Cuisine
La cuisine du placard, petit éloge de l’omelette
13 AVRIL . 2020
On croit, à tort, que rien n’est plus facile à faire. Mais l’omelette c’est bien plus que casser des oeufs (fussent-ils de Pâques) : c’est un tremplin infini pour l’imagination. Petit tour d’horizon amoureux de cette amie généreuse des jours de confinement.
Par Thierry Richard
Petite histoire de l’omelette
On ne sait finalement que peu de choses sur ce plat internationalement répandu avec ses variantes orientales, asiatiques, méditerranéennes… Étonnement, on trouve peu de traces de l’omelette dans l’Antiquité, si ce n’est une recette romaine de Lucullus nommée Ova mellita qui consistait à battre des oeufs avec du miel et à les cuire dans un plat d’argile. Ce n’est réellement qu’au Moyen Âge que cette préparation se diffuse, traçant son chemin à travers les monastères d’Europe. Rabelais cite une “homelaicte d’oeufs” dans Pantagruel.
On en retrouve également la trace sous Henri IV. Le souverain avait à l’époque confié une partie de l’éducation de son fils, le Dauphin, futur Louis XIII, à son médecin Jean Héroard dont la femme préparait régulièrement au futur roi de France, lorsque celui-ci réclamait un en-cas, une préparation à base d’oeufs battus : les “oeufs-meslette”…
Autre anecdote souvent rapportée, c’est une omelette qui précipitera la mort de Condorcet en 1794. Déclaré proscrit lors de la Terreur, le savant philosophe s’enfuit et finit par arriver, seul et désespéré, à Clamart dans une auberge. A l’aubergiste, Louis Crépinet, qui lui demande ce qu’il veut pour dîner, Condorcet commande une omelette réputée populaire, et lorsqu’on lui demande de combien d’oeuf, le député qui n’en a pas la moindre idée répond… douze. Une incongruité qui attirera l’attention de sans-culottes attablés à côté et le conduira aux arrêts dans une geôle de fortune à Bourg-la-Reine où on le retrouvera mort après deux nuits. Triste destin. Brillat-Savarin en fera tout de même l’éloge dans sa fameuse Physiologie du Goût (1825) à travers sa savoureuse “Omelette du curé, ronde, ventrue et cuite à point » et confectionnée à base de thon.
Comment faire une bonne omelette ?
Bien évidemment, tout commence avec les oeufs. Choisissez-les de belle grosseur et de qualité : oeufs de ferme piochés en vrac au marché, bio en grande surface, idéalement bleu-blanc-coeur (le label qu’on aime) pondus il y a au moins une semaine pour laisser les blancs se briser plus facilement. On en prendra trois par personne, c’est la règle.
Cassés dans une grande jatte, il faut (c’est le premier secret) les battre à la fourchette et non au fouet pour bien amalgamer l’albumine du blanc, les battre très vigoureusement et longtemps jusqu’à ce que la fusion des blancs et des jaunes soit parfaite et le mélange légèrement mousseux. La version la plus simple “à la française” consiste alors à y ajouter sel et poivre du moulin et d’y incorporer un peu de ciboulette.
Tout se joue ensuite lors de la cuisson. Dans une poêle bien adaptée à la taille de votre omelette (on ne fait pas des crêpes !), on fait fondre un peu de beurre dans de l’huile d’olive à feu moyen. Surtout, si la poêle doit être bien chaude, il ne faut jamais cuire une omelette à feu trop vif car elle ne doit, dans cette version, jamais brunir (c’est le deuxième secret).
On verse donc la préparation dans la poêle chaude puis, durant les premières minutes, on ramène à la fourchette les bords qui commencent à prendre vers le centre jusqu’à obtenir une consistance bien crémeuse sur le dessus. On baisse alors le feu et après quelques secondes laissées à la libre appréciation de chacun, on incline la poêle sur le côté pour rabattre l’omelette d’un seul côté de l’ustensile et la plier en deux ou la rouler (voilà la troisième clé d’une omelette réussie). C’est prêt ! Son coeur restera alors onctueux comme on l’aime.
L’omelette à tout faire
Ce que l’on aime par dessus tout dans l’omelette, c’est le nombre de déclinaisons infinies que l’on peut en réaliser : campagnarde aux champignons sauvages, suave au fromage, antique au lard, raffinée aux truffes… Rien ne limite l’imagination. Herbes fraîches, pointes d’asperge (j’adore), jambon de pays, oseille, foies de volaille, oignons confits, ventrèche, boudin, épinards ou même aux chips dans une version totalement régressive, les options ne manquent pas pour qui possède un peu le goût de l’aventure.
Quelques conseils tout de même, si de rares éléments peuvent être incorporés aux oeufs battus (herbes, épinards…) on préfèrera souvent disposer la garniture sur l’omelette avant de la replier (fromage fraîchement râpé, champignons cuits à part, lamelles de truffe…) pour en apprécier le goût et l’harmonie. On peut même la décliner dans une version sucrée avec rhum et fruits, variante très prisée de nos amis allemands.
Lait, crème ou nature ?
Il est possible (et communément répandu) de verser un peu de lait dans les oeufs battus afin de rendre la préparation plus légère et onctueuse. Cela m’arrive aussi mais il faut, en l’espèce, s’adapter à la recette dans son ensemble : pas de lait avec les truffes (l’oeuf dans sa nudité en est le meilleur support), un peu avec les foies de volaille pour ajouter en légèreté, un peu de crème avec le lard (on n’est plus à quelques calories près), tout est affaire de goût. Comme toujours.
L’omelette de la Mère Poulard, on en parle ?
Pour qui a déjà fait voyage vers le Mont-Saint-Michel et sa flamboyante beauté, il est un passage obligé : le restaurant de la Mère Poulard où l’omelette de la vieille Annette Poulard est devenue légende. Suivez mon conseil : abstenez-vous ! Ce restaurant-spectacle (on y bat les oeufs dans des culs de poule en cuivre en cadence et en costume traditionnel) a en effet transformé une bonne idée en une rente de situation.
La bonne idée ? Ajouter de la légèreté à l’omelette en battant les blancs (en neige) et les jaunes séparément avant de les réincorporer pour la cuisson. L’omelette soufflée était née.
On murmure d’ailleurs que la Mère Poulard s’était, pour sa recette, inspirée d’un passage de la Comédie Humaine de Balzac : “Il a découvert que l’omelette était beaucoup plus délicate quand on ne battait pas le blanc et les jaunes ensemble avec la brutalité que les cuisinières mettent à cette opération. On devait, selon lui, faire arriver le blanc à l’état de mousse, y introduire par degré le jaune…”
T.R.
En bonus
Et puisque vous avez un peu de temps en cette période de repli sur soi, voilà de quoi parfaire vos connaissances et prolonger un peu le plaisir.
Les bases
La version de Jamie