Gastronomie
Les Grands Ducs à bord du train du cholestérol
20 NOVEMBRE . 2018
Les plus anciens ont fréquenté l’Orient-Express, le PLM ou le train Bleu, les plus jeunes n’auront connu que le TGV ou Ouigo. Mais la plupart d’entre vous n’ont jamais entendu parler du train pourtant le plus gastronomique de France…
Par Aymeric Mantoux
(texte et photographies)
« Prenez bien soin de nos invités« , exhorte le directeur de la foire de Brive, alors que le train dit « du livre », vient de s’élancer sur les voies. Autour de lui, une escouade de jeunes serveurs souriants s’affairent. D’une voiture à l’autre, d’un compartiment au suivant, ils déambulent avec de grands plateaux.
« Pour l’apéritif, canapés de foie gras et magret de canard, allumettes au fromage, accompagnés aux choix de demi-sec blanc, de vin de framboise, griottes et cerises, d’alcool de gentiane ou de figue ». Rarement on aura vu un tel accueil dans un train. Et encore, vous n’avez rien vu.
Pour preuve, ce jour-là, au menu – servi à la place et chaud s’il vous plaît- omelette aux cèpes, salade de mâche et cabécou, soupe de légumes et crumble aux pommes, le tout arrosé d’un Cabernet Franc Les Périères, Côteaux de la Vézère 2016, un vin de pays des plus délicats, puis d’une veille prune, pour faire passer.
Comme dans la fameuse série documentaire, ce convoi est vraiment « Un train pas comme les autres ». D’ailleurs, la nouvelle a fait (presque) le tour du monde la semaine dernière : le train affrété par la mairie de Brive pour acheminer à bon port les dizaines d’auteurs, d’éditeurs et de journalistes à la fameuse foire du livre -la seconde la plus importante de France- a été contraint de faire demi-tour.
En cause ? Une « erreur d’aiguillage » selon la SNCF. Pas de quoi fouetter un chat donc. Sauf qu’à bord, se trouvait toute l’intelligentsia de Saint-Germain-des-Prés. Un crime de lèse-majesté, donc, quand on sait l’importance du livre et des littérateurs dans notre beau pays. En dépit de quelques tweets rageurs et coups de fils furieux, ce n’était pourtant pas grave.
Pour la plupart des voyageurs, la destination finale importait en effet moins que le voyage lui-même, et sa précieuse cargaison, le secret bien gardé de ce convoi ferroviaire. « Le menu servi dans le train du livre, explique le journal local La Montagne, est aussi attendu que la liste de ses convives. »
Car, c’est la tradition, la très hospitalière et accueillante mairie de Brive et les producteurs locaux offrent aux écrivains et personnalités de tout poil (de Dave à Annie Duperey, en passant quand même par Delphine de Vigan, Amélie Nothomb, Serge Joncour, François Busnel ou encore Christophe Ono dit Biot), un repas gastronomique afin que les cinq heures de voyage passent plus agréablement.
Pas des nourritures intellectuelles pour l’esprit, non, de solides bien terrestres forcément issus du sud-ouest : foie gras, manchons de canards confits dans leur graisse, rocamadour, le tout copieusement arrosé de vins locaux, Saillant ou Pécharmant, et de liqueur de noix, alcool de gentiane de Salers ou liqueur de figue…
Cet assortiment de mets corréziens, graissons, charcuteries et fromages d’Auvergne, flognarde aux pommes…a valu au train du livre son surnom de « Train du cholestérol ». Il se murmure qu’Erik Orsenna en serait à l’origine. « Il avait dit qu’en prenant ce train, on embarquait pour Cholestérol City », a expliqué un jour Alain Rey, l’homme du dictionnaire.
Il faut dire que dans ces wagons extraordinaires les mets se succèdent en cascade : magrets, salades, douceurs aux noix, n’en jetez plus la cour est pleine. Une manière de célébrer l’art de vivre à la française et les trains d’antan. Le Brive Express est sans aucun doute le train le plus prestigieux de France. Seule manière de monter à bord : être invité par la Mairie de Brive à la célèbre foire.
Créé en 1985, ce train fût longtemps un corail classique, qui transportait depuis Austerlitz les auteurs à Brive. A bord, une dégustation de produits locaux. Puis pendant plusieurs années, d’anciens wagon de feu l’Orient Express furent utilisés et les menus montèrent en gamme. Un mythe. Aujourd’hui, c’est un simple TGV, mais les agapes se poursuivent et le mundillo germanopratin ne manquerait le départ pour rien au monde.
Bon, seule contrainte, il ne faut pas être pressé, la ligne Paris-Brive se parcourant à la vitesse de 90 km/h. Autant dire pas à Brive abattue… D’ailleurs, pour gagner du temps, certains préfèrent aujourd’hui emprunter l’avion. Erreur grossière. Pour paraphraser Patrice Chéreau, ceux qui aiment manger prendront le train.
A.M.