Cuisine
Tokyo sur Seine à Ogata Paris
25 AVRIL . 2022
Au cœur du Marais des galeries d’art et des vieilles pierres, Ogata Paris est comme une île supplémentaire sur la carte de l’archipel nippon. Loin du Japon et pourtant si proche. Visite guidée d’un restaurant qui s’approcherait presque du ‘concept store’.
En 1778, Henri-Louis de Frédy, conseiller au Parlement de Paris, confie la refonte d’un hôtel particulier du XVIIe siècle à l’architecte Robert-Eustache Devillers. Lorsque ce dernier fait poser quatre bas-relief sur la façade, des allégories de quatre des cinq sens, le goût, l’odorat, la vue et l’ouïe, il ne sait pas que deux siècles et demi plus tard, l’Hôtel de Frédy deviendra un temple d’expériences multisensorielles. On doit ce clin d’œil de l’histoire à Shinichiro Ogata, architecte d’intérieur et designer. De ses nombreux voyages, il a toujours rapporté la certitude que le Japon était son unique territoire, physique et mental, une patrie et un patrimoine à honorer, à faire rayonner, à éclairer sous toutes ces facettes, entre tradition et modernité.
On le comprend dès le hall franchi, laissant Paris sur le trottoir pour entrer dans Tokyo, là ou Shinichiro Ogata a créé sa première œuvre en 1998, Higashi-Yama, « un lieu de vie synthétique où art de vivre, cuisine, thé et artisanat sont appréhendés de manière contemporaine », auquel s’ajoute un sens aigu de l’hospitalité. Ogata Paris, c’est tout ça, dans une ambiance que l’on est obligé de qualifier de zen, sans craindre le cliché. Pierre et bois, lignes épurées, mêlant symétrie et asymétrie, on est comme enveloppé, les portes de la perception grandes ouvertes, ici et maintenant, prêts à lâcher prise.
Chez Ogata Paris, plaisir à tous les étages
Sur trois niveaux, du sous-sol au premier étage, l’intérieur est découpé en différents espaces, restaurant, atelier, boutique, galerie d’art, bar à cocktail et sabō (lieu réservé à la cérémonie du thé). Un espace dans l’espace, au cœur de la cave voûtée, vient aussi d’être aménagé pour accueillir une nouvelle immersion dans le savoir-faire japonais : le Kaori. Le mot signifie littéralement « parfum » et renvoie essentiellement à l’encens, fragrance connue dans l’archipel depuis la nuit des temps, notamment dans les rituels bouddhistes. Au terme d’une rencontre à la fois spirituelle et quasi psychanalytique avec un maître du genre, on repart avec son « pot-pourri » personnalisé d’herbes séchées. Des mélanges déjà prêts sont également disponibles, par exemple à base de santal et clous de girofle (koto) ou d’agrumes (tachibana).
Dans l’atelier, on chine des objets du quotidien sélectionnés chez les meilleurs artisans du Pays du Soleil Levant, en porcelaine, étain, fer, bois et bambou, d’un raffinement éblouissant. Étonnamment, pas de couteaux, pourtant l’un des beaux-arts nippons, un choix de M.Ogata. Dans la boutique, on fait provision de thés, d’un « simple » genmaicha (thé vert et riz soufflé) à un exceptionnel temomicha aux longues feuilles roulées à la main avant d’être séchées. On craque aussi pour les wagashi (pâtisseries japonaises), entre autres de jolies petites boules colorées à base de pâte de haricot (hitokuchigashi), ou une diabolique terrine au chocolat et poivre de sanshō et ses notes citronnées.
Une étoile au comptoir
Mais on est aussi là pour découvrir toute la cuisine japonaise, loin du folklore des seuls sushis ou, pire, des brochettes de viande au fromage. On avait déjà aimé Ogata en livraison, en d’autres temps covidés. Le Guide Michelin vient d’attribuer une étoile au restaurant Ogata, on est intrigué. À l’étage, installé au comptoir bordant la cuisine ouverte sur deux côtés, ou sur des tables en wengé, on se laisse porter par le ballet silencieux des cuisiniers, le choix des ingrédients, la précision des gestes et la délicatesse des dressages.
Il faut un peu oublier ses repères habituels, le sel n’est pas omniprésent ou alors à travers la fermentation (nukazuke). Au Japon, le fade a toute sa place, chez nous c’est un peu déroutant. Quant à l’umami, cette cinquième saveur qui se traduit par « délicieux », elle est parfois imperceptible au palais occidental. Le pot-au-feu de légumes de saison illustre ce subtil équilibre entre des goûts peu vifs et des textures croquantes qui mettent en relief la profondeur du bouillon. Ne pas hésiter à enrichir l’expérience avec un saké, alcool de riz particulièrement versatile en accord, tel ce Nabeshima, un junmai daiginjo (le grain de riz est poli à 50%) de la Préfecture de Saga, ou un thé préparé devant vous, comme ce kuromamecha au soja noir grillé.
On est plus facilement séduit par l’assortiment d’entrées servies à la manière d’un bento, anguille glacée à la sauce soja, huîtres et asperges blanches à la gelée de tosazu (vinaigre de riz au dashi), ou tataki de rouget, soja et huile de sésame. Du cru, du mariné, de l’acidité, ça pulse sur la langue. Le riz est lui évidemment irréprochable, les grains lustrés se détachent un à un en bouche, à la fois résistants et moelleux sous la dent. Mais on atteint surtout des sommets avec le tamagoyaki, plat à base d’œufs cuits roulés en plusieurs couches dans une poêle rectangulaire, légèrement grillés à l’extérieur et fondants à l’intérieur. Tout l’art de la simplicité dans une omelette : bienvenue au Japon.
S.M