Cuisine
Championnat du monde de pâté-croûte
Émeline Aubry dans le pâté
10 DéCEMBRE . 2021
Après un an de cochons maigres pour cause de Covid-19, le Championnat du monde de pâté-croûte a sacré pour la deuxième fois consécutive un chef japonais, Kohei Fukuda (Takara Shokuhin Kogyo Bütz Delicatessen à Tokyo). Seule femme en finale, Emeline Aubry a terminé 4e ex-aequo avec neuf garçons. Les Hardis étaient là.
Il nous a maintes fois réunis. Le pâté-croûte, on l’a filmé (par ici) et goûté à toutes les sauces (par là). Vraiment ? Cette année, on est allés suivre le Championnat du monde de pâté-croûte… Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a un goût de reviens-y.
Anguille sous roche au championnat du pâté-croûte
« Y’a pas de gelée, j’comprends pas ! » Emeline Aubry est en train de découper l’un des sept pâtés-croûtes qu’elle a convoyés le jour-même entre Paris et Collonges-au-Mont-d’Or, où se déroule la finale du Championnat du monde 2021, dans l’Abbaye de Collonges-Paul Bocuse. Elle vient de comprendre que la victoire ne serait pas au bout de la dégustation. « En plus, ma pâte n’est pas assez cuite, j’ai envie de pleurer ! » Réconfortée par son commis de mari, l’artiste-peintre Olivier Masmonteil (bien sûr que ce nom vous parle, l’artiste nous emmenait récemment à la pêche, et on vous parlait de ses oeuvres par ici), Emeline serre les dents, choisit les parts les plus présentables et les dépose sur des assiettes.
Des serveurs masqués et tout de noir vêtus les attrapent pour les apporter aux jurés, un jovial aréopage de chefs, dont une tripotée de MOF, de pâtissiers et de chocolatiers, entre autres. « On est partis ce matin à 5h pour aller chercher les pâtés-croûtes, raconte Olivier Masmonteil. On a versé la gelée, on a tout emballé, on a chargé la voiture et zou ! Emeline avait dormi comme un bébé, pendant tout le trajet elle était surexcitée. Mais, elle a eu un coup de stress à l’arrivée en voyant toutes ces toques. Elle s’est dit que ce n’était pas un petit concours, qu’elle avait réussi un truc de dingue en atteignant la finale. »
Emeline Aubry n’est pas la première femme qualifiée pour tenter de décrocher le titre suprême, depuis la création du concours, en 2009. Mais, à peine un an et demi avant ce lundi de novembre, elle n’avait jamais confectionné un seul pâté-croûte de sa vie.
L’histoire est partie comme une blague, alors qu’elle animait des cours de cuisine en visio pour son entourage. « On en a marre des cookies, si on faisait du pâté-croûte ? », a lâché l’un de ses proches. Tope-là. À la fin du premier confinement, Emeline se lance. Ancienne DJ, ancienne consultante, convertie à la cuisine sur le tard, elle aborde le sujet dans un mélange de folie et de méthode. Elle dissèque chaque étape, pâte, farce, gelée, cuisson, jusqu’au jour où elle découvre l’existence du Championnat du monde. « Je serai la première femme championne du monde ! », lance t-elle à son époux.
Elle consulte des chefs, des charcutiers, des traiteurs, elle prépare une centaine de pâtés, peaufinant une recette qui s’impose très vite. Elle part sur l’anguille, ce poisson entre terre et mer, au gras capable de rivaliser avec celui du cochon et du canard. De ses voyages, elle retient l’idée de marinades au saké pour les viandes et d’un assaisonnement vif au poivre de Madagascar. Ça marche, c’est bon, c’est original et, à l’extérieur comme à l’intérieur, elle dessine des papillons, emblèmes des tableaux d’Olivier Masmonteil. Trop chou.
