Revoir House of Cards,

Version anglaise : plus subtile, plus perverse

Cinéma & Séries

04MAI. 2021

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Revoir House of Cards

Version anglaise : plus subtile, plus perverse

04 MAI . 2021

Écrit par Frédéric Brun

L’excellente série politique britannique phare des années 90 est disponible sur Arte. Bien avant son remake américain et bien avant le feuilleton du Brexit, la fiction était aussi haute en couleurs et en cruauté que la réalité, et offrait des coulisses de la vie politique une lecture féroce et jubilatoire. Prenez place, ça commence…

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La bonne politique ne se fait pas avec de bons sentiments

Il serait possible de le penser, mais pas de le commenter ? La série House of Cards apporte pourtant sa vision du sujet et remet les idées en places, notamment face à une génération indécise qui semble aujourd’hui en douter et veut croire aux jeunes illusionnistes lui promettant qu’ils feront « autrement ». Se proclamer un homme nouveau pour emporter les suffrages est une vieille ruse, aussi ancienne que le théâtre de la démocratie. Sur les Rostres, à Rome, Cicéron ou Tacite se servaient déjà du slogan Homo novus.

Francis Urquhart préfère siffler entre ses dents « You might think that; I couldn’t possibly comment », avec cette manière élégante et sournoise des Anglais appartenant à la bonne société, dans laquelle il est de bon ton d’écarter le moins possible les dents pour parler. « Vous pouvez le penser, mais je ne peux raisonnablement le commenter … » est une expression qui est passée dans le langage courant des britanniques, et tout particulièrement pour les commentateurs politiques, en raison du succès de la série de la BBC.

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Machiavélique chic anglais

Œil de chat et sourire crapuleux, Francis Urquhart est un animal au sang-froid, aux griffes acérées sous ses pattes de tweed. Car, bien sûr, tout le décorum de ce qu’il y a de plus délicieusement savoureux dans la civilisation britannique est présent. Le petit monde politique roule en Jaguar mais chacun pour soi, savoure le whisky au club mais poignarde dans les antichambres, tire la grouse en vestons à carreaux mais les ficelles en costumes trois-pièces à rayures. Cynisme et humour sont aussi la tasse de thé du spectateur puisque Francis Urquhart brise volontiers le quatrième mur pour rendre le public complice et voyeur de ses machinations subtiles.

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House of cards, du rififi au Parlement

Mais, au juste, de quoi s’agit-il exactement ? Le premier des quatre épisodes de la série s’ouvre le 28 novembre 1990. Après 4227 jours au service des intérêts du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Margareth Thatcher vient d’être contrainte de quitter le pouvoir. Au sein de son propre parti, une cabale de politiciens ambitieux fait tomber la « Dame de fer ».

Parlementaire madré et expérimenté, Francis Urquhart est le chief whip des Communes, la chambre basse du Parlement britannique. C’est-à-dire le chef des députés du parti majoritaire. Il ne faut pas s’y tromper : si elle est stratégique, la fonction n’a rien d’honorifique. Whip, en anglais, c’est le fouet. Le chief whip est bien le garde-chiourme chargé de faire serrer les rangs et de veiller à la cuisine politicienne lors des délibérations, des amendements ou des votes. Loyal au parti conservateur, bien que fidèle partisan de « Maggie », Francis Urquhart sert Henry « Hal » Collingridge et l’aide à remporter la victoire au sein des tories pour devenir Premier ministre.

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Bien entendu, ce Raminagrobis politique, tapi dans l’alcôve parlementaire, n’est pas un gentil petit toutou à la botte du leader des Conservateurs. Il entend bien, en échange de son ralliement, obtenir une promotion dans le prochain Cabinet (c’est ainsi que l’on nomme le gouvernement au Royaume-Uni).

Tout ne se passe pas comme prévu. Après les élections générales, Collingridge ne procède pas au remaniement ministériel espéré. Les amateurs d’histoire remarqueront que le scénario s’inspire là de la démarche d’Harold Macmillan qui abandonna le tiers de son Cabinet en 1962.

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Francis Urquhart/Ian Richardson, mythique visage de House of Cards

Francis Urquhart, avec le soutien complice de sa redoutable épouse, Elizabeth, entend bien se venger. Sous les yeux du spectateur, auquel il confie ses états d’âmes, ce fin politique entame son irrésistible ascension vers le pouvoir, en mettant en place ses pions et en manipulant une jeune journaliste idéaliste. Ne manquant pas d’ambition, le futur Premier ministre rêve même de défier la Couronne et de s’introduire à Buckingham Palace. Des desseins qui guideront les deux suites à succès de House of Cards, respectivement To play the King (1993) et The final cut (1995). Trois mini-séries de quatre épisodes chacune qu’il est actuellement possible de revoir.

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La fiction d’Andrew Davies et de Paul Seed, diffusée du 18 novembre au 9 décembre 1990 sur la BBC, c’est-à-dire « à chaud », juste après l’arrivée au pouvoir de John Major, a pour colonne vertébrale le livre de Michael Dobbs, un ancien conseiller de Margareth Thatcher désabusé par les traquenards politiciens qui conduisirent à tirer le tapis sous les pieds du Premier ministre.

Mais le visage de la série, c’est avant tout celui de l’acteur Ian Richardson. D’origine écossaise, l’interprète du personnage de Francis Urquhart est un comédien chevronné, souvent apparu au cinéma, notamment dans Brazil de Terry Gilliam (1985) ou aux côtés de Michael Caine et de Pierce Brosnan dans Le Quatrième Protocole de John Mackenzie (1987). Il est aussi un lord anglais plus que parfait dans le délicieux film d’Antoine de Caunes Désaccord parfait (2006). Il y donne la réplique à Charlotte Rampling et à Jean Rochefort. La télévision consacrera durablement sa popularité auprès du public britannique, puisque Ian Richardson sera l’un des interprètes remarquables et récurrents de Sherlock Holmes.

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Si la réalisation et les images, au standard technique des années 90, ne sont pas ce qui a le mieux vieilli, l’ensemble des épisodes composant le triptyque n’a pas pris une ride. Intrigues et rebondissements sont admirablement ficelées, les dialogues sont fins et subtils, avec une pointe délicieusement amorale, ce qui n’en est que plus jouissif. Les arcanes du monde politique et les procédures y sont décrites avec raffinement et subtilité.

Et tandis que la version anglaise de House of Cards est subtilement cruelle et perverse, la pâle copie américaine de David Fincher n’est, sans grande surprise, que caricatures et traits brossés à la hâte. La Grande-Bretagne et les USA sont séparés par un langage commun, c’est bien connu. Délice de connaisseurs, House of Cards se déguste en version originale. C’est alors un réjouissant bonbon anglais acidulé. 

F.B


House of cards : les 3 saisons sont à revoir sur Arte.tv

(On leur pardonnera la VF obligatoire…)

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