Cuisine
Petite histoire du thé
2/5 : les cérémonies du thé
30 MARS . 2022
Il éthé temps ! Breuvage millénaire, aujourd’hui bien trop souvent galvaudé du fait de sa consommation de plus en plus croissante à travers la planète, le thé est une boisson à part qui touche au mystique. Un nectar qui nous transporte à la croisée des mondes. Il est tout à la fois un remède, un art et une « religion de l’art de vivre » comme le décrit Okakura Kakuzô. Aux Hardis, nous sommes partis à sa découverte, à travers son histoire, ses rituels, ses vertus et ses meilleurs représentants actuels. Deuxième partie de notre opus : on vous dit tout de la cérémonie du thé.
Après avoir exploré les origines du thé, on a décidé de percer les secrets de sa cérémonie. Boire une tasse de thé est un moment spirituel et même plus : un acte social et politique d’une silencieuse mais manifeste protestation face à la laideur et la vulgarité croissantes de notre culture contemporaine. Si, et seulement si, sans être un puriste frappé d’orthodoxie, on applique certains principes pour créer un moment hors du temps et propice à la beauté. C’est l’esprit qui préside aux cérémonies du thé chinoise et japonaise.
“Chaque préparation de feuille a sa particularité, ses affinités spécifiques avec l’eau et la chaleur, sa propre manière de conter une histoire. Mais la vraie beauté doit toujours en être un ingrédient essentiel.“ – Okakura Kakuzô
Le premier grand maître du thé : Lu Yu
C’est Lu Yu, poète sous la dynastie des Tang (VIIe siècle de notre ère) qui écrit le premier ouvrage de référence sur le thé, le Ch’a Ching ou Classique du thé, devenant le premier « grand maître du thé ». Déjà, tout ce qui constitue la magie d’une dégustation raffinée de thé est pensé, étudié et permet de distinguer le véritable amateur de thé du commun des mortels. Des plantations mémorables aux ustensiles nécessaires, en passant par la qualité de l’eau et des usages, il aborde tous ces points sans compromis pour une cérémonie du thé parfaite.
Le sacre du thé
Sous les Song (du Xe au XIIIe siècle) ce raffinement et le culte de thé est de plus en plus consacré : « C’était le processus et non l’action elle-même qui présentait un intérêt. Le thé au-delà du simple passe-temps poétique devint une méthode d’accomplissement personnel » nous précise Okakura Kakuzô, notre référent absolu question thé. A cette période émerge déjà la catégorisation suivant la cueillette, manifestation du développement d’un art véritable.
La cérémonie du thé en Chine : le Gong Fu Cha ou Kung Fu Cha
La dégustation du thé, chinoise ou japonaise, reste circonscrite dans la conception taoïste et zen de l’existence. Dans le Gong Fu Cha, plusieurs outils de base sont nécessaires à la dégustation du thé. Le plus souvent un Oolong ou un thé vert. Un bâteau à thé permettant l’écoulement de l’eau et sur lequel seront disposés la tasse de dégustation, la tasse à sentir, la théière, le « pot de service » ou verseur, l’ustensile pour déposer le thé dans la théière, la passoire, un tissu dédié pour essuyer ce qui doit l’être. A côté, un réchaud permettant de maintenir à la juste température l’eau, destinée à l’infusion, contenue dans une bouilloire chauffée en permanence. Enfin divers accessoires et outils peuvent-être ajoutés.
“Dégustez toujours le thé comme s’il était la vie elle-même, sans en laisser dissiper l’arôme.“ – Lu Yu
Le principe de la cérémonie du thé est de procéder à plusieurs infusions courtes. Le thé qui en résulte est donc concentré, ce qui en justifie la petite quantité servie dans une petite tasse. En somme moins, mais mieux. Le matériel est préparé en étant rincé et par la même occasion chauffé avec de l’eau bouillante (la théière à infusion, la verseuse et les tasses). Le thé est ensuite placé dans la théière, lavé et hydraté avec de l’eau bouillante. L’infusion est filtrée, versée dans la verseuse puis les tasses et enfin vidée (sans être bu). On procède ensuite à la première infusion qui sera dégustée : la théière est remplie d’eau à la température idéale (selon le thé), fermée, arrosée d’eau bouillante. Une fois le temps rapide de l’infusion passé, le thé est versé dans la verseuse, puis dans les tasses. On sent dans la tasse haute, à sentir, puis on reverse l’infusion dans la tasse à dégustation.
Quid des matériaux de ces ustensiles et contenants ? Ils varient d’une époque à l’autre, d’une région à l’autre, d’un maître à l’autre. Terre, grès, céramique, cuivre, bois, etc. Les possibilités sont plurielles. Et superbes. Et les artisans de l’art du thé rivalisent de savoir-faire inestimables.
La cérémonie du thé au Japon : le Cha No Yu
Si le Gong Fu Cha serait plus proche d’une méthode de préparation du thé, la méthode japonaise est rigoureusement administrée et organisée religieusement. Elle se nomme Cha No Yu (ou chanoyu), sa doctrine se nomme sadō ou chadō.
