Gastronomie
Garance
La table du 7e où le produit est roi
28 SEPTEMBRE . 2021
Ne jamais se fier aux apparences. Derrière la très chic façade du restaurant Garance, sis rue Saint-Dominique, au milieu des ministères parisiens, se cachent des trésors de simplicité et de chaleur. On vous dit tout. A table !
On ne va pas vous mentir, juste avant de passer la porte de chez Garance, rue Saint-Dominique, on redoutait un peu l’ambiance -trop sobre, trop feutrée ?- des restaurants proches des Invalides (le côté Paris 7e, le côté ministères). Ici, pas de terrasse, et rien qui dépasse : les codes sont là. Façade sagement anthracite, intérieur blanc pur et gris souris, rééditions Serge Mouille au plafond, mobilier sobre et élégant…
Et puis, tout à coup, on nous accueille avec un sourire, un peu de chaleur au milieu de cette grise journée (et de cette déco un poil aseptisée), quelques blagues savamment distillées. C’est un peu cet entre-deux, Garance, côté ambiance. Chic, maîtrisant parfaitement les codes, mais en même temps simple et bienveillant. D’ailleurs… C’est aussi ce qu’on retrouve dans l’assiette.
Et non sans raison. Meet Bertrand Chauveau, nouveau (un an d’ancienneté) chef chez Garance, parcours sans faute Ferrandi-Piège-Toutain. Le voici, en sa première place de chef, aux manettes de Garance, largement soutenu par Guillaume Muller, cofondateur des lieux. Et tandis que Guillaume s’active pour vous décrire avec passion le vin et la ferme de Garance, Bertrand, en cuisine, vous prépare de belles surprises.
La ferme de Garance, c’est une histoire de famille dans le Limousin, nous explique-t-on. Le grand-père d’abord, le premier à cultiver la terre de la Thibarderie (Magnac-Laval), le cousin Charles-Arthur Muller désormais, agriculteur et éleveur de vaches limousines -il produit lui-même la nourriture des bêtes pour viser une teneur en gras parfaite. Côté potager et verger, c’est Clément Loyal, maraîcher adepte de permaculture qui veille sur les cuisines de Garance…
C’est que Guillaume Muller, lui, a fait ses classes à l’Arpège, chez Alain Passard, comprendre : le premier chef français à s’approvisionner depuis son potager. Pas question, donc, de choisir la facilité du grossiste en livraison. La ferme alimente le restaurant Garance à 85%. Mais trêve de bavardage. On passe à table.
Vous souvenez-vous du goût, le vrai, de la tomate et des fraises ? La toque Bertand Chauveau le rappelle à notre bon souvenir avec une entrée, toute en fraîcheur bien sûr mais surtout en goût, et quel goût ! Les tomates et fruits rouges en entrée, dans leur consommé froid, parsemé de noisettes, feront pâlir vos salades estivales. Et comme tout nous faisait envie, on a goûté à toutes les entrées : un grand moment pour le tartare de langoustine parfumée à la rose, juste posé sur les pieds de cochon retravaillés, décortiqués et grillés. Un bonbon que ce cœur de canard fumé, grattons, cresson et capucine, doux et fort (un peu l’effet tictac, version viandard). Et bien sûr le bœuf de la ferme, qu’on ne pouvait manquer, travaillé en tartare au couteau, et avec la moelle s’il vous plaît, fondante et presque fumée, le tout associé au caviar osciètre. On regrettera un poil que les deux n’aient pas été séparés, la moelle et la viande ayant tant de goût que… le caviar en est un peu écrasé. Bagatelle !
Côté plat, la sèche à peine cuite s’accordait à merveille au sabayon homardine et aux haricots beurre croquants qui révélaient quelques cubes de foie gras poêlé du meilleur effet (fondant). Le chef travaille -beaucoup- les herbes « considérées ici comme de véritables condiments » nous prévient-on. C’est réussi. J’ai bien sûr, volé un peu d’agneau confit sept heures chez mon voisin. Agrémenté d’une pomme paillasse posée sur le cœur d’une petite aubergine : c’est réconfortant.
La cave de chez Garance, c’est un peu l’histoire d’amour de Guillaume Muller, qui arrose généreusement nos entrées d’un frais Saint-Péray (domaine Bernard Gripa 2019) et d’un Côtes de Nuits villages (Sylvie Esmonin, 2019) pour tenir tête aux plats. Connaisseurs, régalez-vous et discutez des heures durant de beaux flacons. Néophytes -dont je fais partie- laissez-vous guider les yeux fermés.
Bertrand Chauveau décrit sa cuisine comme « assez traditionnelle », un poil modernisée : « je m’inspire beaucoup des plats communs de la cuisine française, dont je me sers comme base. Selon la saisonnalité de la ferme, j’essaie de moderniser un peu mes plats, de surprendre avec les produits qu’on travaille. » Lorsqu’on lui affirme qu’on n’a jamais apprécié les pieds de cochon mais que les siens, on les dévore de bon cœur, il rit. « On nous le dit souvent ! Ca fait partie du plaisir de retravailler certains produits pas forcément nobles, mais coquins, et de les heurter à de plus nobles… C’est le cas de la sardine sauce matelote ou des pieds de cochon et langoustine. » Spoiler : à la carte d’automne, il y aura des cèpes, du gibier et… Un « lièvre à la royale traité comme un boudin basque ». On trépigne de goûter cette merveille… coquine.
E.C