Culture
« Nous sommes de la viande », Francis Bacon du texte à l’image au Centre Pompidou
10 JANVIER . 2020
Sulfureux et inclassable, Francis Bacon a marqué l’histoire de l’art du XXe siècle à travers une production singulière placée sous le signe du tourment et de la violence. Plus de 20 ans après la dernière grande exposition française consacrée à son travail, l’événement « Bacon en toutes lettres » organisé par le Centre Pompidou jusqu’au 20 janvier, retrace l’une des périodes artistiques les plus violentes de l’artiste, en explorant l’influence de la littérature poétiques et philosophiques sur sa peinture.
Par Laure Martin
De Dublin à Paris
La figure paternelle, éleveur de chevaux et ancien commandant de l’armée britannique, marque profondément Francis Bacon, expulsé du cocon familial à seulement 16 ans. Le soupçonnant d’homosexualité, son père l’envoie à Londres pour le punir.
Mais dès 1926, il séjourne deux mois à Berlin, profitant des plaisirs de la vie nocturne avant de s’installer définitivement à Paris pour exercer le métier de décorateur. Cependant, c’est en 1927 qu’un déclic a lieu, suite à la visite de l’exposition consacrée à Pablo Picasso Cent dessins par Picasso à la galerie Paul Rosenberg. Il commence à produire ses premiers dessins et aquarelles.
Des visages déformés aux corps mutilés
Autodidacte et fier de l’être, Francis Bacon déclarait à de nombreuses reprises qu’il « a eu la chance de ne pas avoir de professeur » afin de s’inspirer librement de grandes figures de l’histoire de l’art tels que Poussin, Goya, Velazquez ou encore Van Gogh.
Si dès 1933, Bacon attire l’attention de l’historien Herbet Read, il faudra attendre 1944 avec la création du triptyque Three Studies for Figures at the Base of a Crucifixion pour que sa carrière démarre. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, il représente des corps morcelés et ensanglantés, pris au piège dans des espaces narratifs impossibles.
« Nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance. Si je vais chez le boucher, je trouve toujours surprenant de ne pas être là, à la place de l’animal… » – Francis Bacon
1971, succès et tragédie
Le Centre Pompidou s’attache à mettre en valeur soixante tableaux (incluant 12 triptyques, ainsi qu’une série de portraits et d’autoportraits), réalisés durant les deux dernières décennies de sa vie. L’année 1971 est une date charnière pour l’artiste, renvoyant à la fois à l’année de sa reconnaissance internationale grâce à sa rétrospective présentée au Grand Palais mais également à la mort de son compagnon George Dyer, qui se suicide à Paris, la veille du vernissage.
L’exposition rend hommage à cette histoire d’amour tumultueuse en présentant les trois triptyques colorés peints en souvenir de son amant, In Memory of George Dyer (1971), Triptych–August (1972) et Triptych May–June (1973). Véritable tournant dans sa création artistique, la culpabilité de ce drame s’exprime à travers l’invasion de la représentation d’Érinyes, figures hideuses de la mythologie grecque, comme en témoigne le triptyque Triptych Inspired by the Oresteia of Aeschylus de 1981.
La littérature comme imaginaire
« Je veux éviter à tout prix qu’en regardant mes tableaux, on pense que j’ai voulu raconter une histoire. Pour moi, la narration, cette fonction que l’on donne parfois au tableau, est une manière de tuer la peinture, un aveu d’impuissance » déclarait Francis Bacon. Réfutant toute forme de narration dans sa peinture, il affirmait néanmoins trouver dans la littérature une source d’inspiration sans limites.
Si sa bibliothèque se composait de plus de 1000 ouvrages, l’exposition a souhaité tout particulièrement faire dialoguer les mots d’Eschyle (avec ses Euménides), de Friedrich Nietzsche (La Vision dionysiaque du monde), de Georges Bataille (Chronique. Dictionnaire), de Michel Leiris (Miroir de la tauromachie), Joseph Conrad (Au Cœur des ténèbres) et T.S Eliot (La Terre vaine) avec l’univers pictural de Bacon. Ponctuant le parcours, six salles diffusent les textes lus par différents comédiens (Mathieu Amalric, Jean-Marc Barr, Carlo Brandt, Valérie Dreville, Hippolyte Girardot, Dominique Reymond et André Wilms).
Avec ce nouveau dialogue, entre texte et image, l’exposition replace ainsi toute la dimension poétique au centre du travail de l’artiste…
L.M