Art
Portrait d’artiste : Pierre Marie
Un nouvel élan pour les arts décoratifs
19 AVRIL . 2022
La tapisserie et le vitrail se déploient, à nouveau mis en valeur, sous les motifs flamboyants de Pierre Marie, ornementiste auto-proclamé qui n’a pas fini de nous éblouir. Visite de sa dernière exposition à Paris, Horn of Plenty, véritable remède à la morosité ambiante. Au programme, de la fantaisie, des objets de toute beauté et un lieu unique où le merveilleux côtoie le réel. Rencontre.
Un talent aux multiples facettes, un goût prononcé pour les arts décoratifs, l’artiste-décorateur touche-à-tout Pierre-Marie, dont on vous parlait déjà il y a quelque temps, a le don de réveiller les disciplines endormies.
Dans une époque qui questionne la production en série, dénonce l’ultra-consumérisme, il apparaît comme le chef de file de cette nouvelle génération d’artistes qui regarde de nouveau vers les savoir-faire oubliés, mettant à l’honneur le geste, l’artisanat et redonne ses lettres de noblesse aux arts « décoratifs » longtemps relégués au second plan par l’Histoire, leur préférant les prestigieux Beaux-Arts (traditionnellement : architecture, peinture, sculpture, gravure, ndlr).
La galerie Pierre Marie, pensée comme un espace insolite et hors du temps
Pénétrer dans l’antre de la petite galerie de la rue Victor Massé, c’est s’offrir un voyage dans un espace-temps suspendu, on oserait presque dire « à rebours » si la référence au célèbre dandy du XIXème n’était pas aussi évidente…C’est en plein cœur du 9ème arrondissement, tout près de la Villa Frochot que se niche cette galerie-boutique.
A première vue et depuis la rue, on aperçoit un vitrail enrubanné, signature de l’artiste et on se presse de pousser la porte pour passer « derrière le rideau ». Entre ces murs qui abritaient autrefois le magasin d’un antiquaire – qui aura certainement laissé de bonnes ondes décoratives – on découvre un espace insolite, comme si nous étions aspirés de l’autre côté du miroir à la manière d’Alice au Pays des Merveilles.
On découvre un espace insolite, comme si nous étions aspirés de l’autre côté du miroir, à la manière d’Alice au Pays des Merveilles.
Mais n’est-ce pas là le dessein recherché par cet artiste dont l’enfance a été bercée par les dessins animés de la firme Disney, de nous faire basculer dans un univers enchanteur ? « J’aime les films en technicolor avec des fonds peints, j’aime aussi l’idée selon laquelle l’œil et le cerveau acceptent de se faire tromper le temps d’un film. Pour mon exposition sur le Louvre, (Lupara ndlr) l’un des points de départ était d’ailleurs le film « la Reine Margot » de Patrice Chéreau, un film dans lequel on trouve de sublimes décors, de merveilleux costumes mais aussi beaucoup d’anachronisme, avec un tournage en studio, en Italie, à Bordeaux pour un film est supposé se dérouler entièrement à Paris, rires… »
La galerie-boutique, rêve d’une œuvre d’art totale
La galerie-boutique est pensée comme une period room dans laquelle on se plongerait à corps ou à regard perdu. Une œuvre d’art totale. Un jeu de grand rêveur, devenu décorateur ensemblier. Un style ludique, amusant. Jamais trop sérieux. Tout ici a été touché par la grâce inventive de l’artiste. Les murs sont amovibles, entendez par-là constitués de carrés qui se fixent et se détachent à l’envi pour accueillir différents motifs selon les thématiques abordées. A-t-on déjà vu idée plus ingénieuse pour habiller l’espace ?
