Gastronomie
Véronique Drouhin, de Beaune aux Etats-Unis, la même passion du vin
26 JUILLET . 2024
L'histoire de Véronique Drouhin, à la fois traditionnelle et captivante, se tisse avec les mots d'entreprise, famille, terroir, savoir-faire et modernité. C’est un voyage qui nous transporte de Beaune près de Dijon jusqu'à l'ouest des États-Unis, puis à la Maison Blanche. Cette épopée démarre avec des sarments solidement plantés, des grappes de raisin généreuses et leur précieux nectar : le vin. Écoutons Véronique Drouhin nous entraîner dans l'histoire de son parcours et de celui du domaine Drouhin.
« Drouhin, c’est une grande famille qui en est à la cinquième génération. J’ai 60 ans, et ne peux même plus me dire quinqua », partage Véronique Drouhin, avec une franchise, un sourire et des mots justes. Dynamique et généreuse, la représentante du prestigieux domaine Drouhin peut surprendre par sa désinvolture, surtout lorsque l’on envisage les responsabilités qui pèsent sur elle.
« Notre famille demeure une espèce rare, presque vue comme des dinosaures, mais nous restons des défricheurs, pionniers dans notre parcours », ajoute-t-elle avec sérieux. « Ça vend chez nous, le foncier a pris une telle valeur ! », remarque-t-elle en évoquant le lien profond avec leurs terres où tout a commencé.
Car chez eux c’est Beaune, et au début le doyen achetait le raisin, car il ne possédait pas de vigne. “On est toujours dans la même maison, celle achetée par Joseph Drouhin en 1880. Pour mieux maîtriser la vinification en amont, la famille décide d’acheter des terres. Maintenant le domaine Drouhin, c’est une centaine d’hectares.”
Vous ne connaissez pas cette histoire ? Restez attentif
La 3e génération, avec Robert Drouhin, s’ouvre à l’exportation en 1957, il a tout juste 24 ans. En 1968, l’achat de 30 hectares à Chablis par Robert Drouhin s’avère visionnaire. Véronique poursuit l’histoire : « Je pars faire mes études d’œnologie, et en 1986, je fais un stage aux États-Unis.
J’ai 24 ans à ce moment-là, c’est un âge clef chez nous, sourit-elle, Mon père me conseille l’Oregon, car là-bas il y a “Papa pinot”, David Lett.” Papa pinot ? Vous ne connaissez pas cette histoire ? Restez attentif.
Véronique raconte avec passion l’année décisive de 1979 durant laquelle la famille Drouhin, grande favorite d’un concours à l’aveugle, est suivie de près par un Américain surnommé « papa pinot » (ce dernier termine 10e). Mais l’année suivante le concours se rejoue et rebelote, ce sacré américain termine cette fois 2e avec son nectar à base de pinot noir, juste derrière la famille Drouhin. Mr Drouhin, épaté et curieux, agit en conquérant. Il sent le potentiel et prend l’avion pour aller voir ces vignobles prometteurs. Coïncidence ?
L’Oregon est à la même latitude que la Bourgogne. “En 1987, la famille décide d’acheter un terrain mitoyen à celui de David Lett. Et en 1988, on plante tout en produisant notre premier vin américain en achetant des raisins alentour. On obtient un super résultat !” Véronique a toujours des étincelles dans les yeux quand elle se souvient de sa première récolte américaine en 1989, “maintenant sur notre premier domaine américain, c’est 50 ha de pinot, 95% rouge et le reste en chardonnay. Et en 2013, on acquiert 50 ha à Roserock, avec le même schéma de plantation, 90% 10%.”
Son vin d’Oregon a été servi par Barack Obama à Emmanuel Macron
Cette aventure exigeante mais fructueuse aboutit à une reconnaissance internationale qu’elle évoque avec fierté. Son vin d’Oregon a été servi par Barack Obama à Emmanuel Macron, marquant ainsi la reconnaissance d’une aventure américaine. “Le sommelier de la Maison Blanche nous avait gentiment prévenu mais j’avais aussi un ami à table qui m’a appelé en disant : on boit ton vin !” C’est la reconnaissance en France d’une aventure américaine.
“C’est le nouvel eldorado du pinot noir l’Oregon.” s’amuse-t-elle. Encore fallait-il y croire un peu et y mettre de l’énergie. Toute la famille fait le déplacement aux Etats-Unis pendant les récoltes certaines années. Souvenez-vous entreprise, famille, terroir, savoir-faire et modernité, ça voyage très bien aussi. “On écrit maintenant le terroir américain, on va y arriver après 35 ans de récolte en Oregon”
La notion de famille de nouveau, mais la grande famille : “ mon père Robert a réalisé qu’il avait les mêmes problématiques que les autres grandes maisons viticoles. Alors autant s’épauler, s’organiser pour affronter et envisager le futur ensemble.” Elle sourit : “Une caisse de vin c’est 12 bouteilles donc il a réuni, avec le propriétaire Miguel Torres, 12 familles propriétaires (c’est la condition). Que des gens sympas !” Véronique Drouhin est aujourd’hui présidente de cette association créée en 1991 : Primum Familiæ Vini, la désignation latine pour Premières Familles du Vin. Douze membres, 6 français, 2 italiens, 2 espagnols, un allemand et un portugais parmi les familles propriétaires sur la planète.
Ils s’aident, se soutiennent et partagent leurs préoccupations notamment sur le changement climatique : “certains ont plus d’avance que d’autres, autant partager les expériences.” Véronique est disserte et concernée : “c’est un véritable challenge qui se présente à nous, le réchauffement climatique. C’est primordial pour notre domaine si fragile face à la météo. Avec le réchauffement climatique, on a gagné trois semaines de vendange, ce n’est pas si grave, mais la suite, à quoi peut-on s’attendre ? Le vin n’a jamais été aussi bon, mais ça peut devenir un réel problème si ça ne s’arrête pas.” Consciencieuse, elle explique : “On a arrêté le fret aérien pour diminuer nos dépenses carbone.”
Mon père ne m’a jamais dit que ce n’est pas un truc de fille
Etre une femme dans un domaine viticole, est-ce que cela a été compliqué ? “J’étais la seule fille de ma promo certes, mais tout s’est très bien passé. Mon père ne m’a jamais dit que ce n’est pas un truc de fille, mais je reconnais que ça n’a pas toujours été simple. C’est un non sujet maintenant, mais il reste des moments difficiles”, confesse-t-elle, “comme concilier la vie de famille pendant l’exercice du métier.
J’étais contente d’avoir un mari qui prend le relai durant les semaines de vendange, environ 4 à 5 semaines lorsque j’allais aux Etats-unis.”
La vie dans les vignobles français et américains suivent leurs cours au rythme des saisons : “on manque de vendangeurs, c’est tous les ans pareil. Et dans la famille on fait tout.” Elle c’est le marketing et elle est aussi la porte parole du domaine car bilingue en anglais. Avec un autre atout : “Je suis l’oenologue qui représente la famille.” Et quand elle dit famille on sent que ça prend tout son sens en générosité, sérieux et affection. “Je m’occupe tout le temps des vins et je sais qu’il est parfois difficile de venir visiter notre domaine, car celui qui reçoit, c’est aussi celui qui est sur le tracteur.
Mais je garde du temps pour accueillir, plutôt sur rendez-vous”, sourit-elle. Elle conclut avec générosité : “En Bourgogne, le vin a la réputation d’être cher, mais il y a des appellations modestes à découvrir. Il y a une centaine d’appellations en Bourgogne. Vous trouverez celle qui vous convient à coup sûr. ”