Cuisine
Les secrets (érotiques) du chocolat à l’ambre gris
11 FéVRIER . 2021
En cette saison, certains ne boivent leur chocolat que pur, sans sucre ni lait. D’autres y ajoutent cannelle ou vanille. Les plus audacieux se risquent à la coco, aux piment, poivre ou rocou. De quoi pimenter leurs nuits (et leur Saint-Valentin ?). Mais les grands savants du goût perdu du XVIIIe (et les derniers Libertins) ne jurent que par un seul additif au chocolat : l’ambre gris. Mais qu'est-ce que c'est ?
L’ambre gris, qu’est-ce que c’est ?
L’ambre gris n’est rien d’autre …qu’une concrétion intestinale produite par certains cachalots. Elle est rejetée par le monstre marin spontanément ou bien après sa mort. Au départ, son parfum est désagréable et sa consistance molle mais au contact de l’eau de mer et de l’atmosphère sa couleur change et son odeur s’affine. Quand enfin la concrétion grise s’échoue sur nos rivages, elle ne ressemble à rien d’autre qu’un gros caillou gris, mais elle est bien prête à fasciner le nez (on trouve l’ambre gris dans nombre de parfums) et le goût des hommes. Au temps de la chasse à la baleine, la fameuse résine grise était très recherchée (relisez Moby Dick pour tous les détails).
Les Chinois connaissent l’ambre gris sous le nom de bave de dragon et l’utilisent dans leur pharmacopée depuis 2000 ans avant notre ère. L’utilisation de l’ambre parviendra jusqu’en Europe par l’entremise des Arabes qui lui donnent son nom. Au Moyen Âge on l’imagine utile pour lutter contre le mal du temps : la peste. A partir du XVe siècle on lui trouve une autre utilité… On la pense aphrodisiaque et cette idée traversera le temps jusqu’aux libertins du XVIIIe siècle. L’association au chocolat, la plus érotique des boissons (souvenez-vous, on vous en parlait ici) prend donc tout son sens.
L’ambre gris et le chocolat, drôle de mariage ?
C’est à cette époque-là que l’on commence à associer ambre gris et chocolat car avant cela, l’ambre pouvait être saupoudré sur des œufs brouillés comme le faisait Charles II d’Angleterre ou employé dans les sauces, ragoûts, crèmes et confitures. Richelieu suçait tout au long de la journée des pastilles d’ambre.
Au XVIIIe siècle la France d’en haut se gave de cacao, « l’Autrichienne » ruine (dit-on) les caisses de l’État par sa consommation et le gastronome Brillat-Savarin nous recommande l’ajout d’ambre dans le chocolat en cas de coup de pompe. 72 grains sont préconisés pour un demi kilo de chocolat. De quoi retrouver toute sa vigueur…
Depuis, l’ambre gris est essentiellement recherchée pour son utilisation en parfumerie haut-de-gamme. Elle a le pouvoir de fixer les essences volatiles. Son utilisation gastronomique est disparue sauf au Maroc où il est d’usage d’en coller un morceau sous le couvercle des théières afin que le thé s’imprègne du parfum de la précieuse résine.
Difficile d’imaginer le goût d’un minéral en cuisine, pourtant au contact de la chaleur celui-ci fond et infuse ce avec quoi il est associé. Saupoudré sur des œufs ou au fond d’une chocolatière, le goût se diffuse et apporte un parfum puissant, animal et marin dont le goût pourrait se rapprocher de la vanille et l’odeur du tabac.
Aujourd’hui l’ambre coûte entre 7000 et 10 000€ le kilo, soit deux ou trois fois moins cher que le safran. En saupoudrant quelques grammes dans une tasse, la curiosité reste accessible et produira peut-être chez vous des effets insoupçonnés. Ne dit-on pas que Casanova, grand amateur de la précieuse résine, lutinait parfois jusqu’à quarante fois par jour ses conquêtes ? Que vous prépariez la sempiternelle Saint-Valentin ou pas, vous ne risquez rien à essayer et au pire, vous pourrez toujours boire le chocolat et profiter du parfum d’un autre temps.
M.M