Culture
Galeristes, édition 2017 : le salon à taille humaine de Stéphane Corréard
08 DéCEMBRE . 2017
Enfant, il découvre -avec sa mère savoyarde- les joies des ventes aux enchères à Drouot, tombe en arrêt devant une exposition de tableaux modernes, achète sa première oeuvre pour vingt francs. Stéphane Corréard a fait bien du chemin depuis ; on le retrouve à l’occasion de la deuxième édition du salon Galeristes.
Le mercredi et le samedi, chaque semaine, il entraînait sa mère à l’hôtel des ventes, fasciné par la liberté de l’oeil en salle : personne pour vous dire ce qui est croûte ou chef-d’oeuvre parmi ces oeuvres abandonnées par leur propriétaires, prêtes à être domestiquées, appropriées. L’idée ne l’a jamais quitté.
Acheter de l’art français
Après des études de lettres, puis un diplôme de l’ESIAG, l’ancêtre de l’EAC (Ecole des Arts et de la Culture), sa rencontre avec Noël Dolla, chantre du mouvement Supports/Surfaces, et ses élèves, sa découverte des activités de la Villa Arson à Nice, orientent véritablement le goût du jeune diplômé pour la création contemporaine française. S’ensuivent un passage par la Fondation Cartier et le service militaire… Avant de revenir dans un paysage apocalyptique d’effondrement du marché de l’art, sur fond de guerre du Golfe.
C’est pourtant ce contexte qui lui permet de saisir sa chance : celle de défendre les artistes émergents, qui ne trouvent plus de marchands pour les représenter. Qu’à cela ne tienne ; il ouvre sa galerie à seulement 24 ans, en 1992. De l’enfant qui regardait ces toiles abandonnées en salles des ventes demeure ce drôle de sens de la responsabilité : celle envers les artistes français, comme s’il se devait de les défendre.
La galerie Météo s’inscrit dans cette période de véritable effervescence intellectuelle et créative : c’est l’époque de la revue Bloc Notes, du Purple magazine d’Olivier Zahm ou encore de la Revue Perpendiculaire de Nicolas Bourriaud. Ce sont aussi les foires comme Bâle ou la FIAC, encore accessibles aux jeunes marchands, et à laquelle participe la galerie dès 1993.
En 2000, Stéphane Corréard décide de fermer la galerie, sa mission remplie et ses artistes lancés, notamment à l’étranger. De son expérience naît une réflexion sur le marché actuel. Tour à tour galeriste, commissaire d’exposition, organisateur du Salon Montrouge, expert ou encore critique, Stéphane Corréard a touché à tous les aspects du marché de l’art, observé l’explosion des foires internationales, le choc de l’art et de l’industrie. L’homme, qui se décrit avant tout comme un “critique d’art opérationnel”, c’est-à-dire un critique engagé qui agit effectivement, pour l’art “dans toutes ses dimensions pratiques”, s’inquiète de ce système pervers, dans lequel l’argent et la puissance remplacent la recherche qualitative : le renouvellement à tous niveaux, voilà le besoin pressant selon lui.
Galeristes : la “foire de la famille”
Face aux foires mastodontes et à la faiblesse du second marché en France, le touche-à-tout de l’art contemporain décide de lancer, en 2016, le salon Galeristes, dans lequel la relation entre les galeristes, les artistes et les collectionneurs est remise au centre des problématiques. C’est cette relation entre passeurs et collectionneurs fidèles, avides d’un contact humain, qui forme Galeristes. “Le métier a besoin d’être reconsidéré”, avance Stéphane Corréard, fort de cette observation : de nos jours, trop souvent, collectionneurs et galeristes ne lient tout simplement plus le contact.
Si Galeristes se différencie des autres salons de l’art contemporain, c’est d’abord pour cette notion relationnelle très forte. Mais c’est aussi pour son choix ciblé : des galeries à taille humaine, capables de se renouveler, des « galeristes-collectionneurs », n’ayant d’ailleurs pas nécessairement pignon sur rue. “C’est un peu une réunion de galeries qu’on conseille à nos amis” lance-t-il. “La foire de la famille, en somme”. Le salon propose aussi une large sélection d’oeuvres à moins de mille euros -payables en quatre fois sans frais, “parce que la qualité muséale n’est pas une question de prix !” La scénographie, réalisée par Dominique Perrault, s’attache à mettre sur un pied d’égalité le visiteur et le galeriste.
Pour cette deuxième édition, Stéphane Corréard a donc décidé d’approfondir les fondamentaux acquis l’année dernière : rendre l’art accessible au public français, nouer des relations durables. Cette année en prime, les galeries ne sont plus 100% françaises, avec la Belgique et la Suisse qui investissent le Carreau. On ne peut que saluer la démarche qui comble un vide sur le marché français… Et on y court ce week-end !
Elsa Cau
Galeristes 2017 : la sélection de Stéphane Corréard
Antoni Miralda : Pionnier du Eat-Art à la fin des années 60, Miralda est surtout connu pour ses sculptures où prolifèrent des petits soldats. Mais c’est un artiste complet, qui détourne des ready mades avec beaucoup d’humour, et une causticité non dénuée de critique politique.
Beat Zoderer : Artiste majeur de la peinture abstraite allemande depuis plus de 40 ans, Zoderer détourne des matériaux du quotidien pour en extraire tout le potentiel pictural. Il est très rare de voir ses œuvres en France. Il vient de rejoindre la galerie Sémiose, qui l’expose ici pour la toute première fois.
Keith Haring : Artiste iconique des années 80, Haring était très lié à de grands artistes qui l’ont précédé, notamment autour du groupe Fluxus et de la poésie concrète. Catherine Thieck consacre son stand au grand artiste et poète surréaliste puis « beat » Brion Gysin, à qui Haring a dédié cette encre.
Mathieu Cherkit : J’ai eu le plaisir de montrer son travail au tout début, quand je m’occupais du Salon de Montrouge. Il peint presque exclusivement sa maison, son atelier, son jardin… mais le spectateur les redécouvre à chaque fois, car il les métamorphose avec un art savant et jamais pesant de la couleur et de la composition.
Michel Journiac : Pionnier de l’art corporel, Journiac a dynamité tous les standards religieux, sociaux, sexuels, etc. Son oeuvre connaît un grand retentissement dans les nouvelles générations. C’est dorénavant la Galerie Gaillard qui défend son oeuvre. Vu la qualité du travail qu’ils ont effectué pour Kudo ou Pommereulle, Journiac ne va pas tarder à retrouver toute sa place, j’en suis sûr !
Thomas Lévy-Lasne : Lui aussi j’ai eu la chance de le montrer au Salon de Montrouge, en 2010. J’avais déjà été frappé par l’ambition de son entreprise : peindre ce qui n’a pas été peint avant, ou qui ne peut être photographié. Ses aquarelles de « Fêtes » ont un grand succès, et je suis heureux que le public puisse découvrir ses tableaux à Galeristes.
Valérie Mréjen : Cette artiste complète, qui est aussi écrivaine et vidéaste, réalise quelques rares dessins dont cette série que je trouve irrésistible. Derrière les encouragements apparents se cachent peut-être des injonctions nettement moins aimables. Ces œuvres me semblent très pertinentes dans l’ambiance actuelle !