Eros
Goût kitsch et humour olé-olé, quand la carte postale coquine était reine
19 MAI . 2020
Il n’y avait pas que l’habit qui était vert. Jean d’Ormesson et Michel Déon ont entretenu une correspondance vive et joyeuse durant un demi-siècle. Mais pas de sms à cette époque bénie. Leur mode de communication préféré ? Ces hommes de lettres s’échangeaient des cartes postales touristiques olé-olé. De quoi en inspirer certains, à l’heure des échanges virtuels…
Par Frédéric Brun
Tout a commencé par des billets échangés en douce sous la coupole de l’Académie française. Proches, les deux académiciens n’étaient distants que de quelques fauteuils. Jean d’Ormesson a été élu en 1973 et installé au numéro 12, celui de Jules Romain. Michel Déon, élu en 1978, siégeait au numéro 8, le fauteuil de Jean Rostand.
Leurs prédécesseurs n’avaient déjà pas la langue dans leurs poches. La langue française bien sûr, avec laquelle ils faisaient mouche plus sûrement qu’avec leurs épées d’apparat. Mais aussi une langue bien pendue lorsqu’il pouvait être question de plaisanteries, bons mots, petites rosseries et autres blagues de potaches.
Derrière l’apparat des roulements de tambours de la Garde républicaine, drapés de leurs dignités dans leurs uniformes brodés chamarrés de décorations officielles, les deux gandins s’amusaient comme des gamins. Pendant les longues séances, ils se faisaient passer des petits papiers avec des commentaires osés, parfois en langage codé. Le grec ne leur déplaisait pas.
Ecrire une carte postale est un délice d’initié. Le texte, bref et concentré, est à la vue de tous, à la merci des intempéries, des avanies et des lenteurs des postes du monde entier. Toute une aventure.
Rien d’étonnant. Ces deux voyageurs aimaient la mer, les îles, les décapotables, les bains de soleil. Ils pouvaient filer sur un coup de tête ou pour un coup de coeur. Cap sur la Méditerranée ou Mer Egée. Michel Déon aimait les îles : l’Irlande, Saint-Germain-des-Près, Spetsai. Jean d’O avait fini par délaisser Capri pour Saint Florent, en Corse. Comme lui, sa maison avait les pieds dans l’eau.
Toujours en correspondance, ils s’écrivaient. Dès qu’ils partaient en vadrouille, à la moindre occasion, ou lorsqu’ils regagnaient leurs thébaïdes. Fini les petits bouts de papier. Ils leur préféraient les cartes postales. Et pas n’importe lesquelles ! Avec un soin méticuleux et un œil truculent ils allaient repérer sur les tourniquets des kiosques pour touristes les petits rectangles ornés de vues pittoresques pimentées de touristes callipyges, de vacancières dénudées, de naïades au cœur lourd.
Eux qui ont tant fait pour la reconnaissance des femmes de lettres (l’élection de Marguerite Yourcenar à l’Académie, en 1980, ce n’était pas rien !) ne détestaient pas qu’une femme soutienne ce qu’elle avance.
Ecrire une carte postale est un délice d’initié. Le texte, bref et concentré, est à la vue de tous, à la merci des intempéries, des avanies et des lenteurs des postes du monde entier. Toute une aventure. Arrivera-t-elle à destination ? Combien de temps après son envoi ? Qui la lira ? Qui la regardera ? Imaginer la tête de la concierge en découvrant les gonzesses en bikini sur fond de coucher de soleil ou de piste de ski les faisait rire à l’avance.
De temps en temps, ils faisaient le coup à de sérieux confrères. Parfois au percepteur. Ils avaient mis quelques copains dans la confidence. Les jeunes recrues se nommaient Jean-Marie Rouart ou Stéphane Hoffmann. Du côté des vieux briscards Michel Mohrt, Jean Dutour ou Félicien Marceau ne manquaient pas à l’appel. Ils n’étaient pas les derniers à jouer le jeu.
Dramaturge raffiné, écrivain enchanteur, Félicien Marceau était l’un des complices de toujours de Michel Déon. Ils étaient amis de 1955. Ils passaient des vacances ensemble à Positano, en compagnie du jeune ménage Dutour, de Christine de Rivoyre, de Françoise Sagan, de Christian Millau. Ils n’ont commencé à se tutoyer par écrit que lorsqu’ils ont été tous les deux élus à l’Académie. D’ailleurs, comme nous l’a appris notre Grand Duc Thierry dans son livre Paris de tous les plaisirs, c’est un tort de négliger le potentiel érotique du vouvoiement. Marceau et Déon n’avaient pas de goûts pervers, mais Félicien et Michel n’avaient pas leur pareil pour écrire les pires vacheries ou les commentaires les plus rosses en les ponctuant d’un « n’êtes-vous pas d’accord, cher ami ?« . A la manière du maître, Paul Morand, conversant au crayon avec Jacques Chardonne.
Manquer de panache aurait été une négligence. Ils savaient se tenir sans se retenir. Jean d’O, de temps en temps, faisait bande à part. Chateaubriand et les élégantes aux yeux clairs prennent du temps. Il y avait aussi le star-system. « Le drame de Jean, c’est qu’il ne sait résister à aucune de ses envies. Il ne saura jamais se faire violence…« , me confiait un jour Michel Déon en voyant son ami Jean cabotiner sur une affiche de cinéma. Mais, avec un clin d’œil, il sortit de sa poche une de ces fameuses cartes postales, avant de me raconter leur petit secret coquin. Le timbre été oblitéré de l’avant-veille. Incorrigibles octogénaires. Mieux que des immortels : des esprits.
F.B