Art
Le top 5 des meilleurs pavillons de la Biennale de Venise
15 MAI . 2024
Le monde de l’art se retrouve tous les deux ans à la Biennale de Venise pour prendre le pouls de la création contemporaine. Voici le Top 5 des meilleurs pavillons nationaux de l’édition 2024, intitulée “Foreigners Everywhere”, et ouverte jusqu'au 24 novembre.
Yael Bartana et Erwan Mondtag, Allemagne
A l’origine, le pavillon allemand était un bâtiment néoclassique, qui fut reconstruit en 1938 par un architecte lié au régime nazi, Ernst Haiger. La commissaire du pavillon Carla Ilk, touchée par son histoire, a pris le parti d’une présentation théâtrale et collégiale. Le projet Thresholds (frontières), est partagé entre le site du Giardini et l’île de La Certosa.
Au Giardini, la pile de terre qui s’amoncelle au pied de l’entrée du bâtiment – et bloque ainsi l’entrée principale – a été excavée d’Anatolie par l’artiste Erwan Mondtag. La proposition multisensorielle se poursuit à l’intérieur autour d’un escalier en spirale. Elle comprend une performance en hommage au grand-père de l’artiste, un émigré venu en Allemagne en 1968 pour servir de main d’œuvre bon marché, et qui meurt d’un cancer après avoir travaillé dans une usine d’amiante.
En parallèle, l’artiste et réalisatrice israélienne Yael Bartana propose “Or LaGoyim” (lumière sur les États, en hébreux), une série d’installations et de films qui explorent les thèmes du judaïsme et de la réparation. Si Bartana lançait un appel au retour des juifs en Pologne à la Biennale de Venise en 2011, elle envoie aujourd’hui la population sur un navire extraterrestre, sorte d’arche de Noé du futur qui propose une expérience collective aussi captivante qu’alarmante.
John Akomfrah, Grande-Bretagne
Révélé grâce à son travail avec les BAFC (Black Audio Film Collective), un collectif fondé en 1982 pour débattre du post-colonialisme dans la société britannique, John Akomfrah propose Listening All Night to the Rain (Écouter la pluie toute la nuit), un voyage initiatique à travers l’Histoire inspiré des poèmes de l’écrivain chinois Su Dongpo. La visite débute en sous-sol avec de nombreuses vidéos d’eau, ces “réservoirs de mémoire” qui font le lien entre migration en environnement.
Les œuvres reviennent sur la destinée des communauté issues de la diaspora africaine, entre intégration, abandon, soumission et rébellion. Organisées en chapitres (canto) introduits par de courts textes explicatifs, les nombreuses vidéos passent en revue des bouts de vies, comme cet homme qui attend le bus au beau milieu de l’Ecosse, ou encore le visage de Patrice Lumumba, premier ministre de la République Démocratique du Congo assassiné en 1961.
Plus loin, des travailleurs noirs s’affairent dans une usine de vélos, puis l’image d’un panneau tombe comme un couperet: Sorry No Coloured (désolé, par de personnes de couleur). Le voyage de salles en salles résonne comme une douce complainte, où le temps passe si lentement que tout s’emmêle. La politique, l’écologie, la globalisation, l’exil, tout est inextricablement lié… Reste-t-il seulement un peu d’espoir ?
Archie Moore, Australie – Lion d’Or de la Biennale de Venise
Le Lion d’Or de l’édition 2024 revient au pavillon australien, investi par l’artiste Archie Moore et organisé sous le commissariat d’Ellie Buttrose, avec le soutien de Creative Australia. Pour l’installation kith and kin, Moore a tracé un arbre généalogique d’après 65,000 ans d’histoire aborigène, en se concentrant sur ses racines Kamilaroi Bigambul. Au centre des noms tracés à la craie sur un immense tableau noir, qui s’étire sur la longueur du pavillon, une table couverte d’archives recense la disparition de membres des Premières Nations.
Parmi les défunts, on trouve de nombreux décès survenus en détention provisoire ou en prison. L’installation est entourée d’eau, reflet du taux élevé d’incarcération des populations indigènes. Le projet a pris plusieurs mois de recherche menées dans des bibliothèques, les archives de journaux et à travers les interviews de citoyens. Les visiteurs de la biennale sont invités à compléter cet arbre vivant, qui nous transforme en témoins et acteurs d’une histoire fragile.
Open Group, Pologne
Le collectif Open Group est fondé en 2012 par six artistes, dont les membres changent une fois leur projet accompli. Yuriy Biley, Pavlo Kovach et Anton Varga signent aujourd’hui un pavillon polonais glaçant. Face caméra, sans aucun artifice, des réfugiés évoquent le conflit en Ukraine à travers le bruit des armes à feu et de l’artillerie lourde utilisée par l’armée russe.
Repeat After Me II propose d’écouter ces sons aussi incongrus que violents, égrenés nonchalamment après une courte présentation de l’interprète, en mode karaoké. Le bruits des missiles, des mitraillettes et des lance-roquettes BM-21 Grad qui fusent est ensuite sous-titré. On découvre ces sons que les civils ont été amenés à reconnaître à la demande du Ministère de la Culture et de l’Information : les brochures distribuées aux populations expliquaient l’attitude correcte à adopter en fonction de l’arme utilisée. Dans l’immense pavillon du Giardini, on écoute la B.O. d’une guerre bien réelle, gravée à jamais dans la mémoire de ceux qui l’ont vécue.
Face aux deux écrans géants, un public interdit est sommé de répéter les “paroles”, devant des micros. Lors de notre passage, pas un bruit. Qui oserait se prendre au jeu ? Les vidéos de 2022 ont été filmées dans le camp de réfugiés domestiques près de Lviv. Celles de 2024 ont été réalisées hors d’Ukraine, dans un lieu tenu secret pour protéger les participants.
Yuko Mohri, Japon
Le pavillon japonais, tout en bric-à-brac, étonne à bien des égards. La sculptrice Yuko Mohri présente de multiples installations de fortune en tubes de plastique, seaux, entonnoirs et casseroles en tout genre. La multitude d’objets du quotidien est utilisée pour transvaser des liquides de manière plus ou moins efficace, qui prend le contre-pied de l’image d’ordinaire plus léchée des pavillons nationaux.
Les objets s’entrechoquent ici et là, offrant une transposition musicale de la cacophonie ambiante. Moré Moré (fuite), s’inspire en réalité du métro de Tokyo. L’immense hub japonais, pointe de l’urbanisme à grande échelle, doit souvent recourir à des méthodes artisanales pour réparer les fuites d’eau du réseau, causées par de constants mouvements tectoniques. À Venise, les accessoires du pavillon ont été récupérés dans des boutiques et des stands proches de la Biennale et bricolés sur place, histoire de souligner le propos.
Sur les tables, l’installation Decomposition récupère l’activité électrique de fruits et légumes en décomposition grâce à des électrodes, puis l’utilise pour jouer avec l’intensité lumineuse d’ampoules placées à côté. Les restes de denrées sont ensuite utilisés comme compost pour les plantes du Giardini. Pour Mohri, il s’agit avant tout de mettre en lumière la résilience de nos sociétés, et la puissance de la créativité face à l’adversité.