Art
Mariano Fortuny y Madrazo et la maison Fortuny
Porter la magie de Venise
30 DéCEMBRE . 2020
Mariano Fortuny y Madrazo est sans conteste de l'essence des polymathes. Cet homme aux talents infinis, alchimiste des couleurs et des matières, à l’énergie prodige, anima son temps de sa folle créativité et de ses compétences aussi variées qu’unies par une même vison esthétique. Orientalisme, savoir-faire immémorial et inventions sans précédent sont au service de sa création textile. Découverte d’un artiste d’exception, de quoi vous donner envie d’enfiler (ou d’offrir) l’une des robes sublimes, des manteaux d’intérieur ou des accessoires Fortuny. Plongée dans l’âge d’or vénitien : fêtes somptueuses, velours aux mille reflets et inventions inédites vous y attendent. De quoi briller pour le Nouvel An.
Qui était Mariano Fortuny y Madrazo ?
Il est l’un de ceux qui ont su le mieux capturer la quintessence des teintes vénitiennes, le faste oriental de Venise et son ouverture sur le monde.
Pourtant, il est Espagnol, né à Grenade en 1871, fils de peintre ayant vécu et étudié à Paris, venu rejoindre sa mère à Venise. La collection de tissus anciens fabuleuse de cette dernière fut elle la révélation du jeune Mariano Fortuny y Madrazo ? Toujours est-il que le Vénitien d’adoption devint finalement l’un des plus illustres ambassadeurs de la Sérénissime à travers le monde.
C’est bien là l’extraordinaire magie de Venise, la passion infinie et la créativité qu’elle engendre. C’est toutefois à Paris qu’il rencontre sa compagne, Henriette Negrin, elle-même femme de grand talent qui apportera sa part de savoir-faire technique et son inventivité à leur flamboyant duo.
Mariano Fortuny s’installe avec Henriette, son grand amour, au Palazzo Pesaro degli Orfei, l’actuel musée Fortuny, superbe palazzetto vénitien gothique construit au milieu du XVème siècle. Mis en location depuis le XVIIIe siècle (et très endommagé), c’est dans ce palazzo que s’installaient, traditionnellement, divers artistes. C’est ici aussi que les plus grandes et mémorables fêtes furent organisées. Théâtre, musique, arts : tout est réuni pour que Fortuny soit séduit.
Créateur, styliste, peintre, décorateur d’intérieur de génie, la trajectoire de vie de Fortuny est inextricablement liée à Venise. Il y prend toute son ampleur et son nom reste indissociable de la ville, aujourd’hui encore.
Fortuny, une histoire de couleurs, de matière et de lumière
« Et des fenêtres du palais Fortuny, le magicien, jour et nuit, tendait ses filets et captait ces étonnants reflets qui font de Venise un prisme » – Gérard d’Houbille
Proust écrivait, évoquant Fortuny dans La Recherche, qu’il avait « retrouvé le secret », non seulement de fabrication des couleurs, de teinture et d’impression des étoffes appartenant aux artisans des temps anciens, mais aussi de choses bien plus impalpables et spirituelles : « la robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l’ombre tentatrice de cette invisible Venise. Elle était envahie d’ornementation arabe, comme les palais de Venise dissimulés à la façon des sultanes derrière un voile ajouré de pierres, comme les reliures de la Bibliothèque Ambrosienne, comme les colonnes desquelles les oiseaux orientaux qui signifient alternativement la mort et la vie, se répétaient dans le miroitement de l’étoffe. »
Ce qui fait la richesse et l’incroyable beauté du travail de Fortuny ? Sa maîtrise de techniques contemporaines, sa capacité à en créer de nouvelles et dans le même temps une compréhension profonde des techniques passées.
A travers le regard de Fortuny, ce sont les plus grands artisans et artistes de la région, les œuvres des maîtres vénitiens qui reprennent vie à l’aube du XXème siècle. L’industrie éclot, et le génie de Fortuny est de formidablement replonger dans ce qui est en réalité la quintessence de la modernité : la capacité extraordinaire de ne pas oublier, de ressusciter le savoir pour le porter au plus haut de l’industrie d’art et le projeter tout droit dans le présent.
