Culture
Winston et Clementine Churchill
14 FéVRIER . 2014
On pensait tout savoir du monstre politique, voici que l’on découvre une facette méconnue et ô combien touchante de Sir Winston Churchill : l’histoire d’amour tissée avec Clementine, sa femme, durant plus d’un demi-siècle.
Ce témoignage à deux voix est le fruit du labeur méticuleux de leur dernière fille, Mary Soames, qui a patiemment recueilli le miel de 1 700 lettres, télégrammes, notes et mémorandums échangés entre 1908 et 1964. Dès les premiers courriers, le lecteur est frappé par l’élégance de ces deux plumes – l’éducation victorienne, sans doute – et par la fréquence des missives : jusqu’à quatre lettres par jour ! Le téléphone existait pourtant. Il ne servait tout simplement pas à s’épancher.
Révolution industrielle, fêlures coloniales, guerres mondiales… Chaque message porte, outre la trace des considérations domestiques, le bruit d’un Monde en proie à de profonds remous. En 1915, Churchill, pourtant Premier Lord de l’Amirauté, démissionne suite à la tragédie des Dardanelles. Redevenu simple officier, il exige d’être envoyé en France, dans les tranchées. Le « major Churchill », les bottes dans la boue, écrit à sa femme : « Je suis sûr que je vais être parfaitement heureux ici et en paix avec moi-même. Il faut que j’essaie de me faire admettre comme un bon soldat sincère ». Plus loin, dans la même lettre, l’homme de goût prend le dessus. Savoureux : « Il va me falloir absolument de nouvelles culottes de cheval (…). Je vous demanderai d’en commander 2 chez Tautz sans lacets ni boutons au genou – & de les envoyer de toute urgence au colonel Barry, Etat-major général, qui me les fera suivre. » On doit à cette période de remise en question des lettres parmi les plus sombres de leur correspondance : « Chérie, je veux que vous brûliez les deux lettres que je vous ai envoyées hier. J’étais déprimé et je n’avais pas les idées claires ».
En retrait de tous les théâtres d’opérations (tranchées ou bancs du Parlement), Clementine joue cependant un rôle crucial dans la carrière de son mari. Les affaires intérieures de l’Etat, la vie de la Couronne lui inspirent de judicieuses réflexions. Elle n’hésite pas à s’inviter à des discussions au plus haut niveau de l’Etat en l’absence de son époux, comme elle l’explique dans ce courrier du 29 décembre 1915 : « Mon chéri, les journaux annoncent que la « crise » a pris fin et que la conscription obligatoire va être mise en place immédiatement. (…) J’ai fait suivre votre lettre à Ll.G. (Lloyd George, Chancelier de l’échiquier) mais il était parti pour Walton Heath. Il déjeune avec moi aujourd’hui ; j’espère donc bientôt pouvoir vous envoyer de vraies nouvelles… »
Par cette porte qui s’entrouvre sur l’intime, on guette évidemment les marques d’affection. Pour Winston, Clemmie (diminutif de Clementine) devient « Ma douce chatte », tandis que cette dernière opte pour la métaphore canine : « Toujours aucune lettre d’un très vilain petit Pug » (Carlin)… « Je pense souvent à vous et aux chatons », rappelle Winston, que l’on découvre en père attentif bien que physiquement distant, emploi du temps oblige. En 1921, le couple subit trois drames consécutifs : le suicide du frère de Clementine, la mort de la mère de Winston, et la disparition brutale, à deux ans et demi, de leur petite Marigold, emportée par une septicémie. Dans les lettres, quelques semaines durant, c’est alors la pudeur qui l’emporte. On peut être maître de guerre et pleurer dans les bras de sa femme, dans un train de nuit filant vers l’Écosse.
A l’âge de 89 ans, deux ans avant de disparaître, Churchill reçoit encore des petits chefs d’oeuvre de sobriété : « Mon chéri, le temps m’a semblé long sans vous – Je vous attendrai sur le seuil de la maison. Votre dévouée Clemmie » (4 juillet 1963). Ou encore : « De Clementine, 12 septembre 1963. Mon Winston chéri / Aujourd’hui cela fait 55 ans / que nous sommes mariés / 12 septembre 1908 / 12 septembre 1963 / Votre Clemmie qui vous aime ».
Les histoires d’amour sont-elles plus belles quand on leur offre un écrin d’encre et de papier ? Cette somme de plus de 800 pages nous donne envie de répondre par l’affirmative. Et, Saint-Valentin ou pas, on sera avisé d’offrir ou de se faire offrir cet ouvrage, au souffle érudit et puissant… qui donne une irrésistible envie de prendre la plume pour déclarer sa flamme.
Guillaume Tesson
Winston et Clementine Churchill
Conversations intimes 1908 – 1964
Editions Tallandier
848 pages – 29,90 €