Gastronomie
Entre fascination et exaspération, CAM, le resto asie mutée si parisien
11 MARS . 2019
Il faut être sacrément motivé pour aller découvrir CAM Import-Export, la cantine parisienne du chef coréen Eseu Lee : pas de réservation, couverts en nombre limités, ouvert seulement 5 soirs par semaine… Nous avons néanmoins bravé tous les obstacles pour vous rapporter ce sujet. Attention, expérience !
Thierry Richard
(Texte et photographies)
Dîner chez CAM Import-Export est une aventure. Mieux vaut le savoir avant de suivre aveuglément les conseils de vos amis foodingues. On nous avait prévenus, nous n’avons pas été déçus.
Dans une ancienne boutique de breloques à touristes, dont on n’a pas jugé nécessaire de changer le nom ou la devanture, le chef coréen Eseu Lee a placé derrière une verrière indus sa cuisine de poche, dans un espace si petit que les ingrédients et accessoires s’empilent en étagères jusqu’au plafond.
La salle cultive avec soin un négligé à la limite du squat : murs défraîchis, posters scotchés, tables rondes exigües, sièges brinquebalants au confort relatif, un paquet de mouchoirs en papier posé sur table en guise de serviettes, plantes vertes neurasthéniques… On n’en pousserait même pas la porte si la rumeur ne nous avait pas murmuré qu’on y trouve une des cuisines les plus (d)étonnantes de Paris.
Nous ne sommes visiblement pas les seuls dans la confidence puisque se presse en nombre chez CAM une faune branchée de modeux et de foodies cosmopolites (l’anglais est ici première langue), mêlant quarantenaires à bonnet et blondes peroxydées, tous attirés par la réputation du chef et visiblement heureux de se retrouver ensemble.
Sur la table où nous prenons place, la carte, courte, en caractères dactylographiés et en anglo-coréen à laquelle on ne comprend rien, chopant juste un mot de-ci de-là (caille, seafood, eggplant, tartare…). Traduction nécessaire par la serveuse tatouée (un must ici) et nonchalante. Comme chez Cam on sert une succession de petits plats que l’on peut aisément partager, finalement, on commande le tout !
Cela démarre par de la Scarmoza, du daikon et du chou kale frits (“Scamorza and daikon cake chips”) d’un irrésistible moelleux, puis une salade tendre et croquante, légèrement sucrée mêlant des aubergines et des choux de Bruxelles avec quelques ingrédients non-identifiés (“Japanese eggplant, brussels sprouts and crispy tofu salad”), un tartare de boeuf violemment assaisonné et ses chips XXL (“XO tartare, dumpling chips”).
On enchaîne sans trop se presser (le service est aussi foutraque que le lieu) avec une très belle composition végétarienne (“Paris 2019 vegan temple sashimi”) dont on peine encore à identifier tous les composants mais qui révèle une superbe palette de saveurs, puis des petites cailles en composition rougeoyante et épicée (“Typhoon shelter caille, jumeok bap”) que l’on mange avec les doigts (gants de chirurgien fournis), une variation croustillante du gimbap coréen (une sorte de gros maki) avec calamars et lard de colonnata (“Calamari gim bap”), avant de finir avec des moules en version herbacée (“Sizzling seafood, famous rice”) accompagnées d’un riz croquant tellement dingue qu’on en a demandé la recette au chef : il est cuit au four pendant des heures.
Une cuisine surprenante, vibrante, qui ne ressemble à rien de connu et vous transporte dans des univers lointains et dépaysants. Un expérience de lâcher-prise franchement très réussie. Ne cherchez pas en revanche de dessert (ici pas de sucré) ni de boisson chaude pour finir votre repas. Ce n’est pas dans les habitudes de la maison.
On a tout de même trouvé dans une carte des vins supernature une vieille connaissance : Jaspe, le blanc du Domaine Hauvette en millésime 2016. Parfait ! Comme quoi…
Il y a chez CAM, pour résumer, tout ce que l’on aime et tout ce que l’on déteste dans la culture gastronomique contemporaine à Paris : de l’entre-soi, de la désinvolture assumée frisant le jemenfoutisme mais aussi un immense talent et le goût irrésistible – au final – de l’imprévu.
Franchement, ça se tente.
T. R.
CAM
5 rue au Maire
75003 Paris
Téléphone : +33 6 26 41 10 66
Ouvert seulement le soir du mercredi au dimanche
A la carte, compter autour de 50 €
Métro : Arts et Métiers