Cherchez les femmes
Pendant qu’Emeline se requinque en coulisses sur l’air de « I’ll be back ! », le jury présidé par le MOF étoilé Davy Tissot, Bocuse d’Or 2021, a de la peine sur la tranche. Valérie Vrinat, petite-fille d’André, fondateur du restaurant Taillevent, à Paris, œuvre poursuivie par son père, Jean-Claude, puis par elle-même jusqu’en 2011, est l’une des rares femmes conviées à la fête du bon gras. Avec elle, Mathilde Chapoutier, vigneronne rhodanienne régalant l’assistance avec son père, Michel, Aurore Monot-Devillard, vigneronne itou mais en Bourgogne, également présidente de la Confrérie de la Belle Aurore, et Yvonne Christensen, patronne du restaurant Geranium*** à Copenhague.
« Curieusement, c’est un plat que j’ai découvert tardivement, explique Valérie Vrinat, qui vient de publier Éloge du service en salle (Menu Fretin), avec Jean-Marie Ancher, ex-directeur du Taillevent. Mon père et mon grand-père l’adoraient mais, pour moi, c’était un plat de charcutier. C’est d’ailleurs formidable de voir que l’on reparle de ce métier. Je dis ‘’pâté en croûte’’ parce que je suis Parisienne mais, pour moi, c’est un incontournable, un monument de notre gastronomie française. »
Après avoir croqué dans neuf tranches et, en attendant les quatre dernières, Valérie a trouvé son rythme de croisière. « C’est très difficile pour le premier, que j’ai mis de côté parce qu’on peut le juger trop sévèrement ou trop généreusement, analyse t-elle. Mais, au bout de trois ou quatre, on sait où l’on va. Je juge la mâche, le croquant, l’équilibre, les saveurs, une harmonie générale. » À cet instant de la finale, elle a craqué pour un pâté-croûte qui « se détache très nettement », le n°8… qui s’avèrera être celui du lauréat. Nul doute que le palais affûté de certaines femmes mériterait d’être davantage mis à contribution dans les éditions à venir. Audrey Merle, Arnaud Bernollin, Gilles Demange et Christophe Marguin, co-créateurs du concours, sont attendus au tournant de l’époque.
Ce qui s’appelle faire un four
À l’heure du verdict, Emeline n’est pas surprise, 4e ex-aequo dans le peloton « École des fans » des dix relégués au pied du podium. Tout en promettant de retenter sa chance, elle révèle les dessous de sa contre-performance. « J’ai fait tous mes tests dans la cuisine de ma copine Amandine Chaignot, à Pouliche, rappelle t-elle. Je viens de m’installer dans un nouveau laboratoire pour produire et vendre davantage. C’est là que j’ai travaillé pour la finale, j’ai cru que je pourrais maîtriser un tout nouveau four… » Une erreur de débutante à ne pas renouveler en 2022.
Grands vainqueurs de la 12e édition avec deux représentants sur la boîte, dont le vainqueur, Kohei Fukuda (Takara Shokuhin Kogyo Bütz Delicatessen à Tokyo), les Japonais sont plus forts que jamais. « On a reçu 72 candidatures à la sélection Japon, autant qu’en France, souligne Christophe Paucod, chef étoilé du bouchon lyonnais Lugdunum, à Tokyo. C’est un plat très technique, ils sont très attachés à cet aspect. Certains grands hôtels font concourir jusqu’à quatre chefs, qui pourraient tous passer en finale. On est obligé de n’en sélectionner qu’un par établissement pour que cela reste équitable. » En plus de la candidate ou du candidat issu.e de la sélection nord-américaine, il faudra aussi compter en 2022 avec une ou un finaliste sorti.e vainqueur d’un tout nouveau concours régional, en mai à Tahiti. Au pays du pâté-croûte, pas question de vivre tamouré et d’eau fraîche.
S.M
Championnat du monde de pâté-croûte, le palmarès 2021
1er prix Chapoutier : Kohei FUKUDA – Takara Shokuhin Kogyo Bütz Delicatessen – Tokyo
2ème prix 6ème Sens : Damien RAYMOND – So Good Traiteur – Divonne-les-Bains (01)
3ème prix Anahome : Yoichi NAKAAKI – À table – Tokyo
Prix Mumm de la Confrérie du Pâté-Croûte : Olivier NICOLAU – Restaurant Arraditz – Lescar (64)
Prix Moreteau de l’Élégance : Grégory FAYE – Hôtel Place d’Armes – Montréal
Prix Rougié Richelieu : Ange LELIÈVRE – Four Seasons George V – Paris