Art
Pauline de La Grandière : l’art de la méthode
12 AVRIL . 2018
Elle exerce l’un des métiers de l’ombre les plus exigeants : restauratrice en œuvres d’art. Diplômée de l’INP (Institut National du Patrimoine), Pauline de La Grandière est devenue l’une des restauratrices attitrées du spécialiste absolu du Noir, l’artiste Pierre Soulages. On la rencontre ce jour-là à Paris, sollicitée par le Centre Pompidou, pour procéder à une intervention sur une toile du maître. L’occasion d’en savoir plus sur un parcours hors norme et une personnalité singulière.
Neuf heures ce soir-là, son téléphone sonne. Au bout du fil, un collectionneur américain fébrile : dans quelques jours se déroulera une prestigieuse vente aux enchères et parmi les lots figure un Soulages. Il souhaiterait avoir l’avis de Pauline sur son état de conservation avant de se positionner. « Êtes-vous disponible demain pour venir voir le tableau ? ». Pauline est à Paris, elle doit regagner le lendemain matin Nîmes, son camp de base, « ce soir si vous voulez… » Dix heures du soir : la prestigieuse maison de ventes du 8ème lui ouvre ses portes. Éclairée à la lumière de l’Iphone elle commence son travail, comme si la situation était de l’ordre du banal.
Le quotidien de Pauline est de côtoyer des œuvres que nous n’apercevons qu’à peu d’occasions, et où le recueillement nous est rarement offert. Elle vit littéralement avec elles pendant les quelques mois qui lui appartiennent, cherche à les comprendre, à panser leurs blessures, à leur redonner vie. Enfant, Pauline voulait réparer les vivants, elle voulait guérir du cancer, et puis il y a eu cette rencontre avec l’art. Au décès de son grand-père, elle accompagne ses parents pour confier un tableau chez une demoiselle restauratrice rue du Bac. Elle est émerveillée par cet univers, ces matières, ces couleurs et ces odeurs. A la vue d’une toile de grand format déchirée de part en part, elle interroge la restauratrice : peut-on réparer une telle cicatrice ? A la réponse affirmative elle n’aura de cesse de repenser à cette magie et d’attendre sa prochaine venue pour observer le résultat. Après tout, on ment si souvent aux enfants !
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A la rentrée des classes, à la question “quel métier veux-tu faire?” de la fiche de renseignements pour la maîtresse, Pauline remplit de son écriture enfantine “restauratrice de tableaux”. Il faut dire que l’art coule dans les veines de la famille depuis presque toujours : la grand-mère de Pauline a appris à dessiner à sa cousine, une certaine Niki de Saint-Phalle.
C’est aussi l’environnement dans lequel grandit Pauline qui a contribué à son éveil au beau et à l’indicible. A Saint-Savin-sur-Gartempe, petite bourgade de la Vienne, l’abbaye est classée au Patrimoine Mondial de L’Unesco et contient des fresques romanes qui constituent un chantier de restauration permanent pour l’IFROA (l’Institut Français de Restauration des Oeuvres d’Art), ancien nom de l’INP (Institut National du Patrimoine). Au Lycée, Pauline se rend sur le site du chantier-école.
Allant jusqu’à contrarier une nature littéraire, elle enchaîne un bac scientifique dans l’optique d’intégrer l’IFROA, puis s’inscrit en histoire de l’art et devient copiste au Louvre, en attendant l’âge légal de passer le concours. Mais à vingt ans, elle termine aux marches du podium… C’est que la difficulté d’entrée à l’Institut est de notoriété publique : chaque année, seuls trois élèves intègrent l’école sur une centaine de postulants, la section peinture étant l’une des plus exigeantes. L’année suivante pourtant, la voici acceptée. A elle l’accès aux musées fermés, et les premiers contacts directs avec les œuvres en prise avec le temps ! Elle attend cela depuis toujours.
Pendant ses années de formation, la peinture contemporaine l’émeut et l’attire comme un aimant. Elle part en Allemagne. Et c’est là, au K21 de Düsseldorf, qu’elle accède à son premier Soulages. Par le hasard le plus complet, ce tableau marquera la deuxième rencontre la plus déterminante de sa carrière.
En 2004, Pauline rencontre Pierre Soulages, en présence de son biographe. D’abord intimidée par le grand homme au propre comme au figuré (l’artiste mesure 1,94m) elle se concentre sur sa tâche et décrit au peintre les étapes de la restauration qu’elle envisage. “Je crois que nous nous sommes tout de suite bien entendus humainement, ce qui a compté pour que la relation de confiance mutuelle s’installe.” Depuis lors, si Pauline n’est pas la seule à traiter les toiles de Soulages, elle a construit sa singularité sur sa méthode, une méthode qu’on lui reconnaît et qui fait qu’on la sollicite dans le monde entier. Méticuleuse, exigeante, elle ne compte pas ses chantiers et les heures passées dans son atelier du midi, qui trône au pied des arènes nîmoises.
Mais de son œil avisé, la restauratrice opère également sur des tableaux de maîtres plus classiques : à son actif, Les Meules Claude Monet, La Parisienne de Kees Van Dongen, Le Cerf de Gustave Courbet – dont l’authenticité a été validée dans le cadre de sa restauration, La Vierge aux donateurs de Pierre Paul Rubens… En ce moment, elle travaille sur une toile de l’atelier de Nicolas Poussin, rien que ça !
Son quotidien est donc aussi et surtout celui de restaurer les œuvres d’une clientèle privée. “Je suis dépositaire d’une émotion, celle de voir des gens me confier leurs tableaux avec une histoire qui est la leur” quelle que soit la toile, l’enjeu est le même : celui d’être acteur du visible en étant invisible. “Il n’y a rien de plus beau que de les révéler” confie-t-elle. “Les gens sont souvent démunis, ils ne savent pas à qui s’adresser et, étonnamment, notre profession n’est pas réglementée.” En tout cas nous désormais, on saura à qui demander…
Laurène Bigeau
(A la une : Pauline traitant les Soulages avant l’ouverture du Musée Soulages à Rodez en 2014)
Une restauratrice active
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