Cuisine
Enquête : Français et Chinois
Une gastronomie rapprochée
03 MARS . 2022
Nos chefs étoilés ne jurent souvent que par la gastronomie nippone et vivent invariablement leur voyage au pays du soleil-levant comme une sorte de transe initiatique. S’il est vrai que le principe de l’omakaze a directement inspiré notre menu dégustation, on oublie vite que c’est de la Chine dont nous, Français, sommes culinairement les plus proches. Petite enquête des similitudes entre gastronomies chinoise et française, histoire -qui sait ?- de vous donner envie de vous attaquer à la Chine en cuisine.
En Chine comme en France, une véritable gastronomie
Le mot gastronomie, utilisé en France pour la première fois en 1801, trouve ses racines en Grèce et définit l’art de la bonne chère, de la cuisine en passant par les vins, l’art de la table et l’ordonnance des repas. C’est pourquoi il est souvent inapproprié de parler à tout va de gastronomie. Il n’est en vérité que de rares cultures où l’état de gastronomie dépasse celui de simple cuisine. C’est le cas de notre vieux pays bien sûr, mais on peut en dire autant de la Chine millénaire chez qui les principes de saisonnalité, de produits d’exception et autres valeurs qui nous sont chères aujourd’hui sont une évidence.
Pourtant la cuisine ou plutôt les cuisines chinoises que nous redécouvrons lentement jouissent d’une image effroyable en occident. Les yeux ne brillent que pour l’épure japonaise, comme si nous nous étions écœurés de cette abondance de sauces qui caractérise pourtant notre gastronomie à nous.
La cuisine chinoise passe pour une cuisine grasse, vulgaire, sale, faite d’animaux tantôt de compagnie, tantôt pouvant provoquer une pandémie. Les clichés vont bon train et les Chinois ne sont pas complètement innocents dans cet a priori. En s’implantant massivement en Occident, ils ont abandonné la typicité des cuisines locales pour mettre en avant une cuisine asiatique plus que chinoise, mêlant ainsi des plats thaïlandais, vietnamiens, pékinois, hongkongais tous estampillés de la même manière. Notre découverte de la cuisine chinoise s’est faite par le riz aux lardons, petits pois en boîte et omelette trop cuite et le canard baignant dans une sauce aux glutamates. Normal que notre regard soit biaisé…
Une gastronomie régionale
La première à s’émanciper, c’est la cuisine du Sichuan, réputée pour être la plus pimentée du pays, mais pas que et déjà une mauvaise compréhension de ses racines se profile. Cette cuisine attire les téméraires en quête de virilité organoleptique. Manger le plus pimenté possible est perçu comme un combat contre soi-même et permet de contrarier les limites des autres.
Pourtant la cuisine du Sichuan se divise en saveurs bien distinctes. Le pimenté appelé mala est l’une d’elles mais on compte autant de plats régionaux connus pour leur douceur et absents des cartes orientales… Des fricassées de champignons sauvages, des cuissons à l’étouffée dans des feuilles de lotus, en font une cuisine raffinée et délicate.
Dans nos esprits la cuisine régionale chinoise est floue. Accepter que le riz ou les nouilles soient totalement absents d’une région à l’autre ne colle pas au cliché du chinois ivre de riz. Ce qui n’est pas sans rappeler la cuisine d’Italie, sans ail et sans tomates, dont on vous parlait il y a quelque temps…Au même titre qu’en France où de la cuisine provençale à celle du nord, une grande variété de procédés et de produits sont employés. Ces cuisines sont à la fois influencées par nos voisins car on retrouve des marqueurs de la cuisine espagnole dans le sud-ouest du pays ou de la cuisine italienne au sud-est par exemple, mais influentes elles-mêmes envers ces mêmes pays limitrophes.
Le canard
Si le palmipède est consommé dans de nombreuses parties du monde, personne plus que les Chinois et les Français n’ont poussé aussi loin son apprêt. Le foie gras déjà, même si la version chinoise est moins grasse, est consommé comme un mets sublime. Généralement poché en Asie, la proximité culturelle entre nos pays encourage les Chinois à découvrir le foie sous forme de terrine ou bien rôti comme nous le faisons.
Le célèbre canard au sang (en France) et le canard de Pékin ou canard laqué (en Chine) sont deux faces d’un même miroir comme l’explique très bien l’auteur William Chan Tat Chuen dans son ouvrage Canard laqué, Canard au sang aux éditions de l’Epure. Le soin appliqué au canard, de la sélection de la race aux étapes préliminaires de la recette, enfin le rituel de la présentation du mets aux convives ou au clients : les similitudes sont nombreuses.