La chambre du thé, conçue comme un temple consacré à la Voie du thé, est le lieu où s’opère la cérémonie. A l’écart du monde, elle représente une retraite spirituelle, dédiée au thé et à la beauté. Murata Shukō, moine du XVe siècle, fait évoluer la cérémonie du thé japonaise vers plus de simplicité. C’est à partir du XVIe siècle que Sen No Sôekin connu sous le nom de Rikyû codifie l’enseignement de ce protocole et lui donne sa forme « définitive ».
“Le thé est une œuvre d’art et requiert une main experte pour exprimer ses plus nobles qualités.“ – Okakura Kakuzô
Le pavillon du thé (ou la chambre) est conçu pour créer une harmonie, une célébration de l’impermanence des choses, l’expression d’une morale précieuse. C’est une manifestation extérieure d’une éthique intérieure. Il est le fruit de principes architecturaux spécifiques. Du jardin, au couloir qui y conduit, du dépouillement de la décoration, aux matériaux utilisés, de l’orientation des pièces, des portes coulissantes, des ustensiles aux meubles. Tout est pensé et conçu pour correspondre aux idéaux de pureté, d’harmonie, de respect et de tranquillité chers aux maîtres du thé nippons.
Il subsiste trois écoles historiques de la cérémonie du thé japonaise (en réalité quatre, mais la première est aujourd’hui disparue). L’Omotesenke, l’Urasenke et la Mushakōjisenke. Ceci dit, il existe à présent bien d’autres écoles proposant leur propre « style ».
“Le thé n’est rien d’autre que ceci : faire chauffer l’eau, préparer le thé et le boire convenablement, il n’y a rien d’autre à savoir.“ – Sen No Rikyû
Lors de la cérémonie du Cha No Yu, le thé préparé l’est comme il était consommé durant la dynastie Song chinoise, c’est donc un thé fouetté. Il s’agit de matcha, un thé vert broyé en une poudre extrêmement fine. Les ustensiles nécessaires sont une bouilloire ou un récipient chauffé pour maintenir l’eau à température, une louche pour transférer l’eau, le bol à thé, la boîte à thé, une « cuillère » à thé, le fouet, plusieurs tissus en toile de lin et en soie (le fukusa), un contenant pour vider l’eau. En général un repas léger ou des friandises précèdent la dégustation.
Les ustensiles sont tous nettoyés, rituellement, en présence des convives, selon un ordre déterminé. C’est la première phase de nettoyage et de préparation. Le thé est ensuite placé dans le bol, l’eau est versée, et le thé est fouetté jusqu’à obtenir la mousse de jade. Le thé est dégusté par ordre, et il est donc servi en tout premier lieu aux invités d’honneur. Les ustensiles sont ensuite nettoyés puis examinés par les convives.
A tout ceci doit être ajouté les variantes saisonnières, d’intensité du thé, fort ou plus doux, mais aussi les arrangements floraux, l’encens, l’attention accordée à la tenue, à la position, tant du maître de cérémonie que des convives, le nombre de pas accomplis, etc. Vous l’aurez compris, c’est un art à part entière, un moment extrêmement élaboré où dévotion et méticulosité sont à l’honneur.
La cérémonie du thé ailleurs dans le monde
En Russie, en Angleterre, en Inde et au Maroc plusieurs pratiques culturelles, distinctes des méthodes chinoise et japonaise, mais pour autant tout à fait spécifiques, offrent une dégustation du thé singulière. Pour certains elles seront un détournement et une vulgarisation de la voie du thé, pour d’autres elles seront une réappropriation et une adaptation judicieuse.
En Russie, on trouve la méthode du Samovar, cette très grande bouilloire en métal, qui permet de conserver chaude toute la journée l’eau qui servira à diluer un thé extrêmement concentré (zavarka) contenu dans une théière posée au sommet du samovar. En Angleterre, c’est évidemment le règne du tea time, la vaisselle destinée à la consommation du thé et les douceurs servies avec. On peut aussi évoquer le service du thé à la menthe au Maroc, où le breuvage est servi avec du sucre et dans des verres, service fait avec hauteur, afin d’oxygéner la menthe et de conserver sa saveur. Enfin en Inde, la préparation du chaï, issue d’une tradition ayurvédique d’épices infusées dans de l’eau à laquelle s’ajoute du lait, est elle aussi une institution.
E.G
Vous en voulez encore ?
Un film : Dans un jardin qu’on dirait éternel (2020) de Tatsushi Omori
Une vidéo : pour le Gong Fu Sha, Maître Tseng, vidéo réalisé par Tran Anh Hung pour le musée Guimet. Pour le Cha No Yu, Jugetsudo, vidéo d’initiation chazen par Picard.
Envie de vous initier à la cérémonie du thé ?
Initiation à la cérémonie du thé matcha :
Chez Jugetsudo : 40 €, 95 rue de Seine, Paris VIe
Au musée Guimet : 15€, 19, avenue d’Iéna, Paris XVIe
A la maison de culture du Japon : 12€, 101 bis Quai Jacques Chirac, Paris XVe
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