Cuisine
Rencontre et interview avec Alain Montigny, chef étoilé de l’Or Bleu
13 SEPTEMBRE . 2024
Alain Montigny, Meilleur Ouvrier de France et étoilé en 2008, est un chef dont la passion et l'expertise se ressentent à chaque service. À la tête du restaurant L'Or Bleu de l'hôtel Tiara Yaktsa à Théoule-sur-Mer, récompensé par une étoile au guide Michelin 2024, le chef rémois propose une cuisine raffinée et lisible, mettant en valeur la pureté des saveurs et la qualité des produits. Lors de notre rencontre, Alain Montigny nous parle de son parcours, de ses influences et de sa vision particulière de la cuisine.
Les Hardis : Pour ceux qui ne savent pas comment vous êtes arrivés dans l’un des plus beaux hôtels de la Côte d’Azur, racontez-nous brièvement votre parcours…
Alain Montigny : Mon parcours n’est pas très long en soi : après trois ans à l’École hôtelière de Reims, j’ai passé quatre ans et demi au Crillon à Paris, un des beaux hôtels des Champs-Élysées. Ensuite, j’ai poursuivi ma carrière pendant quatre ans et demi au restaurant La Part Des Anges à Compiègne. Puis, j’ai été chef exécutif au restaurant Le Carmontelle, à l’hôtel Dolce Chantilly, pendant 13 ans, où j’ai décroché ma première étoile Michelin en 2008.
Mon parcours m’a ensuite conduit en Suisse, au Chalet RoyAlp Hôtel & Spa, où j’ai également obtenu une étoile Michelin. Après trois ans en Suisse, j’ai rejoint L’Oasis à Mandelieu-La Napoule, une étape de transition où je suis resté deux ans.
Les Hardis : Pour revenir vraiment au début, pourquoi êtes-vous devenu chef ?
A.M : Cuisinier, vous voulez dire.
Les Hardis : Oui, cuisinier puis chef.
A.M : Cuisinier. À la base, je voulais faire de la mécanique. Mon père était mécano. Et puis, comme mon père élevait seul mes trois frères et sœurs et moi, j’étais l’aîné et je devais donner un coup de main avec les tâches ménagères et la cuisine. C’est comme ça que je me suis orienté vers la cuisine.
Avec des grands-parents qui avaient une basse-cour, un jardin, etc., j’ai appris et ça s’est fait naturellement. Maintenant, c’est au tour de mon fils qui entre en école hôtelière et il aimerait faire de la salle. Je l’ai pris quelques fois, de plus il présente bien.
Les Hardis : Quel est le chef qui vous a le plus influencé ?
A.M : J’ai travaillé avec Eric Frechon. C’était lui le boss. J’ai appris à bien traiter les produits dans toute leur complexité. Cela demande de la technique.
Les Hardis : Quel conseil donneriez-vous aujourd’hui à un jeune qui souhaite devenir chef ?
A.M : Travailler avec les meilleurs… en cuisine, pas avec les meilleurs acteurs.
Les Hardis : On dit souvent de sortir de sa zone de confort. Est-ce que la cuisine, c’est justement ne jamais sortir de sa zone de confort et faire ce qu’on sait le mieux faire ?
A.M : Il y a un temps pour la zone de confort et un temps d’inconfort. La zone de confort, c’est ce qu’on va vraiment envoyer au client. La zone d’inconfort, c’est sortir de ce qu’on fait d’habitude et chercher d’autres saveurs, d’autres techniques. Pour les clients, la zone de confort est ce qu’on maîtrise bien, car il faut être constant, perfectionniste, pointu.
Les Hardis : L’inconfort, c’est quand vous essayez de faire autre chose en cuisine et de surprendre le client. Donc avant de surprendre le client, il faut se surprendre soi-même.
A.M : Exactement. Quand on sort de sa zone de confort, il ne faut pas se donner de limites. Il faut sortir de ce qu’on fait tous les jours et être convaincu de quelque chose. Puis on se remet en zone de confort dans le monde réel et maîtrisé. Parce que derrière, c’est toute une équipe qui travaille sur ces plats. On ne peut pas tout faire tout seul, donc il faut l’adapter à l’équipe. Moi, j’ai la chance d’avoir une équipe performante, donc je peux aller un peu plus loin. Ce sont des gens qui sont avec moi.
Les Hardis : Quel est votre plat signature ?
A.M : L’œuf girolles, c’est un retour à l’enfance. J’aime toucher à l’enfance parce que c’est une part qui est présente dans chacun de nous.
Les Hardis : D’ailleurs, quel était votre repas préféré lorsque vous étiez enfant ?
A.M : J’ai tellement été habitué à manger plein de choses enfant que c’est difficile. Je dirai le steak haché purée qu’on écrase.
Les Hardis : Menton, qui fait le trait d’union avec l’Italie, est depuis 1928 la capitale du citron. Comment l’utilisez-vous l’agrume ?
A.M : Principalement en zeste et dans les huiles.
Les Hardis : Quelle valeur associez-vous à la cuisine ?
A.M : Santé, partage, bonheur, discussion, goût, émotion…
Les Hardis : Quel est le plus bel honneur qu’un chef puisse recevoir, à part l’étoile ?
A.M : Que le restaurant soit plein tous les jours. C’est une gratification directe du client, elle ne passe pas par une médaille ou par Michel Drucker.
Les Hardis : Quand vous faites le tour des tables le soir, les visages qui s’illuminent, les sourires qui se dessinent…
A.M : Oui, c’est un truc que j’adore parce que c’est vraiment mon ressenti, une recompense qui n’a pas de prix. C’est à ce moment précis qu’on voit si la journée a été bonne. Hier soir par exemple, j’avais deux clients qui m’ont connu quand j’étais à Chantilly. Ça fait toujours plaisir de voir des gens qui vous suivent.
Les Hardis : Pour parler des produits, quels produits aimez-vous le plus travailler pour leur cuisson, leur texture et l’équilibre qu’ils apportent aux saveurs ?
A.M : J’aime bien tout. Mais comme je dis, c’est surtout la qualité des produits qui donne envie de faire.
Les Hardis : Vous n’associez rarement plus de trois produits, vous n’aimez pas embrouiller les palais…
A.M : J’essaie de pas trop m’éloigner. Quand les clients ferment les yeux, ils doivent savoir ce qu’ils ont mangé.
Les Hardis : Dans les produits de la mer, y a-t-il un produit que vous aimez travailler plus qu’un autre ?
A.M : J’aime bien le mélange miel-tourteau. Je l’ai fait pendant quelque temps, mais c’est pénible de toujours faire le même plat. Par contre, quand c’est parfait, c’est parfait.
Les Hardis : Vivants ou décédés, quelles sont les personnes que vous admirez le plus ?
A.M : Robuchon, Bocuse. C’est eux qui ont marqué la cuisine. La cuisine de Robuchon, c’est la perfection, la gourmandise. La cuisine, c’est régaler de gourmandise et en même temps la perfection.
Les Hardis : Qu’est-ce qui change dans la tête d’un chef quand il décroche une étoile ?
A.M : Pour moi, c’était une formalité. Après, j’ai posé la question à l’équipe : est-ce que vous voulez que je vous accompagne pour la deuxième ? On le sait qu’on travaille pour ça. Ce n’est pas quelque chose que je cuisine, ce n’est pas une démonstration. J’expose par le travail.