Cuisine
En Corse, une cuisine d’automne épineuse
24 SEPTEMBRE . 2020
Quand s’achève la haute saison et que les langoustes et autres loups grillés ne sont plus qu’un souvenir que l’on rapporte de vacances, la cuisine corse renaît enfin dans son absolue rusticité et son éternelle authenticité. A l’image de ce qu’elle est, une montage au cœur de la mer, la cuisine corse est brute et résiste à la globalisation du goût en valorisant l’essence de son terroir. Rencontre avec la cuisine d’automne de l’Île de Beauté.
La première image qui vient en tête quand on songe à la Corse, c’est son littoral, ses interminables plages et les délices qu’offre la cuisine des paillotes… Pourtant la Corse est une montagne, faite de vallées secrètes, de forêts millénaires et de hautes maisons de pierres grises. Ces lieux aux noms évocateurs de Castagniccia et de Balagne conservent une vieille tradition culinaire, sans doutes aussi vieille que la Corse elle-même. Une tradition qui demande du temps, celui de la transmission orale, celui des gestes que l’on répète et celui du secret que l’on garde.
La châtaigne
Le châtaignier, surnommé l’arbre à pain, fait partie intégrante de la vie rurale. Ses fruits sont cueillis et séchés sous les toits de lauzes des maisons dans un grataghju (séchoir à châtaignes, ndlr) Le poêle toujours allumé sèche lentement les fruits épineux, qui d’un bruit caractéristique annoncent qu’ils sont enfin prêts à passer sous la meule de ces maisons appelées maisons qui fument.
La farine obtenue des châtaignes permet de préparer le « porridge » local appelé brilluli. On cuit la farine dans de l’eau et on l’accompagne de lait frais de brebis. Elle sert aussi à confectionner la pulenda (ou pulenta), une variante locale de la polenta qui cuit longuement sur le feu avant d’être étalée sur un torchon, coupée d’un fil blanc et servie avec de l’agneau, du veau ou du sanglier en sauce. La douceur de la châtaigne accompagne divinement ces ragoûts.
Certaines familles de Haute-Corse utilisent aussi la farine de châtaigne pour préparer le pain ou de délicieux biscuits comme les cuggiulelle. D’autres se contentent de farine de blé mais l’ajout de farine de châtaigne dans les cuggiulelle de Zilia donne un goût extraordinaire aux biscuits, surtout si on ajoute également du miel de châtaignier à la recette…
Le miel de châtaignier entre dans presque toutes les compositions pâtissières, son amertume naturelle s’équilibre parfaitement avec le goût généralement trop sucré du miel. Les fruits du châtaignier sont également consommés frais, en garniture de gibier par exemple. Enfin le bois de châtaignier sert à fumer les charcuteries issues des porcs nustrale. Le châtaignier apporte une saveur bien caractéristique aux salaisons de ce cochon exclusivement employé à la confection de lonzu, coppa, figatelli, prisuttu et bulagna. Ce bois est aussi employé pour la confection de charpentes et autres pétrins puisqu’il est naturellement résistant aux parasites.
On ne gâche rien ! Les feuilles de châtaignier, quant à elles, sont utilisées pour cuire les migliacciu, une pâte largement enrichie de fromage de chèvre ou de brebis déposée sur des feuilles de l’arbre et cuites dans un four à pain. Les migliacciu, sortes de petites pizza au fromage absolument irrésistibles, se dégustent directement sur les feuilles… qui servent aussi à l’affinage de certains fromages.
On s’exerce : Avec la recette de Cuggiulelle (petits biscuits secs) à la farine de châtaigne ou encore le sanglier à la feuille de châtaigner des Renards Gourmets
L’arbouse
Autre fruit épineux, l’arbouse est presque absente des tables françaises mais qui en Corse permet d’obtenir de délicieuses gelées. L’arbousier donne aussi un miel plus amer encore que le châtaignier mais qu’on ne peut qu’adorer ou détester, comme tout en Corse il ne saurait laisser indifférent. La gelée d’arbouse est délicieuse en tartine mais peut aussi remplacer celle de groseille dans la finition d’une sauce pour le gibier
On essaie : la gelée d’arbouse de Vincensini, en vente chez Biocoop. Mais aussi tous les produits corses (charcuterie, fromages, épicerie et spiritueux) de la boutique en ligne L’Orriu.
L’oursin
L’oursin enfin, fruit marin de l’automne qui se ramasse encore discrètement dans les criques mérite qu’on affronte ses nombreuses épines. S’il se déguste généralement cru on ne saurait l’ignorer en cuisine, ses « langues » apportent aux sauces une forte sensation d’iode, ils se marient divinement avec les autres poissons de saison comme le rouget.
On lit : Du pain, du vin, des oursins, par Nicolas Stromboni, Marabout, Paris 2016
Châtaignes, arbouses et oursins demandent un effort pour être cueillis ou cultivés, ils sont l’incarnation de la nature sauvage mais aussi l’identité même du goût corse.
Cette cuisine est faite de produits plutôt que de recettes, la Corse sait valoriser avec simplicité et authenticité ce que lui offre la nature, le proverbe ne dit-il pas que faute de grives on mange des merles ? Ces merles, les Corses savent les apprécier et plutôt que des baies de genévrier, ce sont celles de la myrte qui sont employées pour les parfumer, myrte qui est également distillée.
La Corse offre un éventail de produits moins dociles qu’ailleurs mais ce terroir unique entre mer et montagne donne aussi lieu à de merveilleuses rencontres gastronomiques. Quand vient l’automne, les maisons de pierre fument et la cuisine des femmes en noir s’éveille.
M.M