Gastronomie
Portrait : Muriel Giudicelli
La vigneronne qui fait parler les raisins corses
17 SEPTEMBRE . 2020
Elle a d’abord suivi sa passion pour les vaches avant de se rendre à l’évidence : Muriel Giudicelli était faite pour être vigneronne sur l’AOP Patrimonio en Haute-Corse. Installée depuis la fin des années 1990 en bio puis en biodynamie, la « vigneronne-paysanne » comme elle se définit elle-même, crée des vins à son image : épurés, bavards et marquants. Rencontre avec une figure des vins corses.
Des vaches à la sociologie, avant de retomber dans le tonneau de vin
Un vendredi matin de juillet, le soleil tape déjà fort sur les terres schisteuses de la commune de Poggio d’Oletta, en Haute-Corse. A peine arrivés dans la cave de Muriel Giudicelli, la vigneronne raconte son parcours tout en sortant les verres pour une dégustation de ses nectars. Quatre uppercuts qui vont nous laisser complètement sonnés.
C’est que les vins de la quinquagénaire sont détonnants : ils crient le terroir corse, racontent les goûts de la vigneronne et murmurent un travail d’orfèvre. Des vignes -où son mari Stéphane travaille selon les préceptes de la biodynamie- aux cuves où Muriel boude intrants et autres produits chimiques (elle est allergique aux sulfites), tout est fait pour que la nature s’exprime au maximum. Et pourtant, les débuts ont été différents.
Le vin n’est d’abord pas une évidence même si ses parents sont très amateurs et que ses grands-parents maternels possèdent des parcelles de vignes pour faire « le vin de bon papa à Ajaccio« .
Elle suit des études agricoles -un BTS Analyse et conduite de système d’exploitation, gestion et bovin de viande- avant que le raisin ne la rattrape. « Quand j’ai voulu m’installer avec ce BTS pas du tout approprié, il n’y avait pas de terrains disponibles« , explique Muriel.
En attendant de trouver terres sous ses pieds, elle fait un DESS de communication, poursuit l’attente avec une thèse de sociologie.
« J’étais enceinte de ma première fille et à ce moment-là, 5 hectares me sont tombés du ciel« . Les parcelles sont situées dans le nord de la Corse, au croisement de trois terroirs ; les schistes du Cap corse, les granites du désert des Agriates et une partie argilo-calcaire autour de la montagne de Sant’Angelo. Une terre classée au patrimoine national pour sa géologie.
Les premiers vins : « de la daube intégrale«
Si aujourd’hui elle est la seule à travailler en biodynamie sur Patromonio (ils ne sont que cinq sur l’Île), à ses débuts, elle se lance tête baissée dans ce qui lui semble être le plus simple : le conventionnel. « Mes premiers vins, ça a été de la daube intégrale, balance l’agricultrice avec un franc-parler qu’elle conservera tout au long de notre rencontre. C’était même à l’inverse de la biodynamie. Tout ce que je pouvais trouver en produits oenologiques, je le balançais dedans. C’était exactement le vin que je ne peux pas supporter maintenant« , avoue-t-elle avec un léger sourire aux coins des lèvres.
A cette époque -nous sommes en 1997 lorsqu’elle s’installe- on désherbe entre les pieds de muscat petit grain, de grenache noir et des trois cépages autochtones (le nielluccio, le vermentino et le sciaccarello). Les outils mécaniques remplacent la force de l’homme. Mais déjà, on cultive en agriculture biologique, un héritage de sa mère, adepte de l’agriculture naturelle.
« Je n’étais pas une vigneronne, je n’étais pas formée »
Le passage en biodynamie se fera quelque temps plus tard, après plusieurs années de voyages, de visites et d’échanges avec d’autres vignerons. Avec son mari, elle part faire le tour des vignobles. « En fait, j’ai fait un style de compagnonnage« , résume Muriel.
Elle passe beaucoup de temps en Alsace et en Italie. « Le vermentino est un cousin du riesling, explique-t-elle, et c’est aussi un cousin du chenin. En Alsace, j’ai commencé à mieux comprendre mon vermentino grâce à la lecture que je pouvais avoir du riesling« . En Italie, c’est le nielluccio qu’elle apprivoise grâce à son cousin le sangiovese, « un cépage qui a muté [en Corse] et qui a une forme plus tannique » précise-t-elle. « C’était très agréable humainement et techniquement aussi. On a fait de très belles rencontres« .