Le motif règne en maître dans ces lieux, un motif foisonnant, riche, « somptueux » nous échapperait presque. Les piles de textile sont là pour annoncer le nouveau tournant de la galerie : une proposition permettant de toucher un plus large public avec un objet décoratif haut de gamme : du tissu d’ameublement en brocart de coton recyclé vendu au mètre, mais aussi des petits coussins de la même étoffe, ou encore des plaids voluptueux en maille souple, que l’on trouve désormais en exclusivité dans la petite galerie de la rue Victor Massé.
Ces matières luxueuses et luxuriantes évoquent la tradition des soieries et étoffes lyonnaises et cela tombe bien : ces tissus contemporains sont produits par des artisans lyonnais, selon la grande tradition de l’âge d’or du textile en France.
Pierre Marie, un parcours fulgurant
Pour comprendre ce penchant des matières pour l’artiste, il faut se replonger dans ses premières amours : le textile. L’histoire (ou plutôt le conte) de Pierre Marie débute, à 19 ans, avec une collection de tee-shirts personnalisés pour Agnès B, et la consécration suit grâce à la collaboration avec la maison Hermès pour laquelle il crée des motifs, depuis quatorze ans, qui habillent les célébrissimes carrés de soie. La Villa Noailles l’invite en 2018 pour la 33ème édition du festival de mode où il présente notamment une série de douze pyjamas, comme les douze signes du zodiaque, un jalon « institution » dans un parcours bien lancé.
Mais c’est avec l’acquisition de son appartement du 9ème arrondissement parisien qu’un véritable tournant s’opère et que l’idée se fait alors d’appliquer son dessin à la décoration. Comme un nouveau champ des possibles.
Les intérieurs comme nouveaux terrains de jeu
« C’est en achetant mon appartement que j’ai commencé à m’intéresser à la décoration, je me suis demandé comment pourrait s’articuler mon dessin dans l’espace et j’ai décidé de prendre la décoration comme un nouveau terrain de jeu, un terrain qui offre énormément de possibilités ». Désireux de confronter ses motifs à de nouveaux médiums, l’artiste se lance dans des projets ambitieux et fantasques et s’attaque à des domaines quelque peu oubliés des arts décoratifs en ce début de XXIe siècle : à l’image de la tapisserie ou du vitrail. « Ce sont deux savoir-faire où le dessin et la matière sont à force égale et se rejoignent pour créer quelque chose de magnifique. La tapisserie a longtemps été utilisée dans les églises et dans les châteaux pour raconter des histoires. Je trouvais intéressant de l’inclure dans mon travail, qui a toujours eu une dimension narrative et le goût des pièces monumentales. »
C’est d’ailleurs avec sa première tapisserie monumentale (1m50x3m65) Ras El Hanout (une expression arabe qui fait référence au mélange d’épices exposé à l’entrée d’un magasin pour attirer les clients), fabriquée en collaboration avec la Manufacture Robert Four à Aubusson, que s’ouvrira sa première exposition. Depuis, il a gardé l’idée de la pièce maîtresse, véritable chef d’orchestre de l’exposition.
Horn of plenty, une exposition à Paris pour réenchanter une période sombre
Cette fois-ci, et pour la 4e manifestation de la galerie, c’est autour d’un vitrail libre (comprenez sans fenêtre), composé de dix-huit panneaux pivotants que se déploie l’exposition et sa thématique, qui met à l‘honneur le motif de la corne d’abondance avec la volonté d’exploiter ce motif comme « un symbole de richesses et de délices qui semble tomber à point nommé en cette période de troubles » et puis évidemment aussi parce « c’est un ornement qui a traversé les époques et les styles depuis l’Antiquité ».
Réenchanter le quotidien et réveiller les disciplines endormies pour faire le pont entre les arts décoratifs d’hier et d’aujourd’hui sont naturellement au programme de Pierre Marie, dont la production est très référencée. « C’est une façon de parler de ce qui m’inspire, ce que j’aime à travers les créations que je propose. »
Ainsi, c’est autour de la corne d’abondance illustrée dans le vitrail, pièce majeure l’exposition, que sont réalisés les textiles de l’exposition. Les coussins puisent leur origine de « coupes » dans le dessin du vitrail, ce même dessin pouvant être retravaillé pour s’adapter à d’autres échelles comme pour les galons notamment. Derrière ce vitrail, il y a le souvenir d’un bas-relief de pierre sculptée que Pierre Marie admira à Florence, sur la façade d’une église, qui insuffla l’élan de cette nouvelle thématique.