Mariano Fortuny, l’aventurier touche-à-tout des brevets et des inventions
Henri de Régnier qualifiait Mariano Fortuny de « génie singulièrement inventif (…) appliqué à maintes recherches techniques. Vénitien de cœur, il aime Venise et en sait à fond tous les arts. Comme les maîtres de la Renaissance, il ne s’est pas borné à la pratique d’un seul et son activité s’exerce dans les sens les plus divers. »
Au-delà de la mise en valeur des savoir-faire artisanaux, l’homme, visionnaire et infatigable, aura déposé de nombreux brevets. Parmi eux, la tempera Fortuny, un type de papier photographique (breveté en 1931), mais aussi une méthode brevetée d’impression sur tissus de velours, de soie ou de coton, ou encore le brevet du plissage des tissus de soie (en réalité créé par Henriette).
Ces créations sont très remarquées à l’exposition des Arts Déco en 1911 au Louvre et les illustres Sarah Bernhardt, Isadora Duncan ou encore l’inénarrable marquise Luisa Casati comptent parmi celles qui ne résistent pas à la beauté de son travail. Tout comme, bien plus tard, le réalisateur Orson Welles.
L’une des inventions Fortuny les plus célèbres ? La fameuse coupole Fortuny, brevetée en 1900, d’abord en plâtre puis en tissu, relative à la lumière scénographique. La création aura permis permit l’épanouissement d’un des aspects fondamentaux de l’art scénique, à savoir un éclairage doux et enveloppant de la scène et des artistes. Rien que ça.
Au-delà d’une simple invention technique, il s’agit de la dimension visuelle et donc émotionnelle ajoutée. La diffusion de la lumière, devenue indirecte grâce à la coupole crée un effet bien supérieur à ce qui se faisait auparavant. Ce système influence encore aujourd’hui le monde des arts et du design.
Fortuny est aussi le premier à concevoir une cabine pour le technicien visant à contrôler parfaitement l’éclairage durant un spectacle grâce à un système savamment mis au point. Une incroyable vision de ce que la technique pouvait apporter à l’art et comment elle pouvait le faire rentrer dans une dimension beaucoup plus moderne.
Bien sûr, un génie pareil ne pouvait être que passionné par la technique photographique. Il réalise de nombreuses prises de vue de sa mère et de sa sœur, de son épouse et de ses modèles portant ses créations ou bien nues, d’autoportraits, de portraits de Vénitiens, de vues de Venise. En tout, ce sont plus de 12000 négatifs et de nombreuses photos qui furent trouvés au Palazzo Pesaro. Un vibrant témoignage de la vie vénitienne au début du siècle dernier.
Fortuny, un succès devenu international et mythique
La suite est un enchaînement de succès : des boutiques à Paris et à Londres et sur son site de la Giudecca, Mariano Fortuny emploie jusqu’à 80 salariés. Fortuny est aussi décorateur d’intérieur pour des célébrités et des aristocrates et Consul Honoraire de Venise, nommé par le roi d’Espagne. Puis, à partir de la fin des années 20 ses vêtements sont même vendus à New York, témoins de l’ascension internationale de cet incroyable artiste au destin hors du commun.
Henriette est sa seule héritière et à son tour elle lègue le Palazzo Pesaro à la ville de Venise qui devient par la suite le Musée Fortuny. Aujourd’hui, l’œuvre du couple Fortuny perdure à travers sa fabrique de tissu à la Giudecca et par la marque Venetia Studium qui est la seule autorisée à produire les fabuleuses lampes Fortuny qui sont encore réalisées par des artisans vénitiens selon les méthodes de Fortuny.
Marqueurs de son extraordinaire intemporalité, ses créations sont encore visibles aujourd’hui dans des films ou des séries (Les Ailes de la Colombe, Downton Abbey, Friends pour les lampes, et bien d’autres).
Le Palazzo Pesaro devenu Musée Fortuny
Le palazzo préserve le souvenir et les traces de Fortuny, le souffle et l’empreinte de son esprit et de son âme.
Fortuny demeure, finalement, un artiste relativement confidentiel. Bien connu des esthètes mais peu par le grand public, malgré le fait qu’il a fait l’objet d’une exposition récente au palais Galliera, il reste un artiste relativement mystérieux, protégé, à l’abri des dents acérées de la grande industrialisation et de la consommation. Et pourtant, il y aurait un bien beau biopic à réaliser, retraçant sa prodigalité incroyable !
Aujourd’hui on peut facilement se surprendre au détour d’une calle vénitienne à entendre le bruissement d’une étoffe de velours aux reflets d’or, un parfum d’encens liturgique. Les étoffes de Fortuny, sont une apparition sublime, de celle du temps de l’artiste, ce temps où Venise n’était pas un vaste parc d’attractions pour touristes de mauvais goût, mais un lieu magique et hors du temps.
E.G