, que l’on prend plaisir à offrir pour porter chance et fêter la pérennité des beaux jours. Il faut dire que la vente de ces jolies hampes florales est libre et tolérée uniquement cette journée-là pour les particuliers sans s’acquitter d’une quelconque taxe (s’il est sauvage ou d’un jardin privé).
Il n’est pas aisé de traduire la senteur de ces ravissants grelots d’un blanc immaculé qui embaument divinement malgré leur petitesse. Le muguet est ce que l’on appelle en parfumerie une fleur muette, c’est-à-dire une fleur dont on ne peut extraire le parfum naturel.
C’est étonnant quand on connait sa senteur entêtante n’est-ce pas ? C’est aussi le cas des fleurs de lilas, de chèvrefeuille, de seringa, de violette, de jacinthe, de gardénia et bien d’autres. Peu importe la méthode employée (enfleurage, distillation, solvants, etc.), la fragrance ne peut être capturée.
Par conséquent, c’est l’art du parfumeur et ses qualités d’alchimiste qui seront employées pour révéler la senteur du muguet en mettant au point une formule à même de retranscrire ses effluves fleuries. C’est un exercice qui est donc nécessairement périlleux car il ne peut être qu’une interprétation du secret que renferment en leur cœur ces fleurs miniatures. Durant la seconde moitié du XIXe siècle, grâce à la chimie organique, les molécules de synthèse ont permis de recréer ces senteurs pour ainsi dire de les reconstituer grâce à une partition pensée pour les révéler.
Cette interprétation se fait donc avec des matières naturelles communes à certaines fleurs (le lys, la rose ou le jasmin ont des similitudes olfactives avec le muguet) et des matières de synthèse (autrefois hydroxycitronellal en 1905, l’aldéhyde cyclamen en 1912 et aujourd’hui des nouveautés comme le Biomuguet, le LilyBelle ou le Nympheal). Selon le mariage que consacre le parfumeur, se révéleront soit les notes les plus vertes du muguet, soit les plus rondes et fraîches.
La floraison du muguet est très brève, une invitation à la contemplation et cela ne peut que conférer de l’ampleur à son aura innocente, mais pour autant mystérieuse.
Il ne faut pas oublier que c’est une fleur de sous-bois, hautement toxique et parfois même mortelle…
Il est souvent traité au cœur d’une composition, parfois en soliflore. Il existe certaines fragrances, cultes, qui ont marqué l’histoire du muguet en parfumerie, notamment Diorissimo de Dior créé par Edmond Roudnitska en 1956. Il s’agissait de la fleur favorite, pour ainsi dire fétiche de Christian Dior, qui prenait soin d’en coudre un brin séché dans l’ourlet des robes de sa création.
Le muguet est ici sublimé par la bergamote et les feuilles vertes en notes de tête, puis le muguet accompagné notamment du lila, du jasmin, de l’ylang-ylang et du lys en note de cœur. Enfin la civette et le bois de santal apportent une densité, un esprit plus charnu et animal. Un grand classique, fort élégant, une vraie brise à l’allure follement chic et un parfum qui marqua en son temps la parfumerie moderne par le caractère précurseur de sa composition. Intemporel.
Anaïs Anaïs est un autre parfum qui a marqué les générations dans un frais bouquet floral où trônent le muguet, le lys, le chèvrefeuille et le jasmin.
Accompagné d’un cœur vert et épicé (iris et ylang-ylang) avant que le fond boisé et ambré achève la composition. Il incarne la grande époque Cacharel, celle de l’innocence féminine ambiguë divinement sublimée par la photographe Sarah Moon.
La maison Guerlain propose une eau de parfum Muguet, célébrée comme un événement printanier, un véritable hommage à la fugace floraison de cette fleur. Composé par Thierry Wasser depuis 2016, les senteurs herbacées et florales de ces clochettes composent ce sillage si frais.
Chaque année, cette précieuse fragrance est présentée dans un flacon d’exception, dans une édition limitée pensée avec des artistes et artisans d’art. Cette année c’est Anne Lopez qui redessine le célèbre flacon aux abeilles dans une édition limitée à 4 885 pièces de collection uniques et numérotées.
La maison Oriza L. Legrand magnifie dans un superbe Muguet Fleuri, les délicatesses olfactives exquises des brins de muguets de sous-bois. Cette senteur est la réédition d’un parfum datant de 1920 (lui-même reprise d’une fragrance de la fin du XIXe).
Les notes de tête sont les herbes folles, les feuillages verts et quelques brins de muguet sauvage. Au cœur, se révèlent les feuilles de violettes, le muguet des bois, l’angélique et le galbanum, enfin, le cortège se clôt par le muguet, la mousse de chêne et le lys des prés. Un muguet fabuleux, troublant de réalisme et d’élégance.
Dans la pure tradition de la ville de Grasse qui vit s’épanouir durant des siècles la corporation des gantiers parfumeurs, la maison historique Honoré Payan (fondée en 1854 sans cession d’activité, c’est notable) propose dans sa ravissante collection vintage, une Eau de toilette Muguet, rafraîchissante et authentique, qui fleure bon le muguet dans une expression tout à fait intemporelle et féminine.
Une brise légère dont on apprécie les réminiscences d’une façon de se parfumer dont la discrétion faisait tout le raffinement. Beaucoup moins tapageur que certains parfums contemporains et une célébration de méthodes de travail artisanales de qualité.
La maison Molinard, célèbre au cœur de sa gamme Les Éléments, les matières chères à la parfumerie, traitées comme les vedettes de parfums « soliflore ».
Créée par la maison en 1990, Muguet sublime les délicates clochettes blanches et leurs multiples facettes au cœur d’un accord muguet, rose, fleur de lotus, rehaussé par un soupçon de jasmin. Un accord floral délicieusement printanier. Limpide, cette eau de parfum enchante par son sillage gracieux.