Depuis quelques années, les grands restaurants chinois s’inspirent de la coutume de la Tour d’Argent en délivrant aux clients un numéro souvenir à chaque canard. Les bêtes sacrifiées sont numérotées et estampillées aux emblèmes de la maison. Chinois et Français ont parfaitement intégré la difficulté principale de la cuisson du canard. Cuisses et filets ne se préparent pas de la même manière. Après le spectacle introductif et la dégustation des filets, les cuisses repartent en cuisine pour subir une nouvelle préparation et ce à Paris comme à Pékin. Le canard à l’orange est aussi une double spécialité, en Chine comme en France.
Le cochon
Le cochon est avec le chien le meilleur ami des occidentaux, et c’est aussi le cas en Chine. Les funérailles porcines sont toujours une grande fête où les abats sont consommés immédiatement ou transformés en charcuteries comme l’est le sang. Certaines parties sont salées ou fumées, d’autres consommées fraîches.
Le jambon séché de Jinhua rivalise volontiers avec nos jambons d’Auvergne ou du Pays Basque. Les Chinois consomment tout du porc, comme nous le faisons. Pochant les pieds avant de les faire frire comme on le fait dans ici dans les Ardennes. Il ne faut pas ignorer les grandes fêtes autours des cochons de lait rôtis entiers. Seule différence, les Chinois y appliquent une laque.
Les sauces
L’omniprésence des sauces en Chine et leur organisation par familles n’est pas sans rappeler le travail d’Auguste Escoffier sur les sauces mères, les grandes sauces et les petites sauces en France.
Le Chinois use du vin jaune de Shaoxing, un vin de riz pendant que le vin paillé jurassien vient noyer poulardes et morilles en France. C’est d’ailleurs la volaille associée au vin de Shaoxing qui rencontre le plus de succès. Nos deux sauces sont faites de réductions, de liaisons avec un intérêt particulier en Chine pour les produits fermentés qui sont quasiment absents de nos cuisines.
Le Français extrait le goût des os et des bas morceaux, le chinois utilise la fève de soja sous différentes formes mais cherche le même équilibre avec l’acidité. Nous utilisons tous les deux le vinaigre, amertume, profondeur de goût et aspect visuels : les sauces françaises et chinoises sont souvent lisses, sombres et brillantes.
Les champignons
La mycophagie n’est pas aussi répandue à travers le monde que l’on pourrait le supposer, la cueillette du weekend existe néanmoins en Chine. On part seul ou en famille avec son petit panier à la recherche de variétés locales mais aussi communes à nos deux territoires. La truffe, longtemps ignorée en Chine est désormais appréciée même si on n’est pas encore certain de la manière dont elle doit être consommée. En attendant, soupes, fricassées, fritures, les préparations sont identiques.
On pourrait également mentionner les bouillons de poule fortifiants, les petits pâtés de viande, les boudins, les grenouilles sautées à l’ail ou en persillade ou encore les poissons frits appelés écureuils en Chine et Merlan en colère en France. La choucroute d’origine chinoise est appréciée en Alsace et dans toute la France qui se consomme aussi avec des saucisses en Chine.
Notre regard sur la cuisine chinoise doit encore évoluer. Des documentaires food comme Cuisine des Saveurs disponible sur Netflix, permettent de mesurer rien qu’un peu la richesse de cette gastronomie à la fois sœur et rivale. De quoi largement s’inspirer. Aujourd’hui, dans les familles chinoises aisées, il n’est pas rare de déguster un canard à l’orange (version chinoise) avec une bouteille de très grand Bordeaux. L’inverse n’est pas encore vrai.
Quand serons-nous capables de réserver aux produits et à la richesse gastronomique chinoise le même sort que nous réservons depuis plus de trente ans aux produits japonais, et à d’autres moments que le Nouvel An chinois ?
Bien heureusement les restaurants proposant une cuisine authentique et régionale ne cessent d’ouvrir à Paris, les nouvelles générations cherchent à renouer avec leur culture millénaire et proposent des menus plus authentiques que jamais. Aux États-Unis la transformation est déjà consommée. On ne va plus manger chinois mais sichuanais, cantonais, etc… Traversant ainsi les cuisines issues de terroirs si différents, froids et montagneux, tropicaux, désertiques, forestiers. Décidément, en France, nous avons encore beaucoup à apprendre.
M.M
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Nos bonnes adresses où déguster la gastronomie chinoise à Paris
Les Trois Royaumes
25 Rue d’Enghien, 75010 Paris
T.09 50 67 03 26
Trois fois plus de piment
184 Rue Saint-Martin, 75003 Paris
T.06 52 66 75 31
L’orient d’or
22 Rue de Trévise, 75009 Paris
T.01 48 00 07 73
Shang Palace
10 Av. d’Iéna, 75116 Paris
T.01 53 67 19 92