Culture
De la prostitution à Orsay
16 OCTOBRE . 2015
« On ne sait plus aujourd’hui si ce sont les honnêtes femmes qui s’habillent comme les filles ou les filles qui sont habillées comme les honnêtes femmes » – Maxime du Camp, 1875
Pour qui fantasme la prostitution, s’intéresse à ses multiples facettes ou déplore sa perversion, c’est dans la seconde moitié du XIXème siècle qu’il aurait fallu vivre. Dans les salles du Musée d’Orsay apparaissent les ruelles du vieux Paris. Au cœur de cette ville – nouvelle Babylone ou merveille du monde moderne – des femmes déambulent sous la lumière mystérieuse des réverbères. Honnêtes femmes ou prostituées, telle est la question. Dans ces mêmes ruelles fleurissent des bordels aux petits salons drapés de tissu rouge capitonné. Summum du raffinement ou auberge de la misère humaine, c’est selon. Plus loin, des cafés, des « brasseries aux femmes », les coulisses de l’Opéra et de nombreuses rues de Paris sont le théâtre d’une séduction biaisée. Viennent ensuite les demi-mondaines, les courtisanes, les femmes fatales qui monnaient leurs faveurs contre des diamants et des hôtels particuliers, la Belle Otero et son fameux « la fortune vient en dormant… mais pas seule » en tête.
« Où commence la prostitution ? Où finit-elle ? Personne ne le sait. Elle s’étale ici, là, plus loin, ailleurs, partout » – Gustave Macé, 1888
C’est sur cette période que la très complète exposition « Splendeurs et misères, Images de la prostitution » du Musée d’Orsay revient. A travers plus de 400 œuvres, dont une centaine de peintures, elle dresse un portrait neutre et exhaustif du plus vieux métier du monde. Qu’est-ce qui différencie une prostituée d’une femme entretenue ? Comment savoir si celle que l’on courtise ne vend pas ses charmes ailleurs ? Qu’est vraiment le quotidien dans une maison close ? On croise ainsi les toiles de Toulouse-Lautrec et Picasso, les écrits de Flaubert ou les portraits de Monet. Le décor est plutôt sobre, mis à part les murs rouges et les rideaux de la même couleur pour délimiter les salles interdites au moins de 18 ans (où l’on observe les balbutiements des photographies et films pornographiques). L’accrochage est plus abouti, avec des jeux de perspective entre les toiles et les objets. Le spectaculaire « fauteuil d’amour » trône par exemple au centre d’une salle sous le regard sans équivoque de la belle Mademoiselle de Lancey, peinte par Carolus-Duran.
« Par la prostitution, reconnue comme vice légal, on dégrade indignement la femme et l’on méconnaît l’égalité qui doit régner entre elle et l’homme » – Léo Taxil, 1884
L’exposition ne glorifie pas la prostitution : une fois de plus, Orsay mise tout sur un titre d’exposition racoleur pour rester au final plutôt scolaire dans la réalisation. Le propos ici est simple : l’exposition insiste sur l’intérêt que portaient les artistes de l’époque au phénomène ; ils y voyaient un symptôme de la modernité, qu’il fut positif ou négatif. Tous y réfléchirent, s’en inquiétèrent, s’en réjouirent. La prostitution comme pied de nez aux conventions, comme volupté assumée, mal nécessaire ou simple horreur : Orsay n’a pas vocation à trancher et, plus que de morale, parle d’art. Et pas du moindre, puisqu’aux gravures et au mobilier s’ajoutent de nombreux chef-d’œuvres picturaux qui à eux seuls, valent le déplacement.
Louise Bollecker
Splendeurs et Misères. Images de la prostitution, 1850-1910
Musée d’Orsay, 1 rue de la Légion d’Honneur, 75007 Paris
Du 22 septembre 2015 au 17 janvier 2016
De 9h30 à 18h (21h45 le jeudi), fermé le lundi
Plein tarif : 11€
A lire : Splendeurs et misères des courtisanes, Honoré de Balzac
Les prostituées, Guy de Maupassant
A voir : Much Loved, Nabil Ayouch, actuellement en salles
L’Apollonide : Souvenirs de la maison close, Bertrand Bonello
Où manger : Les Climats, 41 rue de Lille, 75007