L’Italie, source inépuisable d’inspiration… et de collaborations
Car l’Italie a toute son importance dans l’histoire du décorateur. Un ensemble de trois pièces réalisées par la manufacture toscane Bitossi est d’ailleurs présenté en vitrine pour cette exposition.
Des objets d’art édités exclusivement pour l’occasion dans une version en or émaillé –une prouesse quand on sait à quel point l’or, la céramique et la cuisson ne font pas bon ménage – pour évoquer l’idée d’abondance « comme si elles avaient été touchées par le roi Midas », nous confesse le créateur amusé.
Et si l’on fait un petit bon en arrière, c’est aussi à Milan que tout s’est joué. « Le déclic, je l’ai eu quand j’ai vu, en 2014, au Salon du meuble de Milan, la présentation du studio Dimore : le tandem Britt Moran et Emiliano Salci a changé la donne du design d’intérieur avec un décor narratif, cinématographique et très référencé … » Aujourd’hui, Pierre Marie collabore avec le duo et de véritables liens d’amitiés se sont tissés. Autour du beau, forcément. « Une collaboration comme pour matérialiser une amitié » formule-t-il.
La galerie milanaise présente ainsi plusieurs pièces de l’artiste depuis 2019 : une première commande d’une tapisserie et d’un paravent en vitrail, auxquels se sont ajoutés par la suite trois tapis personnalisés et deux pièces en verre soufflé à la bouche (un vase et un brûle-parfum). Un cadre idéal « pour que Pierre Marie apporte le savoir-faire artisanal qu’il a su intégrer à son travail ces dernières années » nous précise le Studio.
Pierre Marie, à contre-courant d’une forme de modernité
On l’aura compris, la notion de production artisanale est déterminante. Doublée d’une véritable quête visant à « réintroduire ces savoir-faire dans nos intérieurs contemporains ». Toutes les pièces présentées dans cette exposition sont d’ailleurs fabriquées en France. A contre-courant, donc, de cette idée de rentabilité véhiculée par l’outil moderne.
« La modernité pour la modernité ne m’intéresse pas. Le résultat de la modernité, c’est la surconsommation, l’avènement du plastique, de l’objet en série, qui entraîne la perte de la complexité des techniques de l’artisanat. » – Pierre Marie
Et pour cela, il faut parvenir à affirmer ses positions, quitte à assumer un décalage : « J’ai envie d’être anecdotique, de prendre des risques » nous souffle t- il en désignant les lampes de l’exposition, objets à mi-chemin entre meubles et lampes qui « ressemblent à des ivoires tournés de la Renaissance, purs objets de contemplation et trésors de maîtrise artisanale » réalisés par l’atelier verrier lorrain Gamil et le tourneur de bois Jean-François Bosse.
Des objets dont la fabrication nécessite un procédé impliquant un temps de production beaucoup plus long que ce à quoi nous a habitué le XXIe siècle, une création parfois presque méditative si l’on songe à l’objet-bijou de l’exposition : une boîte en marqueterie de paille, réalisée par Lison de Caunes, qui ensoleille l’espace de ces motifs radieux.
On achève notre visite en posant timidement la question du projet rêvé après tout ce que l’on vient de découvrir, les yeux encore émerveillés. Réponse : « un vitrail pour une cathédrale » Le sacré dans le sacré…
J.C
La Galerie de Pierre Marie
21 rue Victor Massé
Paris IXe
Visite sur rendez-vous.
Coussins : à partir de 90€
Plaids : à partir de 1290€