Gastronomie
Guillaume Drouin, magicien du Gin de pomme en pays d’Auge
28 JUIN . 2018
A quarante ans, Guillaume Drouin poursuit le dessein familial aux commandes de la distillerie normande Christian Drouin, réputée pour la qualité de ses calvados qu’il remet au goût du jour, et joue de son époque avec sa création : le premier Gin français élaboré à base de pommes. Portrait d’un doux rêveur et d’un entrepreneur insatiable.
Par Laurène Bigeau
Lorsqu’il nous accueille ce soir-là au Gallopin, une institution du quartier de la Bourse où les courtiers venaient autrefois célébrer les grandes heures de la cloche à coup de lampées de champagne, le quadra souriant a déjà sorti les armes : les flacons maison trônent fièrement sur le comptoir.
Avec sa faconde enjouée et son style gentleman farmer, Guillaume Drouin n’était pourtant pas destiné à prendre la tête de l’entreprise familiale initiée par son grand-père. Mais l’audace, Guillaume la tient de ses gênes.
Un grand-père tombé dans les pommes par accident, après avoir fait l’acquisition dans les années 60 d’une ferme au cœur du pays d’Auge, entourée de pommiers. Echaudé par le prix qu’il pourrait obtenir de sa première récolte il préfère se lancer dans la distillation, sans toutefois se consacrer à la commercialisation de ses eaux de vie. Une option bénie de ses descendants : la maison possède depuis lors une collection de 35 millésimes de Calvados, de quoi trouver celui de son cœur ou de sa naissance, en poussant la porte de cette maison qui reçoit chaque année plus de 20 000 visiteurs.
“Le luxe c’est d’avoir le temps” nous précise Guillaume, et pour faire des eaux de vies il en faut… Ce n’est pourtant pas ce “luxe” que recherchait Guillaume plus jeune. Le calva pour lui, c’était ringard, un truc de vieux. Il voulait faire du vin. Enfant, son grand-père lui confiait la lourde responsabilité de sommelier maison, et lui transmit ainsi sa passion des vins de Bourgogne… Une formation d’ingénieur agronome à Montpellier plus tard, et le voici sur les routes : Languedoc, Bordeaux, Afrique du Sud, il devient flying wine maker.
A l’occasion d’une mission en Haïti, il développe sa connaissance des spiritueux chez Barbancourt, un rhum agricole réputé. Le déclic se fait ressentir à des milliers de kilomètres : Guillaume rentre en Normandie et travaille au côté de son père. Une décennie plus tard, en 2014, il prend la direction de l’entreprise.
Contrairement aux raccourcis faciles, son savoir-faire lié au raisin n’a pas été duplicable à celui de la pomme et du distillat. Il a même fait des essais infructueux avant de comprendre les spécificités du métier. “On arrive pétri de certitudes en se disant qu’on va mieux faire, puis on est rattrapé par les années de pratique et c’est tant mieux” conclut-il, pragmatique.
Son empreinte, Guillaume l’a posée au travers de son ambition de dépoussiérer cette eau de vie qui mériterait plus belle notoriété. Comment ? En investissant l’univers du bar en mixologie avec les calvados jeunes, en faisant déguster des millésimes hors d’âge, à l’instar des grands cognacs ou bas armagnacs, et pourquoi pas en osant des cocktails en food pairing à base de son produit star, le gin.
Il n’y a qu’à sonder les professionnels du segment et les amateurs éclairés, quand on parle de gin, un ovni surgit toujours au milieu de la conversation. Découvert lors du rallye des 100 GT en présence de quelques Grands Ducs au comptoir de l’illustre bar de l’Hôtel Normandy de Deauville, nous étions tous tombés sous le charme de ce gin local, une petite bombe made in France, aromatique et équilibré, délicat et rond, son titrage de 42° passant presque pour indolore.
“Je crois que ce gin aurait amusé mon grand-père” – Guillaume Drouin
Culotté de faire un gin à base de pomme, mais pourquoi pas ? En plein essor du segment cocktails, Guillaume avait l’œil en alerte. Lors d’une tournée en Belgique il y 6 ans, il découvre chez un caviste un kit de 8 aromates pour réaliser son gin, et de retour dans sa Normandie il s’y essaie tel un apprenti sorcier. Ses expérimentations mènent à un équilibre parfait entre vanille, gingembre, amande grillée, cannelle, cardamone, rose, citron et bien évidemment genièvre traditionnel. Chaque arôme est macéré séparément dans de la blanche (alcool neutre de pomme) et distillé (toujours isolément) avant assemblage final et mise en bouteille. De chaque batch, il ressort 2850 bouteilles, toutes numérotées.
Côté matières premières, il faut choisir entre les 230 variétés de pommes existantes, Guillaume sélectionne des variétés douces et douces-amères pour les cidres qui servent à produire la base distillée, et les sélectionne avec soin dans les vingt hectares de vergers bio maison, mais également auprès de producteurs voisins avec qui il a tissé des partenariats.
Avec ses gins, Guillaume Drouin a su apporter un nouvel éclairage sur la production d’alcools de sa région. Si la maison continue la maîtrise de ses grands classiques que sont calvados, cidres, pommeaux et poirés, le jeune homme ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et dévoilera en septembre prochain une nouvelle création lors du salon Whisky Live Paris. “Je crois que ce gin aurait amusé mon grand-père” nous confie-t-il l’œil complice. Il n’y a pas à dire, en croquant dans la Pomme, Eve a eu le goût sûr…
L.B.