Un chemin long et ardu vers la biodynamie
Mais tout n’est pas rose. Au fur et à mesure des déplacements, Muriel rentre de plus en plus contrariée. Elle sent que ses vins ne lui ressemblent pas, que ce n’est foncièrement pas ce qu’elle souhaite faire. Elle transforme en force le fait de ne pas avoir étudié le vin : elle peut facilement apprendre comme elle le souhaite, comme elle le ressent. « Je n’étais pas une vigneronne, je n’étais pas formée. Le côté positif c’est que je n’avais aucun à priori sur rien. Je n’avais pas de formatage, j’écrivais la page que je voulais écrire sans avoir le poids de la tradition, des parents. Surtout quand on sait que la famille en Corse, c’est prégnant ! »
La voici prenant une première décision pour enclencher le changement : elle arrête la collaboration avec l’oenologue. Continue de s’informer, de se former et penche de plus en plus vers la biodynamie qui lui trottait dans la tête depuis longtemps. « J’aimais beaucoup le travail de Nicolas Joly qui est le pape de la biodynamie en France« , détaille-t-elle. Avec son mari, ils regardent et retiennent ce qui leur plaît, ce qui leur parle. Prennent leur temps pour chercher et trouver les chemins qui leur conviennent, « librement« . Et puis en 2012, c’est le passage à l’acte officiel.
2012, c’est l’année où l’Union Européenne édite le cahier des charges en bio. « C’était du foutage de gueule : il n’y a aucune différence avec le conventionnel sauf que les produits -enzymes, levures- ne doivent contenir aucun OGM. Mais c’est tout. […] En cave, c’est open bar » fustige Muriel Giudicelli.
Alors comme le couple s’interdisait déjà les produits et les intrants dans le vin et que le respect du calendrier lunaire était déjà en place, Muriel se lance dans les démarches administratives pour obtenir les certifications Demeter et Biodyvin. « Et l’achat de deux pulvérisateurs puisque vous n’avez pas le droit de mettre le cuivre, le soufre et les préparations dans un même contenant. »
Embouteiller des vins vivants
Concrètement, sur les 10 hectares de parcelle que le couple cultive aujourd’hui et dont s’occupe Stéphane (Muriel étant à la vinification et à la commercialisation) on suit les cycles de la Lune pour tailler -manuellement- les vignes en gobelet (taille ancienne pratiquée en Corse jusqu’à la mécanisation), labourer et protéger les vignes.
Le but ultime ? Laisser s’exprimer la nature en étant la moins interventionniste possible et embouteiller des vins vivants ; comprendre « des vins qui vibrent, qui ont des choses à raconter« .
« Mon travail, c’est d’être la plus effacée possible devant la vinification »
Et pour en arriver à ce résultat, il faut certes des connaissances en vinification, mais il faut surtout des valeurs et des qualités redoutables. Comme la capacité d’être à l’écoute de son environnement, de s’adapter continuellement et surtout d’être humble et discret.
Ces deux adjectifs collant parfaitement à la vigneronne qui pour parler d’elle, raconte avant tout de sa terre et de ses raisins. « Mon travail, c’est d’être la plus effacée possible devant la vinification, démarre-t-elle. Le moins interventionniste possible […]. La vendange possède un équilibre naturel ; les levures sont différentes chaque année puisque indigènes et sont adaptées au millésime. Et si vraiment vous avez respecté la nature, que vous n’êtes pas allé à son encontre ni à celui du millésime, normalement en cave, c’est les vacances ! »
Pour respecter la nature, Muriel et Stéphane ont décidé de trier minutieusement les raisins qui vont finir en bouteille. Histoire de mettre le moins de sulfites possibles. « Sur le blanc, on fait des pressurages lents, très peu de rebêchage. » Puis pendant plusieurs semaines, Muriel fait quelques mesures régulières pour vérifier la densité du vin et surveiller les différentes étapes de fermentation avant que les vins ne partent en cuve. « Un an de garde sur le blanc, 3 ans sur le rouge« .
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Enfin, tout est entonné directement dans des foudres. Mais pas n’importe lesquels. Car là encore, la discrétion est primordiale. « Ce sont des Stockinger. Des foudres autrichiens qui ont la particularité de très peu marquer le vin. C’est-à-dire que vous n’avez ni beurré, ni toasté« . Parce qu’à nouveau, ce qui intéresse Muriel Giudicelli, c’est de rendre bavarde sa région par le vin en révélant les cépages qu’elle produit. Faire de chaque bouteille un chapitre d’un roman sur le terroir corse.
« Ma génération, conclut-elle, est en train d’écrire l’histoire de la viticulture en Corse« . Et on souhaite à tout le monde de pouvoir lire un jour ce roman comestible.
A.L-J
Déguster les vins de Muriel
Un 2019 80% muscats petits grains et 20% vermentino, sur l’acidité et le fruité
Un AOC Patrimonio 2018 en blanc : 100% vermentino, sur la salinité
Un rouge 80% grenache et 20% nielluccio
Un 100% nielluccio avec un nez très fruité, sur la confiture de fruits rouges.