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Rencontre avec Gaëlle Choisne, lauréate du Prix Marcel Duchamp 2024
02 DéCEMBRE . 2024
Dans le monde de Gaëlle Choisne, les œuvres sont empreintes de mysticisme alliant spiritualité et décolonialisme. Un travail onirique et salutaire qui lui vaut la reconnaissance de ses pairs, puisque Gaëlle Choisne vient de remporter le prestigieux prix Marcel Duchamp 2024. Rencontre avec une artiste pour qui la solidarité reste une valeur refuge.
Bretonne par sa mère et Haïtienne par son père, Gaëlle Choisne expose, au centre Pompidou dans le 4ème arrondissement à Paris, une installation baptisée l’ère du Verseau, présentée dans le cadre du prix Marcel Duchamp 2024. À mi-chemin entre photographie, sculpture et installation, le public est invité à déambuler vers un monde parallèle, une utopie célébrant le vivre ensemble. Une ère dans laquelle le combat des femmes transgenres est salué, tandis que la créolité est sublimée.
En quoi la vie d’un artiste change lorsqu’il reçoit le prix Marcel Duchamp ?
Je vous rassure : on peut très bien vivre sans. Mais je pense que c’est une reconnaissance internationale, cela permet de donner une visibilité à mon travail, ce qui est une vraie étape dans la vie d’un artiste.
À l’instar de Marcel Duchamp, vous usez et abusez d’objets du quotidien dans certaines de vos installations, tels que des clefs ou des bijoux fantaisies.
Je pense que l’art existe en premier lieu dans notre quotidien. C’est à nous de poser notre regard pour le faire exister car il est partout, tout autour de nous. C’est aussi une manière de prouver que l’on peut être créatif en permanence, il suffit de voir la magie et les symboles en déplaçant notre perception des objets qui nous entourent.
Diriez-vous que votre art est accessible ?
C’est une question que je me suis beaucoup posée, et j’ai souhaité d’une certaine manière y répondre, sans savoir si j’ai vraiment réussi ! C’est important pour moi d’offrir plusieurs manières de comprendre mes œuvres. C’est aussi pour cette raison que le public peut expérimenter physiquement mon travail, j’aime solliciter leur corps sans qu’ils aient besoin d’avoir des références artistiques ou élitistes. Mon intention initiale est de pouvoir parler à tout le monde.
Rien d’étonnant puisque votre prénom, Gaëlle, signifie en breton « seigneur généreux. »
Je suis ravie d’apprendre que mon prénom a une telle signification en Bretagne ! J’aime partager, diffuser et infuser des valeurs et des messages d’amour à travers mes œuvres. Pour l’Ère du Verseau, il y a vraiment cette notion de solidarité et d’entraide dont nous aurons besoin dans un futur proche.
Votre travail est aussi l’occasion pour le public de découvrir un pays qui vous est cher et que l’on connaît peu : Haïti. Comment pourriez-vous le décrire à un néophyte ?
C’est un pays d’une intense ambivalence : extrêmement beau et paradisiaque, tout en étant plongé dans une réalité politique et sociale terrifiante. C’est un endroit avec une puissance vibratoire énorme. Lorsqu’on découvre Haïti, soit on déteste, soit on adore. C’est un peu la même chose pour ma pratique artistique !
Vos œuvres possèdent aussi un aspect très méditatif, comme dans l’installation Tears of God dans laquelle des larmes de verre sont suspendues. Quelle est pour vous la meilleure façon de méditer ?
Dans la nature, en pleine forêt, enrobée d’une énergie puissante et ressourçante. Ce qui compte avant tout, c’est de pouvoir se reconnecter à ce que l’on est au plus profond de nous-même.
Votre travail s’inspire aussi beaucoup de la pop culture. Quelles sont vos références pop ultimes ?
Jean-Michel Basquiat. Ses toiles peintes en collaboration avec Andy Warhol sont des chefs d’œuvres américains. Mais je suis aussi inspirée par les films de mon enfance, les séries d’M6 et la culture dite populaire. Une culture que j’ai peu à peu mixée avec ce que j’ai appris durant mes études, la culture dite savante. J’aime mettre en avant ce mélange des genres, d’en faire une culture créole. C’est cette diversité de cultures qui apporte une richesse dans notre monde.
On trouve aussi, dans votre installation, une vidéo représentant une femme transgenre. Peut-on qualifier votre art de queer ?
J’aime beaucoup ce mot car son étymologie veut dire « étrange. » J’aime aussi le fait que ce soit devenu une insulte que la communauté gay s’est réappropriée, communauté dont je suis très proche. C’est une évidence, pour moi, de devoir montrer des corps qui sortent de nos schémas hétéronormés.
Je me sens queer dans ma vie et dans mon travail mais il ne définit pas pour autant ce dernier. Je n’accepte pas trop les catégorisations.
En 2015, vous avez présenté une exposition baptisée « Quand je serai morte » puis en 2023, une autre œuvre intitulée « Immortelles » : quel est le secret pour y accéder ?
(Rires) On meurt, de manière symbolique, plusieurs fois dans notre vie : lorsqu’on passe de l’enfance à l’âge adulte, lorsqu’on passe à différents états d’âme et de conscience…J’étais sûrement, en 2015, en train de vivre une de ces périodes de changements, de mort d’une époque. Mais je suis persuadée que notre âme est immortelle, j’ai déjà eu la preuve que mon corps a voyagé de corps en corps, que mon énergie s’est transportée. Cela m’a permis d’avoir une autre vision de notre rapport au monde, notamment sur le long terme. Je suis certaine que nous sommes tous immortels.
L’Ère du Verseau, présentée dans le cadre du Prix Marcel Duchamp 2024, jusqu’au 6 janvier 2025 au Centre Pompidou